J’étais hier à Madrid. Mes réunions achevées, je suis allé au bar de Pepe. Des bars de Pepe, il y en a certainement des tas en Espagne. Mais le bar de Pepe où je voulais me rendre est unique car il est celui de la série Entrevias, une valeur sûre d’Antena 3, puis de Netflix. Le bar La Muralla – c’est son nom – existe-t-il dans la vraie vie ? Oui, mais pas dans le quartier d’Entrevias. A Villaverde. Je suis allé y boire mon café solo. Il y a quelques mois, durant l’hiver, j’ai choisi un soir de regarder le premier épisode de la première saison d’Entrevias. Cela faisait un petit temps que j’en voyais l’accroche. Elle ne m’attirait pas à prime abord. Il était question d’un sexagénaire plutôt raide et réac, quincailler et ancien soldat de la guerre en Bosnie, se lançant aux trousses d’un gang menaçant sa petite-fille. J’ai fini cependant par cliquer et je dois reconnaître qu’il m’a fallu quelques épisodes pour entrer dans la série. Les histoires de gangs et de drogue ne me passionnent guère. Les premiers épisodes étaient sombres, durs, sans espoir. J’ai même failli lâcher. Le grand-père, Tirso, devait sourire une fois tous les 10 ans. Et la petite-fille, Irene, adoptée en Asie par ses parents, puis délaissée par eux, semblait porter sur ses épaules toutes les misères d’une famille déstructurée et la violence de son quartier.
Au cœur de la série et au centre de l’intrigue, il y avait surtout un bar, tenu par Pepe, le meilleur ami de Tirso. Le bar La Muralla n’a rien d’extraordinaire. C’est juste un petit bar de quartier, qui vit aussi difficilement que ses clients. C’est au bar que beaucoup se dit et souvent se joue. Les personnages s’y découvrent dans leur complexité et leurs contradictions, dans leur sincérité aussi et tout au bout dans leur humanité. C’est par le bar de Pepe que j’ai fini par prendre pied dans Entrevias. Je connais assez l’Espagne et la société espagnole pour imaginer ce qui entourait le bar, au sens propre comme figuré, à commencer par l’authenticité. Et peu à peu, Entrevias est devenu deux ou trois fois par semaine, lorsque tout le monde dormait à Bruxelles, mon rendez-vous avec une histoire, des personnages et un quartier. J’ai laissé le scénario m’emporter, celui de la première saison, certainement la plus forte et la plus vraie, et celui des deux autres saisons aussi. La force d’un scénario n’apparaît pas dans les premiers moments, elle s’impose petit à petit. Le jeu des acteurs y donne corps remarquablement. J’ai admiré Jose Coronado, l’interprète de Tirso, et Nona Sobo, la jeune interprète d’Irene. Il y avait la dureté de l’un, la souffrance de l’autre, l’alchimie totalement improbable et pourtant à venir entre eux deux.
Je ne suis pas un groupie des séries. Comme beaucoup de gens, ce sont les longues soirées de confinement en 2020 qui me les ont fait vraiment découvrir. J’étais plus un spectateur de films et, au fond, je le reste toujours. Cependant, je me suis pris parfois au jeu d’intrigues et d’histoires déclinées avec talent sous plusieurs géographies européennes. J’avais adoré La Casa de Papel et je crois bien au vu de son succès mondial que je n’ai pas été le seul. Je me suis attaché également à des séries finlandaises, danoises, flamandes, wallonnes, allemandes, polonaises ou luxembourgeoises. Aucune ne ressemblait à l’autre. Toutes avaient malgré tout un ancrage dans une région, une ville ou une société. Une série ne flotte pas dans l’espace, hors du temps ou hors d’un lieu. Elle a besoin de liens et de racines. Les personnages ne peuvent être improbables. Ils ne peuvent non plus changer, encore moins disparaître. Sans doute est-ce pour cela que j’ai aimé Entrevias. Aucun personnage n’est inutile. Pepe, avec son bar, n’est pas une figure seconde, il est très profondément dans l’histoire. Je me suis souvent demandé comment les scénaristes avaient trouvé la ressource et les idées pour poursuivre l’aventure, sans jamais se perdre, ni perdre l’unité de leurs personnages. Ce n’est pas simple.
