La nouvelle législature issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet s’est ouverte hier avec l’élection du Président de l’Assemblée nationale. Yaël Braun-Pivet a retrouvé le perchoir qu’elle avait occupé de juin 2022 à la dissolution de l’Assemblée le 9 juin. Il lui aura fallu trois tours de scrutin et la majorité relative autorisée au troisième tour pour l’emporter. Ce scénario, dans un Hémicycle privé de majorité absolue, était prévisible. Il l’était probablement aussi quant au résultat lui-même. C’est le soutien des députés LR et divers droite qui a permis à Yaël Braun-Pivet de battre le candidat du Nouveau Front Populaire André Chassaigne, arrivé en tête au premier tour de scrutin, mais loin de la majorité absolue requise pour être élu. Le résultat d’hier soir dessine une réalité politique que nombre d’acteurs de la vie parlementaire, essentiellement au sein du Nouveau Front Populaire, avaient refusé de voir depuis le second tour des élections législatives : arithmétiquement, la somme des sièges d’Ensemble, de LR et des députés divers droite est plus élevée que le nombre de sièges dont dispose le Nouveau Front Populaire. Cette réalité est incontournable. C’est l’arithmétique de l’Hémicycle et elle seule qui détermine les majorités nécessaires pour légiférer et aussi pour gouverner.
Pour épuiser les références rugbystiques et sourire un peu (il le faut), la cabane est tombée sur le chien. En rugby, cette expression imagée décrit un contre redoutable scellant le sort d’un match. Une équipe attaque, confusément et le dos au mur, sans percer vraiment, et s’expose à un contre définitif de son adversaire. Nous y sommes. Depuis le 7 juillet au soir, le Nouveau Front Populaire martèle qu’il a gagné les élections législatives, mais échoue à s’accorder sur le nom d’un candidat ou plutôt d’une candidate pour la fonction de Premier ministre. Les palabres n’en finissent pas et virent au mauvais feuilleton, les uns s’opposant à une première candidate, les autres à une seconde. Les invectives pleuvent et renvoient aux Français une image consternante d’impuissance, d’incohérence et d’immaturité. Le Nouveau Front Populaire apparaît comme une alliance électorale dont les perspectives aux responsabilités sont obérées par de profondes divergences stratégiques. En clair, la radicalité de La France Insoumise – « le programme, tout le programme et rien que le programme » – exclut toute ouverture pourtant obligée vers d’autres forces, fige la configuration politique et ouvre de fait la voie à d’autres scénarios, comme celui qui a conduit à la réélection de Yaël Braun-Pivet.
La France a besoin d’être gouvernée. L’échec du Nouveau Front Populaire à conquérir la Présidence de l’Assemblée nationale vaut aussi pour ses perspectives au gouvernement. On ne peut gouverner avec le soutien de quelque 200 députés sur 577, et plus encore lorsque l’on rejette toute ouverture pour construire une majorité. Jean-Luc Mélenchon fait le choix de 2027 contre 2024, de la radicalité du verbe contre le pragmatisme des solutions, tablant sur la crise politique, un pays en affaires courantes pendant des mois, la démission possible du Président de la République et une élection présidentielle anticipée qui le verrait affronter Marine Le Pen au second tour avec le soutien fantasmé d’un nouveau front républicain. Il se trompe. Les Français attendent que notre pays soit dirigé, y compris ceux qui ont voté pour le Nouveau Front Populaire. Ils n’ont pas leur œil sur 2027, mais sur la fin du mois et sur les enjeux du moment. Les calculs politiques et les coups de billard à trois bandes ne paient pas. Ils sont dérisoires et incompréhensibles. L’incapacité du Nouveau Front Populaire à s’accorder est comme un refus d’obstacle. Il existait une fenêtre d’opportunité au soir du 7 juillet, qui requérait de savoir tendre la main à d’autres partenaires dans l’Hémicycle. Elle s’est désormais refermée.
La culture politique française doit vraiment évoluer. Ce rejet tripal du compromis conduit à une impasse politique consternante. Partout en Europe, des coalitions se forment entre adversaires, une fois les résultats d’une élection proclamés. Ces coalitions travaillent et réussissent. Pourquoi donc chez nous, ce qui existe favorablement ailleurs serait impossible ? Pourquoi le compromis vécu vertueusement dans nombre de démocraties parlementaires européennes est-il perçu comme une compromission en France ? Il est temps de changer, d’évoluer, de voir le monde autrement que sous la loupe franco-française de la Vème République, laquelle n’avait d’ailleurs pas été imaginée par les constituants de 1958 comme requérant des majorités absolues. C’est la pratique politique depuis lors qui a conduit à cette illusion que, faute de majorité absolue, le pays serait perdu. Il faut vouloir en sortir, oser à gauche et – singulièrement au Parti socialiste – rompre, s’il le faut, avec La France Insoumise, accepter au centre et à droite d’agir avec la gauche au sein d’un gouvernement répondant aux attentes, aux colères et aux souffrances des Français. Il n’y a pas de fatalité à ce que la situation actuelle perdure si les responsables politique faisaient le choix courageux de s’élever au-dessus des atavismes.
