Alors que le mois d’août tirait à sa fin, une séquence à la télévision avait attiré mon attention : les adieux soigneusement organisés de Bruno Le Maire dans la cour de Bercy, acclamé par un cercle d’amis et sans doute aussi de fonctionnaires venus pour faire foule. Le gouvernement était encore en affaires courantes, l’incertitude régnait toujours quant à l’identité du successeur de Gabriel Attal, mais le ministre de l’Economie mettait déjà en scène son départ. Je n’aime pas la politique spectacle et les égos boursoufflés. Cette séquence m’avait choqué. Il n’est pas interdit de rester modeste, même après un record de 7 années à Bercy. Les craintes, les angoisses et les colères exprimées rageusement par les Français aux élections législatives quelques semaines plus tôt auraient justifié une expression sobre. La dégradation des finances publiques, connue du ministre et non-encore de nos compatriotes, le requérait encore davantage, car un déficit budgétaire de 6,2% au lieu de 4,4% relève clairement de l’accident industriel. Depuis combien de temps le ministre et ses services connaissaient-ils la réalité de cette catastrophe pour l’action publique ? En étaient-ils informés lorsque la dissolution de l’Assemblée nationale a été décidée le 9 juin ? Les Français seraient légitimes à obtenir réponse.
Au regard des difficultés du pays et de sa désindustrialisation, il fallait conduire une politique économique favorable à l’offre, mais lucide et responsable aussi. Cette politique a contribué sans nul doute à la chute du chômage et au regain d’attractivité de la France, mais il n’en est résulté aucun rebond notable des recettes fiscales. Or, l’idée était que l’augmentation du niveau d’activité et d’emploi contribuerait à rééquilibrer nos comptes. Les quelque 60 milliards d’Euros de baisses d’impôts votés ces 7 dernières années n’ont ainsi été compensés ni par des recettes supplémentaires ni par des économies, et la seule solution était dès lors l’endettement. Au second trimestre de cette année, la dette de la France a augmenté de 1,5 point. C’est vertigineux. Elle atteint 113% du PIB. Seules l’Italie et la Grèce font plus mal en Europe. Les intérêts à payer pour la rembourser excéderont les 50 milliards d’Euros en 2024. Ils représentent déjà le second poste de dépenses derrière l’éducation nationale et pourraient bientôt le dépasser. Les exigences de rendement de nos créanciers internationaux sont désormais plus élevées au regard de la dégradation des comptes publics. Ils jugent la dette française plus risquée que celle de l’Espagne et presque autant que celle de la Grèce.
Notre souveraineté est en jeu
Il est impossible de continuer ainsi, sauf à se rapprocher chaque mois davantage d’une crise financière redoutable dont les Français seraient les premières victimes. La souveraineté de la France, c’est-à-dire notre capacité de décider nous-mêmes de nos choix collectifs, est en jeu. Nous pouvons la perdre et voir les décisions se prendre sans nous et contre nous à Francfort, Washington ou ailleurs, faute de descendre à temps du tobogan budgétaire sur lequel nous glissons au risque définitif de la perte de contrôle. Il y a urgence à rompre avec le déni de réalité, l’inconséquence, le clientélisme et les postures qui prévalent sur une large part du spectre politique. J’aurais souhaité que Bernard Cazeneuve soit appelé à Matignon par égard à la dynamique des élections législatives et à leurs résultats. Je respecte pour autant Michel Barnier et j’espère qu’il réussira. C’est une gageure de constituer un projet de budget en deux ou trois semaines dans un contexte aussi dégradé. Il faut trouver le bon dosage entre réduction de la dépense publique et augmentation des impôts sans mettre l’économie en récession. Ne travailler que sur la réduction de la dépense publique ou l’augmentation des impôts ramènerait le chômage de masse et réduirait à néant les progrès faits pour la réindustrialisation de la France.
