La France se réveille ce 8 juillet avec une nouvelle législature. Il y a une semaine, l’extrême-droite pouvait conquérir une majorité absolue de députés, peut-être même plus de 300. Elle n’en aura finalement que 143. Dans un réflexe de front républicain, près de 200 candidats qualifiés pour le second tour dans le cadre de triangulaires se sont retirés, permettant le report des voix sur l’adversaire du Rassemblement national. Cette stratégie, mise en place non sans mal, suivie davantage à gauche qu’au centre et à droite, a fonctionné et conduit à la surprise majeure des résultats du second tour. Le Rassemblement national progresse en voix (beaucoup) et en sièges (aussi), mais il ne sera que la troisième force de l’Assemblée nationale derrière Ensemble, la coalition présidentielle, revenue du diable Vauvert, et le Nouveau Front Populaire, arrivé finalement premier. D’un dimanche à l’autre, les choses ont changé du tout au tout et, pour reprendre une expression rugbystique imagée que j’affectionne, les mouches ont changé d’âne. Comme citoyen, je ressens un intense soulagement. Le vote d’hier montre qu’une majorité de Français continue de ne pas considérer le Rassemblement national comme républicain. Une phase politique nouvelle s’ouvre désormais, inconnue et incertaine.
La première vérité, c’est que personne n’a gagné ces élections. Prétendre l’inverse relève du baratin habituel des soirées électorales et d’un déni obstiné de réalité. Lorsque Jean-Luc Mélenchon, sitôt les premiers résultats connus, se précipite à la télévision pour réclamer toute séance tenante le pouvoir et l’application du programme du Nouveau Front Populaire, il défie l’arithmétique de la nouvelle Assemblée nationale et tout simplement le bon sens. Le Nouveau Front Populaire a obtenu 182 sièges, soit à peine 30% des effectifs de l’Assemblée. C’est très loin d’une majorité absolue et ce n’est même pas une majorité relative. Jean-Luc Mélenchon est un illusionniste. Il n’a pas gagné, pas davantage qu’Ensemble, Les Républicains et bien sûr le Rassemblement national. Nous sommes face à une Assemblée sans majorité, ce que nos amis anglo-saxons appellent un hung Parliament. La tripartition progressive de la vie politique française et le front républicain ont mis en échec le clivage qu’entraînait depuis des décennies le scrutin majoritaire uninominal à deux tours et produit une répartition en sièges dans l’Hémicycle qui n’est pas sans rappeler la IVème République. Surtout, cette Assemblée, issue d’une participation électorale très élevée, est on ne peut plus légitime.
Si personne n’a donc gagné, qui aurait perdu ? A écouter les intervenants à la télévision hier soir, personne non plus. Cette seconde vérité est dure à reconnaître car des perdants, il y en a pourtant. Le premier d’entre eux est le Président de la République, qui n’est pas parvenu à justifier une dissolution apparue impulsive, irréfléchie et dangereuse aux yeux des Français. Il en paie le prix fort avec la disparition de quelque 100 sièges de députés par rapport à la précédente législature et surtout, le passage de la réalité du pouvoir de la rive droite à la rive gauche de la Seine si l’Assemblée sait trouver en son sein une solution de gouvernement dans les prochaines semaines. Emmanuel Macron pensait reprendre la main le 9 juin au soir, il l’a perdue. Les Républicains ne sont pas en grande forme non plus. Leur Président est passé avec armes et bagages à l’extrême-droite, emportant avec lui les clés du siège dans un mauvais remake de Fort Chabrol et divisant une formation qui reste cependant puissante dans les territoires, comme le montre son incontournable majorité au Sénat. Curieuse situation qui voit ainsi l’espace central de la vie politique mis en difficulté par le résultat des élections, attaqué sur ses flancs gauche et droite, et pourtant incontournable au moment d’envisager la suite.
Car là est désormais la question : que faire et avec qui ? Pour dire les choses crûment, c’est le parti ou le pays. Si c’est le parti et in fine si c’est 2027 que les leaders politiques ont en tête, rien ne bougera et cette législature n’ira nulle part. A part que le monde continuera de tourner et l’économie avec lui, que la planète continuera de se réchauffer, que Poutine continuera de bombarder l’Ukraine … et qu’il faudra à l’automne doter la France d’un budget pour 2025. La procrastination et les calculs seraient la recette du désastre. Sans doute bande-t-on immanquablement les muscles dans les jours suivant une élection, affirmant à son électorat que bien sûr « on ne lâchera rien », mais les députés nouvellement élus et les états-majors politiques seront pourtant dans le dur dès ce milieu de semaine : il faudra mettre en place une coalition gouvernementale ou des majorités d’idées. Arithmétiquement d’abord et politiquement ensuite, la seule coalition gouvernementale possible reposerait sur Ensemble, Les Républicains et tout ou partie des socialistes et des écologistes. Est-ce souhaitable ? Sans doute. Est-ce imaginable ? Ce n’est pas sûr, malheureusement. Alternativement, des majorités d’idées par sujet, à l’instar de la pratique au Parlement européen, pourraient être envisagées dans l’Hémicycle.