Je n’avais pas aimé la fin de La Casa de Papel, comme si, faute d’idées après l’immense succès initial, il fallait faire disparaître les héros. Une série doit savoir s’achever sans s’abîmer, comme elle était venue, avant la saison de trop. C’est ainsi qu’elle devient une référence, qu’on aimera plus tard la revisiter. Ce sera, je l’espère, le cas pour Entrevias, dont le tournage de la quatrième et dernière saison a pris fin en début d’année. Elle sera bientôt sur les écrans. Au bar de Pepe, il n’y avait plus aucune trace du tournage, comme si rien, jamais, n’avait eu lieu. Et pourtant… J’aurais bien aimé trouver Pepe de l’autre côté du comptoir, voir entrer Tirso, son amie Gladys, son compère Sanchis, le policier Ezequiel et puis bien sûr Irene. J’aurais sûrement causé avec eux. Le plus étrange était que tout m’était familier : l’endroit, la salle, la cuisine, les tables, les toilettes et peut-être même la carte des tapas. Comme les rues environnantes et la devanture de la quincaillerie de Tirso. Je n’étais jamais venu et je connaissais pourtant tout, comme si durant des mois, j’avais arpenté ces rues à distance. Je ne devais sûrement pas être le premier curieux à vernir jusqu’au bar de Pepe. En entendant l’adresse, le chauffeur de taxi avait eu pour moi un sourire entendu.
Au Groupe Ouest, le laboratoire européen du coaching en scénarios, dont je suis administrateur dans le Finistère, le soutien au monde des séries a fait son chemin et c’est bien. Il ne s’agit pas d’une concurrence pour le cinéma. Ces mondes ne sont pas les mêmes. L’un et l’autre sont nécessaires, l’un et l’autre donnent à rêver, l’un et l’autre ont surtout besoin de faire émerger de nouveaux et jeunes talents. Il y a un imaginaire à révéler et encourager toujours davantage. La diversité des récits est ce qui fait la force de l’Europe, ce qui la distingue aussi. Il y a un nombre incroyable de manières différentes de raconter une histoire, de la rythmer, de la faire vivre, d’y mettre des émotions, loin de toute uniformité, de happy endings prévisibles et de recettes usées jusqu’à l’ennui. J’ai aimé Entrevias parce que rien dans l’intrigue n’était simple et même totalement maîtrisé, qu’il était question de racisme, de violence, de préjugés, d’abandon, de coming out, de dépression ou de couardise, mais aussi de hauteur d’âme, de dépassement, de sursaut, de rédemption, de courage et de vérité. Cela valait bien ce petit détour avant de rejoindre l’aéroport de Madrid, une heure loin de tout, assis silencieusement dans le bar de Pepe, curieux et admiratif, reconnaissant aussi, heureux tout simplement.
Le bar de Pepe
J’étais hier à Madrid. Mes réunions achevées, je suis allé au bar de Pepe. Des bars de Pepe, il y en a certainement des tas en Espagne. Mais le bar de Pepe où je voulais me rendre est unique car il est celui de la série Entrevias, une valeur sûre d’Antena 3, puis de Netflix. Le bar La Muralla – c’est son nom – existe-t-il dans la vraie vie ? Oui, mais pas dans le quartier d’Entrevias. A Villaverde. Je suis allé y boire mon café solo. Il y a quelques mois, durant l’hiver, j’ai choisi un soir de regarder le premier épisode de la première saison d’Entrevias. Cela faisait un petit temps que j’en voyais l’accroche. Elle ne m’attirait pas à prime abord. Il était question d’un sexagénaire plutôt raide et réac, quincailler et ancien soldat de la guerre en Bosnie, se lançant aux trousses d’un gang menaçant sa petite-fille. J’ai fini cependant par cliquer et je dois reconnaître qu’il m’a fallu quelques épisodes pour entrer dans la série. Les histoires de gangs et de drogue ne me passionnent guère. Les premiers épisodes étaient sombres, durs, sans espoir. J’ai même failli lâcher. Le grand-père, Tirso, devait sourire une fois tous les 10 ans. Et la petite-fille, Irene, adoptée en Asie par ses parents, puis délaissée par eux, semblait porter sur ses épaules toutes les misères d’une famille déstructurée et la violence de son quartier.
Au cœur de la série et au centre de l’intrigue, il y avait surtout un bar, tenu par Pepe, le meilleur ami de Tirso. Le bar La Muralla n’a rien d’extraordinaire. C’est juste un petit bar de quartier, qui vit aussi difficilement que ses clients. C’est au bar que beaucoup se dit et souvent se joue. Les personnages s’y découvrent dans leur complexité et leurs contradictions, dans leur sincérité aussi et tout au bout dans leur humanité. C’est par le bar de Pepe que j’ai fini par prendre pied dans Entrevias. Je connais assez l’Espagne et la société espagnole pour imaginer ce qui entourait le bar, au sens propre comme figuré, à commencer par l’authenticité. Et peu à peu, Entrevias est devenu deux ou trois fois par semaine, lorsque tout le monde dormait à Bruxelles, mon rendez-vous avec une histoire, des personnages et un quartier. J’ai laissé le scénario m’emporter, celui de la première saison, certainement la plus forte et la plus vraie, et celui des deux autres saisons aussi. La force d’un scénario n’apparaît pas dans les premiers moments, elle s’impose petit à petit. Le jeu des acteurs y donne corps remarquablement. J’ai admiré Jose Coronado, l’interprète de Tirso, et Nona Sobo, la jeune interprète d’Irene. Il y avait la dureté de l’un, la souffrance de l’autre, l’alchimie totalement improbable et pourtant à venir entre eux deux.
