La nuit est tombée sur le 1er novembre. De mon balcon, j’aperçois les lumières d’Aix-les-Bains qui scintillent dans le lointain. Au milieu, dans la pénombre, le lac du Bourget reflète les rares lueurs d’une lune incertaine. Il a plu une bonne partie de la journée, une pluie froide et drue, une pluie tristement de saison. Je n’ai jamais goûté la Toussaint, ni d’ailleurs les chrysanthèmes. J’ai toujours trouvé ce jour épouvantablement sinistre. Le souvenir de ceux des miens qui ne sont plus m’est cher. Je me rends de temps à autre auprès d’eux dans les cimetières, mais un autre jour que la Toussaint. Quand il fait meilleur, quand je peux être seul aussi. J’ai besoin de renouer les fils du souvenir et c’est un processus volontiers intime. Il y a sans doute une part de tristesse, mais plus que tout de reconnaissance et de gratitude émue. Je suis agnostique. Je n’ai pas de certitude. Je revois des visages, des bouts d’histoire, des valeurs, le chemin parcouru ensemble, ce que j’ai appris, ce qu’ils m’ont appris. Chaque 1er novembre, je pense à un oncle que j’aimais beaucoup et qui était né ce jour-là. Pour le retrouver, je regarde en été la mer d’Iroise, depuis la Pointe de Dinan, dans le soleil qu’il affectionnait tant. Le souvenir est intemporel. Il est juste plus doux lorsqu’il fait beau.
Cela fait quelques jours que j’ai retrouvé la Savoie et le Bourget-du-Lac. Mon entreprise est à deux pas. J’avais prévu une bonne semaine de travail. La famille est en Italie. Je voulais bosser, prendre de l’avance, rencontrer mes nouveaux collègues. C’était avant de me faire rattraper par le Covid … pour la troisième fois. Et cette semaine que j’espérais active et sociale est à l’inverse devenue éminemment solitaire, isolement oblige. Je me suis retrouvé seul face au lac, dans le petit appartement que j’avais loué. J’avais la tempête sous le crâne avant qu’elle n’arrive par la façade atlantique. Je suis un bon client pour le virus. Tant bien que mal, j’ai essayé de travailler et je me suis reposé aussi. Il le fallait. Le lac m’a aidé. Cet espace d’une beauté infinie est apaisant. Le gris du ciel colorait les eaux de teintes changeantes. Il tombait parfois des cordes. Au loin, derrière le Mont Revard, apparaissaient les premières neiges sur les sommets alpins. Cette solitude forcée n’était pas triste, elle était source de réflexion, d’introspection et de pensées vagabondes. J’ai maintenu la télévision éteinte. J’avais par chance quelques bons bouquins à lire. De valeureux rameurs passaient parfois entre deux grains. Je les suivais des yeux dans un encouragement silencieux. J’aurais aimé me joindre à eux.
J’attendais un automne paisible, il est redoutable. Les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre ont choqué le monde par leur atrocité. Des milliers de personnes ont été assassinées, blessées ou enlevées parce qu’elles étaient juives. Il y avait dans ces actes l’expression du terrorisme le plus vil, lancé contre l’existence même d’Israël. Qu’une formation politique française refuse encore de qualifier le Hamas de mouvement terroriste me révulse. Israël doit se défendre. Il faut traquer implacablement le Hamas et libérer les otages. Il faut le faire aussi dans le respect du droit de la guerre. Les souffrances des populations civiles de Gaza sont terribles. Le Hamas en a fait les boucliers de son entreprise criminelle. Il n’est pas la Palestine. La Palestine existe et il faut reconnaître le droit des Palestiniens à un Etat, aux côtés d’Israël. C’est l’horizon politique nécessaire pour une paix durable. Il n’est jamais vain d’en appeler à l’humanité, même si la raison est dure à affirmer quand surviennent les pires souffrances. C’est par le droit que l’on construit la paix. En ces jours de solitude, je me suis souvenu du plaidoyer pour la paix par le droit qui fondait ma campagne de candidat au mandat de Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe il y a 6 ans. De ce plaidoyer, je ne retire aucun mot.