Il est temps de rompre avec bien des totems et des tabous. Je suis un homme de gauche. La social-démocratie est ma famille politique. Je crois en la dépense publique et en l’action protectrice de l’Etat, pour peu qu’elles soient calibrées, mesurées et efficaces. Il ne serait pas choquant d’apprécier régulièrement la qualité de la dépense publique, ligne par ligne, et son impact réel sur les Français. Le totem, c’est de considérer toute dépense comme un acquis qu’il serait inconvenant par principe de vouloir évaluer et encore moins de remettre en cause. Le totem, c’est aussi de taxer toujours plus, de prétendre « aller chercher l’argent là où il est », comme si l’impôt était une fin en soi et que les fortunes n’étaient pas volatiles. Il y a des dépenses publiques nécessaires, des dépenses publiques qui sont même cruellement manquantes, et aussi des dépenses publiques qui ne servent à rien, parce qu’elles sont redondantes ou inefficaces. Ecrire cela, ce n’est pas cesser d’être de gauche, c’est même au contraire l’être pleinement. Il faut mettre l’argent là où cela fait sens, là où cela change la vie, répare les inégalités de destins et donne à chacun sa chance dans une société en mouvement et un pays qui protège. Je regrette que la gauche, prisonnière de LFI, ait renoncé à cette lucidité.
Les totems et les tabous, on les retrouve aussi dans la majorité très relative de Michel Barnier. Le refus obstiné de Gabriel Attal de relever les impôts confine à l’autisme politique. Il ne faudrait rien toucher aux fondamentaux du macronisme, comme si les élections législatives n’avaient pas été une défaite pour l’ancienne majorité et le non-financement de la politique de l’offre n’expliquait pas la dégradation des comptes publics. N’agir que sur les seules dépenses serait la garantie d’une souffrance sociale insupportable. N’est-il pas temps de faire preuve, là aussi, de lucidité et d’humilité ? Quant à la droite, et notamment au parti Les Républicains qui voudrait également n’agir que sur les dépenses, aurait-elle oublié ses revendications dépensières d’il y a quelques mois sur les boucliers énergétiques et le prix des carburants ? Où est la cohérence lorsque, dans l’opposition, le clientélisme l’emporte sur la responsabilité, puis dans la majorité, l’insensibilité sociale s’impose sans autre forme de procès ? Et, quitte à balayer tout le spectre politique, n’oublions pas bien sûr le Rassemblement national, qui voit dans la lutte contre l’immigration et les étrangers les solutions à tous les malheurs budgétaires de la France. La xénophobie au pouvoir serait ainsi un gage de sérieux financier. C’est à pleurer.
Rassembler pour redresser
Le projet de budget présenté par Michel Barnier a le mérite d’exister, mais il est loin d’être parfait. Il faudrait qu’il soit débattu, amendé et coconstruit avec la représentation nationale dans un souci de responsabilité à la hauteur de la gravité du moment. Je doute cependant que ce soit le cas tant il n’est question que de censure, recours à l’article 49.3 ou pas. Là est toute ma crainte : jamais l’atomisation du jeu politique, les calculs des uns et des autres, et la faiblesse de la majorité relative ne permettront de prendre des décisions fortes, de les présenter utilement aux Français et de trouver auprès d’eux la base de confiance nécessaire pour redresser durablement nos comptes. Or, il le faut. Rien sans cela n’est possible. Le redressement requiert une légitimité exceptionnelle et force est de constater qu’elle n’est pas au rendez-vous. Les esprits visent 2027 alors que tant se jouera dans les prochaines semaines et en 2025, et cela ne pourra se résumer à quelques décisions prises sans grand cap au fil de l’eau. Ce n’est pas de cabotage et de navigation à vue dont il est besoin, c’est de barreur et d’équipage de gros temps. Et donc de courage. Je crois que la parole devra être rendue aux Français en 2025. Si ce devait être par une dissolution, la nouvelle Assemblée devrait être élue à la proportionnelle.