Pour que l’un ou l’autre de ces scénarios fonctionne, il faudra en tout état de cause que le Président de la République nomme un Premier ministre et un gouvernement. Ce sera, affirmons-le, une cohabitation. La coalition gouvernementale esquissée ci-dessus devrait être dirigée par une personnalité équidistante des familles politiques concernées, avec l’autorité nécessaire pour s’imposer aux ministres et tenir le rang avec le Président de la République. Dans l’hypothèse de majorités d’idées, une personnalité apolitique, haut-fonctionnaire national ou international, pourrait s’imposer. Encore faudrait-il qu’elle maîtrise la science de la vie parlementaire car la réalité du pouvoir se trouvera largement à l’Assemblée nationale. Si ni la coalition gouvernementale, ni les majorités d’idées ne fonctionnaient, l’année à venir serait redoutable pour la France avec l’incertitude sur l’adoption du budget à l’automne et la certitude à l’été prochain d’une nouvelle dissolution, une fois le délai constitutionnel d’un an expiré. Cela placerait alors le Rassemblement national dans la situation de l’emporter en arguant, au regard d’une année perdue, de l’incapacité des autres forces politiques à agir pour le pays au-delà d’un front républicain de circonstances.
Voilà tout l’enjeu. Comme citoyen, comme ancien député, je veux voir dans la nouvelle Assemblée nationale une opportunité pour travailler différemment, à l’écoute les uns des autres. La vie politique crève de la verticalité, du sectarisme et de la caporalisation des députés par le pouvoir exécutif. Une Assemblée sans majorité est une chance d’agir autrement et il faut la saisir. Un échec ouvrirait en grand les portes du pouvoir à l’extrême-droite, sans aucune barrière cette fois-ci. C’est pour cela que c’est au pays qu’il faut penser et à lui seul. Aux élections législatives, les Français ont exprimé leurs souffrances, leurs colères, leur angoisse du déclassement et de l’invisibilisation, leur soif de justice sociale avec une force inouïe. Il faut entendre cet appel à l’aide des catégories populaires et des classes moyennes et y consacrer le cœur de l’action de la nouvelle législature. C’est maintenant qu’il faut y aller, pas demain, pas en 2027. Cela commande d’élever le débat politique au-delà des postures, de rechercher le dépassement et de vouloir agir ensemble, loin des clivages et des rivalités. C’est un test pour la démocratie française et pour notre société. Je veux imaginer que ce soit possible. Il le faut. Notre pays s’est exprimé. Il requiert que l’on s’occupe de lui, humblement, fermement et justement.
Les mouches ont changé d’âne
La France se réveille ce 8 juillet avec une nouvelle législature. Il y a une semaine, l’extrême-droite pouvait conquérir une majorité absolue de députés, peut-être même plus de 300. Elle n’en aura finalement que 143. Dans un réflexe de front républicain, près de 200 candidats qualifiés pour le second tour dans le cadre de triangulaires se sont retirés, permettant le report des voix sur l’adversaire du Rassemblement national. Cette stratégie, mise en place non sans mal, suivie davantage à gauche qu’au centre et à droite, a fonctionné et conduit à la surprise majeure des résultats du second tour. Le Rassemblement national progresse en voix (beaucoup) et en sièges (aussi), mais il ne sera que la troisième force de l’Assemblée nationale derrière Ensemble, la coalition présidentielle, revenue du diable Vauvert, et le Nouveau Front Populaire, arrivé finalement premier. D’un dimanche à l’autre, les choses ont changé du tout au tout et, pour reprendre une expression rugbystique imagée que j’affectionne, les mouches ont changé d’âne. Comme citoyen, je ressens un intense soulagement. Le vote d’hier montre qu’une majorité de Français continue de ne pas considérer le Rassemblement national comme républicain. Une phase politique nouvelle s’ouvre désormais, inconnue et incertaine.
La première vérité, c’est que personne n’a gagné ces élections. Prétendre l’inverse relève du baratin habituel des soirées électorales et d’un déni obstiné de réalité. Lorsque Jean-Luc Mélenchon, sitôt les premiers résultats connus, se précipite à la télévision pour réclamer toute séance tenante le pouvoir et l’application du programme du Nouveau Front Populaire, il défie l’arithmétique de la nouvelle Assemblée nationale et tout simplement le bon sens. Le Nouveau Front Populaire a obtenu 182 sièges, soit à peine 30% des effectifs de l’Assemblée. C’est très loin d’une majorité absolue et ce n’est même pas une majorité relative. Jean-Luc Mélenchon est un illusionniste. Il n’a pas gagné, pas davantage qu’Ensemble, Les Républicains et bien sûr le Rassemblement national. Nous sommes face à une Assemblée sans majorité, ce que nos amis anglo-saxons appellent un hung Parliament. La tripartition progressive de la vie politique française et le front républicain ont mis en échec le clivage qu’entraînait depuis des décennies le scrutin majoritaire uninominal à deux tours et produit une répartition en sièges dans l’Hémicycle qui n’est pas sans rappeler la IVème République. Surtout, cette Assemblée, issue d’une participation électorale très élevée, est on ne peut plus légitime.