La France n’est pas une île. L’intérêt de notre pays exige de savoir se sublimer. La politique politicienne n’est en rien à la hauteur des circonstances que nous traversons. Changer ferait beaucoup de bien. Je suis parlementariste dans l’âme. J’ai vu durant mes années à l’Assemblée nationale tout le potentiel citoyen de la vie parlementaire. Je sais aussi combien la Vème République l’a bridé. Ce n’est pas la présidentialisation accrue qui permettra de mener des politiques plus justes et efficaces au service des Français, c’est le renforcement du travail parlementaire. Aurait-on oublié que les parlementaires sont responsables, qu’ils ont le sens de l’intérêt général ? L’erreur d’Emmanuel Macron a été de s’en défier. Il n’était pas écrit en 2017 que cela doive être ainsi. Le Parlement doit être réhabilité et ses prérogatives renforcées. C’est pour cela que je suis partisan d’un changement du mode de scrutin pour l’élection des députés. Il faut passer à la représentation proportionnelle car elle est inhérente à la recherche de coalitions. Briser les tabous et les non-dits est urgent. La vie politique doit respirer, la Constitution aussi. Elle ne peut être corsetée comme elle l’est aujourd’hui, au risque de la suffocation. Ce que nous vivons depuis le 7 juillet montre qu’il faut lucidement donner corps au changement.
La réélection de Yael Braun-Pivet à la Présidence de l’Assemblée nationale ne peut être une restauration des deux années écoulées, comme si des élections législatives n’avaient jamais eu lieu et qu’un message puissant et rageur n’avait pas été adressé par les Français tout récemment. Le vote d’hier peut être mal compris par des millions de personnes qui attendaient autre chose et qui voient revenir le parti défait dans les urnes. Il importe d’en avoir conscience, en particulier pour la recherche d’une majorité de gouvernement. Si la réalité arithmétique empêche le Nouveau Front Populaire de gouverner seul, elle empêche tout autant l’ancienne majorité de le faire aussi, y compris même avec le concours des députés du parti Les Républicains. Il n’y aura de solution que dans le dialogue et l’ouverture entre adversaires d’hier, en empruntant ainsi une voie originale dans notre pays si volontiers clivé. Ce sera la responsabilité de Yaël Braun-Pivet d’y donner corps à l’Assemblée nationale. Cela aurait été aussi celle d’André Chassaigne, que j’apprécie et respecte, s’il avait été élu. Ce signal de l’ouverture est attendu. Depuis le 7 juillet, la réalité du pouvoir a traversé la Seine. Elle est à l’Assemblée nationale. C’est certes un enjeu, mais c’est aussi une chance. Puisse cette chance être saisie.
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La France est belle
J’écris ces lignes dans une chambre d’hôtel de Pau. Pas loin de moi, une petite télévision diffuse les images des Jeux Olympiques de Paris. Il y a une heure, nos rugbymen bleus ont remporté la première médaille d’or pour la France. De la terrasse de l’hôtel un étage plus bas monte une rumeur gourmande, celle qui attend l’exploit, celle qui révèle le bonheur tout simplement aussi. Hier soir, j’étais dans un petit hôtel au bord de la Creuse. J’étais arrivé pile pour la cérémonie d’ouverture des Jeux. Je n’avais pas fait exprès, mais ça tombait quand même bien. Je mourais de faim et ne pouvais me résoudre à jeuner dans ma chambre pour ne pas rater la cérémonie. Manger ou célébrer, je ne pouvais choisir. Une petite table me fut prestement dressée dans le bar, face à un grand écran. C’était un privilège. Au départ, j’étais tout seul, mais quand Zizou remit la flamme à Rafael Nadal deux ou trois heures plus tard, il n’y avait plus une chaise de libre. Et quand Céline Dion reprit l’Hymne à l’amour depuis la Tour Eiffel, il n’y avait plus un œil de sec. Le patron en oubliait de servir les clients, la patronne ne bougeait plus. Le moment était immense. Il tombait des trombes d’eau comme à Paris, mais l’émotion était indescriptible. Tout était sublime, juste, surprenant aussi. C’était la France. C’est la France.