L’hostilité française au compromis est une plaie politique. La proportionnelle force le compromis post-électoral. Les électeurs ne votent plus pour faire barrage, mais enfin pour leurs idées. Autour de nous, bien des démocraties parlementaires nous l’enseignent. Les résultats posés, chaque famille politique peut ensuite marcher vers les autres afin de dégager un contenu décisionnel pour l’action publique. La France peut le faire aussi. Sur le climat, sur l’innovation, sur la sécurité, il nous faudra investir résolument. C’est la clé de notre avenir et cela doit rassembler. Comme devront rassembler les choix de renoncer à certains postes de dépenses, parce que gouverner, ainsi que l’écrivait Pierre Mendes France, c’est choisir. Comme devra rassembler aussi l’exigence de justice et d’équité. Il n’est pas insupportable que les plus aisés des bénéficiaires du « quoi qu’il en coûte », entreprises et ménages, soient appelés à contribuer par un effort fiscal au redressement du pays. C’est une question de solidarité, de patriotisme et de loyauté. Il y a une différence entre les convictions et le dogmatisme. Les convictions peuvent se rencontrer. Le dogmatisme, à l’inverse, conduit à l’échec. La France ne peut se payer le luxe de l’échec. Dans la situation présente, il y a désormais tout un pays à sauver.
Un pays à sauver
Alors que le mois d’août tirait à sa fin, une séquence à la télévision avait attiré mon attention : les adieux soigneusement organisés de Bruno Le Maire dans la cour de Bercy, acclamé par un cercle d’amis et sans doute aussi de fonctionnaires venus pour faire foule. Le gouvernement était encore en affaires courantes, l’incertitude régnait toujours quant à l’identité du successeur de Gabriel Attal, mais le ministre de l’Economie mettait déjà en scène son départ. Je n’aime pas la politique spectacle et les égos boursoufflés. Cette séquence m’avait choqué. Il n’est pas interdit de rester modeste, même après un record de 7 années à Bercy. Les craintes, les angoisses et les colères exprimées rageusement par les Français aux élections législatives quelques semaines plus tôt auraient justifié une expression sobre. La dégradation des finances publiques, connue du ministre et non-encore de nos compatriotes, le requérait encore davantage, car un déficit budgétaire de 6,2% au lieu de 4,4% relève clairement de l’accident industriel. Depuis combien de temps le ministre et ses services connaissaient-ils la réalité de cette catastrophe pour l’action publique ? En étaient-ils informés lorsque la dissolution de l’Assemblée nationale a été décidée le 9 juin ? Les Français seraient légitimes à obtenir réponse.
Au regard des difficultés du pays et de sa désindustrialisation, il fallait conduire une politique économique favorable à l’offre, mais lucide et responsable aussi. Cette politique a contribué sans nul doute à la chute du chômage et au regain d’attractivité de la France, mais il n’en est résulté aucun rebond notable des recettes fiscales. Or, l’idée était que l’augmentation du niveau d’activité et d’emploi contribuerait à rééquilibrer nos comptes. Les quelque 60 milliards d’Euros de baisses d’impôts votés ces 7 dernières années n’ont ainsi été compensés ni par des recettes supplémentaires ni par des économies, et la seule solution était dès lors l’endettement. Au second trimestre de cette année, la dette de la France a augmenté de 1,5 point. C’est vertigineux. Elle atteint 113% du PIB. Seules l’Italie et la Grèce font plus mal en Europe. Les intérêts à payer pour la rembourser excéderont les 50 milliards d’Euros en 2024. Ils représentent déjà le second poste de dépenses derrière l’éducation nationale et pourraient bientôt le dépasser. Les exigences de rendement de nos créanciers internationaux sont désormais plus élevées au regard de la dégradation des comptes publics. Ils jugent la dette française plus risquée que celle de l’Espagne et presque autant que celle de la Grèce.