Ce matin, un soleil timide éclairait le lac entre de lourds nuages. Je me suis dit que je pouvais peut-être me glisser hors de mon deuxième étage. Dûment emmitouflé, je suis parti le long des berges avant que ne revienne la pluie. Je n’étais pas encore bien vaillant, mais le cœur y était. J’ai fait des photos, je me suis assis, puis j’ai eu envie d’aller plus loin, jusqu’au belvédère du Mont du Chat. Une route magnifique, que j’aurais aimé un jour de grande forme gravir à vélo. Heureusement cette fois-ci que j’avais une auto ! A 1000 mètres au-dessus du lac, la vue était sublime. Je comprends pourquoi Lamartine y a consacré de si beaux vers. Je me suis laissé porter ensuite vers l’autre versant, vers l’Ain et finalement vers Izieu, dans une balade improvisée. Je n’avais que le Rhône à traverser. Je n’étais plus revenu à la Maison des Enfants d’Izieu depuis la fin de ma vie publique. La retrouver m’a bouleversé. J’y venais chaque année. Il y aura 80 ans l’an prochain que les 44 enfants juifs de la colonie d’Izieu ont été envoyés à la mort par Klaus Barbie. L’antisémitisme revient dans des flots de paroles haineuses. Le souvenir des enfants d’Izieu nous rappelle sa monstruosité. Ce souvenir doit être entretenu, pour eux, pour nous aussi, pour les générations à venir davantage encore. L’humanité est une, elle ne se divise pas.
J’ai retrouvé mon balcon et le lac du Bourget à la tombée du jour. Demain, je retournerai travailler. Je suis prêt. Ce soir, je scrute avec inquiétude les nouvelles de la façade atlantique, de chez moi en Bretagne, où les vents pourraient atteindre plus de 170 km/heure au cours de la nuit. Je pense à ma maman dans sa maison, à mes amis bénévoles de la SNSM, prêts à affronter la mer déchaînée s’il le fallait. Les éléments ne font pas de cet automne 2023 une saison paisible non plus. Les évènements climatiques extrêmes font partie désormais des défis du monde, comme le terrorisme et les guerres, comme les inégalités et la pauvreté aussi. Tant de raisons d’angoisser, tant de raisons d’agir également. La semaine passée à Berlin, j’avais été passionné par l’échange avec Christian Kroll, le fondateur du moteur de recherche Ecosia, altruiste concurrent de Google, dont tous les profits sont alloués à la plantation d’arbres dans le monde (près de 200 millions d’arbres plantés à ce jour). Il y a place, plus que jamais, pour l’idéal, l’humanisme, les convictions, les initiatives les plus justes et généreuses. Il faut y croire et, plus que tout, il faut agir. Les tumultes et les misères du monde sont une réalité, la force et la noblesse des réponses doivent en être une autre.
Un soir au bord du lac
La nuit est tombée sur le 1er novembre. De mon balcon, j’aperçois les lumières d’Aix-les-Bains qui scintillent dans le lointain. Au milieu, dans la pénombre, le lac du Bourget reflète les rares lueurs d’une lune incertaine. Il a plu une bonne partie de la journée, une pluie froide et drue, une pluie tristement de saison. Je n’ai jamais goûté la Toussaint, ni d’ailleurs les chrysanthèmes. J’ai toujours trouvé ce jour épouvantablement sinistre. Le souvenir de ceux des miens qui ne sont plus m’est cher. Je me rends de temps à autre auprès d’eux dans les cimetières, mais un autre jour que la Toussaint. Quand il fait meilleur, quand je peux être seul aussi. J’ai besoin de renouer les fils du souvenir et c’est un processus volontiers intime. Il y a sans doute une part de tristesse, mais plus que tout de reconnaissance et de gratitude émue. Je suis agnostique. Je n’ai pas de certitude. Je revois des visages, des bouts d’histoire, des valeurs, le chemin parcouru ensemble, ce que j’ai appris, ce qu’ils m’ont appris. Chaque 1er novembre, je pense à un oncle que j’aimais beaucoup et qui était né ce jour-là. Pour le retrouver, je regarde en été la mer d’Iroise, depuis la Pointe de Dinan, dans le soleil qu’il affectionnait tant. Le souvenir est intemporel. Il est juste plus doux lorsqu’il fait beau.
Cela fait quelques jours que j’ai retrouvé la Savoie et le Bourget-du-Lac. Mon entreprise est à deux pas. J’avais prévu une bonne semaine de travail. La famille est en Italie. Je voulais bosser, prendre de l’avance, rencontrer mes nouveaux collègues. C’était avant de me faire rattraper par le Covid … pour la troisième fois. Et cette semaine que j’espérais active et sociale est à l’inverse devenue éminemment solitaire, isolement oblige. Je me suis retrouvé seul face au lac, dans le petit appartement que j’avais loué. J’avais la tempête sous le crâne avant qu’elle n’arrive par la façade atlantique. Je suis un bon client pour le virus. Tant bien que mal, j’ai essayé de travailler et je me suis reposé aussi. Il le fallait. Le lac m’a aidé. Cet espace d’une beauté infinie est apaisant. Le gris du ciel colorait les eaux de teintes changeantes. Il tombait parfois des cordes. Au loin, derrière le Mont Revard, apparaissaient les premières neiges sur les sommets alpins. Cette solitude forcée n’était pas triste, elle était source de réflexion, d’introspection et de pensées vagabondes. J’ai maintenu la télévision éteinte. J’avais par chance quelques bons bouquins à lire. De valeureux rameurs passaient parfois entre deux grains. Je les suivais des yeux dans un encouragement silencieux. J’aurais aimé me joindre à eux.