Je suis dans ma transhumance estivale, celle qui me conduit chaque fin de mois de juillet de Bruxelles en Galice. 2 300 kilomètres de route pour retrouver ma famille, installée depuis quelques semaines déjà à La Corogne. J’aime cette longue route que j’accomplis en solitaire. Je la fais en 3 jours, sans me presser, prenant parfois des chemins de traverse pour m’arrêter là où bon me semble. Cela me rappelle mes vacances d’enfant lorsque, assis à l’arrière de la voiture familiale, je voyais défiler avec bonheur les paysages changeants de notre pays, petit Breton à la recherche du premier toit en tuile, comptant les châteaux d’eau en attendant les premiers reliefs. Il y avait moins d’autoroutes qu’aujourd’hui. Et mon père aimait s’arrêter déjeuner, prendre le temps, sentir les régions que nous traversions. J’ai hérité de tout cela. J’ai à jamais dans la tête une géographie de la France par département et la carte des sous-préfectures. Je crois bien que si je m’écoutais, ce ne sont pas trois jours qu’il me faudrait pour rejoindre La Corogne, mais une bonne semaine. Chaque été, je me dis que la France est belle. Je le sais bien pourtant, mais cette vérité me rattrape sous le soleil et parfois la pluie, face à une montagne ou un clocher, dans un petit bistrot ou sur un banc. Notre pays est une source inépuisable d’émotions.
Les Jeux Olympiques lui feront, nous feront du bien. La joie d’hier et celle des semaines à venir rassembleront des millions de personnes. On laissera de côté les angoisses et les colères, l’interrogation sourde et taraudante sur l’avenir, le temps d’une longue fête, le temps de se retrouver. Pensant à ma longue route vers cet autre Finistère, j’imaginais il y a quelques jours que l’esprit des Jeux agirait peut-être comme un baume et que je le ressentirais sur ma route. Je le souhaitais bien sûr. Nous sortons de semaines et de mois suffocants. A l’évidence, le baume est efficace et il est tellement bienvenu. Mon épouse espagnole me dit souvent que les Français sont grognons, râleurs et chauvins. Ce n’est objectivement pas très faux. Mais nous sommes capables aussi d’enthousiasmes indescriptibles, de joies nationales qui rassemblent celles et ceux qui d’ordinaire voient plutôt le ciel tout gris que très bleu. Cela nous dit une chose : non seulement il n’est pas interdit d’être heureux, mais c’est même possible. Je me suis autorisé à l’écrire entre hier soir et ce matin à quelques pisse-vinaigres et autres peine-à-jouir que le bonheur français fait chroniquement enrager. La sinistrose n’est pas ma tasse de thé. Et s’il est un grand remplacement auquel je crois, c’est celui de la déprime par la ferveur collective.
Au temps de mes châteaux d’eau, il y avait une chanson d’été indémodable, Une belle histoire, interprétée par Michel Fugain. « C’est un beau roman, c’est une belle histoire, c’est une romance d’aujourd’hui… », l’histoire d’un type qui rentrait chez lui là-haut vers le brouillard et d’une femme qui descendait dans le Midi. Ils s’étaient trouvés au bord du chemin, sur l’autoroute des vacances, c’était sans doute un jour de chance, ils avaient le ciel à portée de main. Cette chanson s’échappait du petit transistor rouge de mon père, été après été. Je l’attendais. Elle avait pour moi les saveurs des beaux jours, l’odeur des foins et les images des routes de France. Elle annonçait le soleil et l’insouciance. Cinquante ans ou presque après, je me surprends chaque fois à la fredonner durant ma transhumance estivale, comme pour retrouver ce temps lointain. C’est une belle chanson, largement intemporelle. Elle a toujours sens aujourd’hui. J’aime l’été parce que l’air est léger. Je l’aime aussi parce qu’il appelle le rêve et l’espérance. Et comme le chantait Nino Ferrer dans Le Sud, une autre chanson du temps de mes châteaux d’eau, « le temps dure longtemps, et la vie sûrement, plus d’un million d’années et toujours en été ». Je retrouve l’esprit de l’été dans la beauté des paysages de France.
Je n’avais pas envie de finir dans un bouchon ce matin. J’ai traversé la Corrèze par les routes départementales. C’était génial. J’ai pensé à Jacques Chirac. Et à François Hollande aussi. Tulle, Brive-la-Gaillarde, Collonges-la-Rouge. La pluie avait cessé. A la radio, on parlait avec émotion de la cérémonie d’ouverture des Jeux. Je me suis retrouvé sur le Causse. C’était le début du sud. J’avais de l’avance. Pourquoi arriver trop tôt à Pau ? Avant d’aller acheter mon Jurançon, je suis allé voir le col du Tourmalet. Je ne le connaissais que de la télévision. Il me manquait juste le vélo. Il y a une semaine, j’escaladais les cols des Vosges. La fièvre des ascensions me gagne en fin de cinquantaine. Il faudra que je revienne sur ces pentes pyrénéennes. A Sainte-Marie-de-Campan, j’ai aperçu la statue d’Eugène Christophe et sa fameuse fourche réparée chez le forgeron durant le Tour de France de 1913. Mon père connaissait l’histoire par cœur et il me l’avait apprise. Tout en haut du col, la profondeur du ciel était immense. Je me suis arrêté longtemps, comme pour en faire provision. Des cyclistes passionnés grimpaient. Quelques moutons leur disputaient la chaussée. C’était calme et doux. Dans ces paysages, il y avait cette beauté et cette force d’âme qui ne cesseront jamais de m’émouvoir et de me rappeler combien j’aime la France.
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