Je ne suis pas un groupie des séries. Comme beaucoup de gens, ce sont les longues soirées de confinement en 2020 qui me les ont fait vraiment découvrir. J’étais plus un spectateur de films et, au fond, je le reste toujours. Cependant, je me suis pris parfois au jeu d’intrigues et d’histoires déclinées avec talent sous plusieurs géographies européennes. J’avais adoré La Casa de Papel et je crois bien au vu de son succès mondial que je n’ai pas été le seul. Je me suis attaché également à des séries finlandaises, danoises, flamandes, wallonnes, allemandes, polonaises ou luxembourgeoises. Aucune ne ressemblait à l’autre. Toutes avaient malgré tout un ancrage dans une région, une ville ou une société. Une série ne flotte pas dans l’espace, hors du temps ou hors d’un lieu. Elle a besoin de liens et de racines. Les personnages ne peuvent être improbables. Ils ne peuvent non plus changer, encore moins disparaître. Sans doute est-ce pour cela que j’ai aimé Entrevias. Aucun personnage n’est inutile. Pepe, avec son bar, n’est pas une figure seconde, il est très profondément dans l’histoire. Je me suis souvent demandé comment les scénaristes avaient trouvé la ressource et les idées pour poursuivre l’aventure, sans jamais se perdre, ni perdre l’unité de leurs personnages. Ce n’est pas simple.
Je n’avais pas aimé la fin de La Casa de Papel, comme si, faute d’idées après l’immense succès initial, il fallait faire disparaître les héros. Une série doit savoir s’achever sans s’abîmer, comme elle était venue, avant la saison de trop. C’est ainsi qu’elle devient une référence, qu’on aimera plus tard la revisiter. Ce sera, je l’espère, le cas pour Entrevias, dont le tournage de la quatrième et dernière saison a pris fin en début d’année. Elle sera bientôt sur les écrans. Au bar de Pepe, il n’y avait plus aucune trace du tournage, comme si rien, jamais, n’avait eu lieu. Et pourtant… J’aurais bien aimé trouver Pepe de l’autre côté du comptoir, voir entrer Tirso, son amie Gladys, son compère Sanchis, le policier Ezequiel et puis bien sûr Irene. J’aurais sûrement causé avec eux. Le plus étrange était que tout m’était familier : l’endroit, la salle, la cuisine, les tables, les toilettes et peut-être même la carte des tapas. Comme les rues environnantes et la devanture de la quincaillerie de Tirso. Je n’étais jamais venu et je connaissais pourtant tout, comme si durant des mois, j’avais arpenté ces rues à distance. Je ne devais sûrement pas être le premier curieux à vernir jusqu’au bar de Pepe. En entendant l’adresse, le chauffeur de taxi avait eu pour moi un sourire entendu.
Au Groupe Ouest, le laboratoire européen du coaching en scénarios, dont je suis administrateur dans le Finistère, le soutien au monde des séries a fait son chemin et c’est bien. Il ne s’agit pas d’une concurrence pour le cinéma. Ces mondes ne sont pas les mêmes. L’un et l’autre sont nécessaires, l’un et l’autre donnent à rêver, l’un et l’autre ont surtout besoin de faire émerger de nouveaux et jeunes talents. Il y a un imaginaire à révéler et encourager toujours davantage. La diversité des récits est ce qui fait la force de l’Europe, ce qui la distingue aussi. Il y a un nombre incroyable de manières différentes de raconter une histoire, de la rythmer, de la faire vivre, d’y mettre des émotions, loin de toute uniformité, de happy endings prévisibles et de recettes usées jusqu’à l’ennui. J’ai aimé Entrevias parce que rien dans l’intrigue n’était simple et même totalement maîtrisé, qu’il était question de racisme, de violence, de préjugés, d’abandon, de coming out, de dépression ou de couardise, mais aussi de hauteur d’âme, de dépassement, de sursaut, de rédemption, de courage et de vérité. Cela valait bien ce petit détour avant de rejoindre l’aéroport de Madrid, une heure loin de tout, assis silencieusement dans le bar de Pepe, curieux et admiratif, reconnaissant aussi, heureux tout simplement.