J’attendais un automne paisible, il est redoutable. Les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre ont choqué le monde par leur atrocité. Des milliers de personnes ont été assassinées, blessées ou enlevées parce qu’elles étaient juives. Il y avait dans ces actes l’expression du terrorisme le plus vil, lancé contre l’existence même d’Israël. Qu’une formation politique française refuse encore de qualifier le Hamas de mouvement terroriste me révulse. Israël doit se défendre. Il faut traquer implacablement le Hamas et libérer les otages. Il faut le faire aussi dans le respect du droit de la guerre. Les souffrances des populations civiles de Gaza sont terribles. Le Hamas en a fait les boucliers de son entreprise criminelle. Il n’est pas la Palestine. La Palestine existe et il faut reconnaître le droit des Palestiniens à un Etat, aux côtés d’Israël. C’est l’horizon politique nécessaire pour une paix durable. Il n’est jamais vain d’en appeler à l’humanité, même si la raison est dure à affirmer quand surviennent les pires souffrances. C’est par le droit que l’on construit la paix. En ces jours de solitude, je me suis souvenu du plaidoyer pour la paix par le droit qui fondait ma campagne de candidat au mandat de Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe il y a 6 ans. De ce plaidoyer, je ne retire aucun mot.
Ce matin, un soleil timide éclairait le lac entre de lourds nuages. Je me suis dit que je pouvais peut-être me glisser hors de mon deuxième étage. Dûment emmitouflé, je suis parti le long des berges avant que ne revienne la pluie. Je n’étais pas encore bien vaillant, mais le cœur y était. J’ai fait des photos, je me suis assis, puis j’ai eu envie d’aller plus loin, jusqu’au belvédère du Mont du Chat. Une route magnifique, que j’aurais aimé un jour de grande forme gravir à vélo. Heureusement cette fois-ci que j’avais une auto ! A 1000 mètres au-dessus du lac, la vue était sublime. Je comprends pourquoi Lamartine y a consacré de si beaux vers. Je me suis laissé porter ensuite vers l’autre versant, vers l’Ain et finalement vers Izieu, dans une balade improvisée. Je n’avais que le Rhône à traverser. Je n’étais plus revenu à la Maison des Enfants d’Izieu depuis la fin de ma vie publique. La retrouver m’a bouleversé. J’y venais chaque année. Il y aura 80 ans l’an prochain que les 44 enfants juifs de la colonie d’Izieu ont été envoyés à la mort par Klaus Barbie. L’antisémitisme revient dans des flots de paroles haineuses. Le souvenir des enfants d’Izieu nous rappelle sa monstruosité. Ce souvenir doit être entretenu, pour eux, pour nous aussi, pour les générations à venir davantage encore. L’humanité est une, elle ne se divise pas.
J’ai retrouvé mon balcon et le lac du Bourget à la tombée du jour. Demain, je retournerai travailler. Je suis prêt. Ce soir, je scrute avec inquiétude les nouvelles de la façade atlantique, de chez moi en Bretagne, où les vents pourraient atteindre plus de 170 km/heure au cours de la nuit. Je pense à ma maman dans sa maison, à mes amis bénévoles de la SNSM, prêts à affronter la mer déchaînée s’il le fallait. Les éléments ne font pas de cet automne 2023 une saison paisible non plus. Les évènements climatiques extrêmes font partie désormais des défis du monde, comme le terrorisme et les guerres, comme les inégalités et la pauvreté aussi. Tant de raisons d’angoisser, tant de raisons d’agir également. La semaine passée à Berlin, j’avais été passionné par l’échange avec Christian Kroll, le fondateur du moteur de recherche Ecosia, altruiste concurrent de Google, dont tous les profits sont alloués à la plantation d’arbres dans le monde (près de 200 millions d’arbres plantés à ce jour). Il y a place, plus que jamais, pour l’idéal, l’humanisme, les convictions, les initiatives les plus justes et généreuses. Il faut y croire et, plus que tout, il faut agir. Les tumultes et les misères du monde sont une réalité, la force et la noblesse des réponses doivent en être une autre.