Si personne n’a donc gagné, qui aurait perdu ? A écouter les intervenants à la télévision hier soir, personne non plus. Cette seconde vérité est dure à reconnaître car des perdants, il y en a pourtant. Le premier d’entre eux est le Président de la République, qui n’est pas parvenu à justifier une dissolution apparue impulsive, irréfléchie et dangereuse aux yeux des Français. Il en paie le prix fort avec la disparition de quelque 100 sièges de députés par rapport à la précédente législature et surtout, le passage de la réalité du pouvoir de la rive droite à la rive gauche de la Seine si l’Assemblée sait trouver en son sein une solution de gouvernement dans les prochaines semaines. Emmanuel Macron pensait reprendre la main le 9 juin au soir, il l’a perdue. Les Républicains ne sont pas en grande forme non plus. Leur Président est passé avec armes et bagages à l’extrême-droite, emportant avec lui les clés du siège dans un mauvais remake de Fort Chabrol et divisant une formation qui reste cependant puissante dans les territoires, comme le montre son incontournable majorité au Sénat. Curieuse situation qui voit ainsi l’espace central de la vie politique mis en difficulté par le résultat des élections, attaqué sur ses flancs gauche et droite, et pourtant incontournable au moment d’envisager la suite.
Car là est désormais la question : que faire et avec qui ? Pour dire les choses crûment, c’est le parti ou le pays. Si c’est le parti et in fine si c’est 2027 que les leaders politiques ont en tête, rien ne bougera et cette législature n’ira nulle part. A part que le monde continuera de tourner et l’économie avec lui, que la planète continuera de se réchauffer, que Poutine continuera de bombarder l’Ukraine … et qu’il faudra à l’automne doter la France d’un budget pour 2025. La procrastination et les calculs seraient la recette du désastre. Sans doute bande-t-on immanquablement les muscles dans les jours suivant une élection, affirmant à son électorat que bien sûr « on ne lâchera rien », mais les députés nouvellement élus et les états-majors politiques seront pourtant dans le dur dès ce milieu de semaine : il faudra mettre en place une coalition gouvernementale ou des majorités d’idées. Arithmétiquement d’abord et politiquement ensuite, la seule coalition gouvernementale possible reposerait sur Ensemble, Les Républicains et tout ou partie des socialistes et des écologistes. Est-ce souhaitable ? Sans doute. Est-ce imaginable ? Ce n’est pas sûr, malheureusement. Alternativement, des majorités d’idées par sujet, à l’instar de la pratique au Parlement européen, pourraient être envisagées dans l’Hémicycle.
Pour que l’un ou l’autre de ces scénarios fonctionne, il faudra en tout état de cause que le Président de la République nomme un Premier ministre et un gouvernement. Ce sera, affirmons-le, une cohabitation. La coalition gouvernementale esquissée ci-dessus devrait être dirigée par une personnalité équidistante des familles politiques concernées, avec l’autorité nécessaire pour s’imposer aux ministres et tenir le rang avec le Président de la République. Dans l’hypothèse de majorités d’idées, une personnalité apolitique, haut-fonctionnaire national ou international, pourrait s’imposer. Encore faudrait-il qu’elle maîtrise la science de la vie parlementaire car la réalité du pouvoir se trouvera largement à l’Assemblée nationale. Si ni la coalition gouvernementale, ni les majorités d’idées ne fonctionnaient, l’année à venir serait redoutable pour la France avec l’incertitude sur l’adoption du budget à l’automne et la certitude à l’été prochain d’une nouvelle dissolution, une fois le délai constitutionnel d’un an expiré. Cela placerait alors le Rassemblement national dans la situation de l’emporter en arguant, au regard d’une année perdue, de l’incapacité des autres forces politiques à agir pour le pays au-delà d’un front républicain de circonstances.
Voilà tout l’enjeu. Comme citoyen, comme ancien député, je veux voir dans la nouvelle Assemblée nationale une opportunité pour travailler différemment, à l’écoute les uns des autres. La vie politique crève de la verticalité, du sectarisme et de la caporalisation des députés par le pouvoir exécutif. Une Assemblée sans majorité est une chance d’agir autrement et il faut la saisir. Un échec ouvrirait en grand les portes du pouvoir à l’extrême-droite, sans aucune barrière cette fois-ci. C’est pour cela que c’est au pays qu’il faut penser et à lui seul. Aux élections législatives, les Français ont exprimé leurs souffrances, leurs colères, leur angoisse du déclassement et de l’invisibilisation, leur soif de justice sociale avec une force inouïe. Il faut entendre cet appel à l’aide des catégories populaires et des classes moyennes et y consacrer le cœur de l’action de la nouvelle législature. C’est maintenant qu’il faut y aller, pas demain, pas en 2027. Cela commande d’élever le débat politique au-delà des postures, de rechercher le dépassement et de vouloir agir ensemble, loin des clivages et des rivalités. C’est un test pour la démocratie française et pour notre société. Je veux imaginer que ce soit possible. Il le faut. Notre pays s’est exprimé. Il requiert que l’on s’occupe de lui, humblement, fermement et justement.