Notre souveraineté est en jeu
Il est impossible de continuer ainsi, sauf à se rapprocher chaque mois davantage d’une crise financière redoutable dont les Français seraient les premières victimes. La souveraineté de la France, c’est-à-dire notre capacité de décider nous-mêmes de nos choix collectifs, est en jeu. Nous pouvons la perdre et voir les décisions se prendre sans nous et contre nous à Francfort, Washington ou ailleurs, faute de descendre à temps du tobogan budgétaire sur lequel nous glissons au risque définitif de la perte de contrôle. Il y a urgence à rompre avec le déni de réalité, l’inconséquence, le clientélisme et les postures qui prévalent sur une large part du spectre politique. J’aurais souhaité que Bernard Cazeneuve soit appelé à Matignon par égard à la dynamique des élections législatives et à leurs résultats. Je respecte pour autant Michel Barnier et j’espère qu’il réussira. C’est une gageure de constituer un projet de budget en deux ou trois semaines dans un contexte aussi dégradé. Il faut trouver le bon dosage entre réduction de la dépense publique et augmentation des impôts sans mettre l’économie en récession. Ne travailler que sur la réduction de la dépense publique ou l’augmentation des impôts ramènerait le chômage de masse et réduirait à néant les progrès faits pour la réindustrialisation de la France.
Il est temps de rompre avec bien des totems et des tabous. Je suis un homme de gauche. La social-démocratie est ma famille politique. Je crois en la dépense publique et en l’action protectrice de l’Etat, pour peu qu’elles soient calibrées, mesurées et efficaces. Il ne serait pas choquant d’apprécier régulièrement la qualité de la dépense publique, ligne par ligne, et son impact réel sur les Français. Le totem, c’est de considérer toute dépense comme un acquis qu’il serait inconvenant par principe de vouloir évaluer et encore moins de remettre en cause. Le totem, c’est aussi de taxer toujours plus, de prétendre « aller chercher l’argent là où il est », comme si l’impôt était une fin en soi et que les fortunes n’étaient pas volatiles. Il y a des dépenses publiques nécessaires, des dépenses publiques qui sont même cruellement manquantes, et aussi des dépenses publiques qui ne servent à rien, parce qu’elles sont redondantes ou inefficaces. Ecrire cela, ce n’est pas cesser d’être de gauche, c’est même au contraire l’être pleinement. Il faut mettre l’argent là où cela fait sens, là où cela change la vie, répare les inégalités de destins et donne à chacun sa chance dans une société en mouvement et un pays qui protège. Je regrette que la gauche, prisonnière de LFI, ait renoncé à cette lucidité.
Les totems et les tabous, on les retrouve aussi dans la majorité très relative de Michel Barnier. Le refus obstiné de Gabriel Attal de relever les impôts confine à l’autisme politique. Il ne faudrait rien toucher aux fondamentaux du macronisme, comme si les élections législatives n’avaient pas été une défaite pour l’ancienne majorité et le non-financement de la politique de l’offre n’expliquait pas la dégradation des comptes publics. N’agir que sur les seules dépenses serait la garantie d’une souffrance sociale insupportable. N’est-il pas temps de faire preuve, là aussi, de lucidité et d’humilité ? Quant à la droite, et notamment au parti Les Républicains qui voudrait également n’agir que sur les dépenses, aurait-elle oublié ses revendications dépensières d’il y a quelques mois sur les boucliers énergétiques et le prix des carburants ? Où est la cohérence lorsque, dans l’opposition, le clientélisme l’emporte sur la responsabilité, puis dans la majorité, l’insensibilité sociale s’impose sans autre forme de procès ? Et, quitte à balayer tout le spectre politique, n’oublions pas bien sûr le Rassemblement national, qui voit dans la lutte contre l’immigration et les étrangers les solutions à tous les malheurs budgétaires de la France. La xénophobie au pouvoir serait ainsi un gage de sérieux financier. C’est à pleurer.
Rassembler pour redresser
Le projet de budget présenté par Michel Barnier a le mérite d’exister, mais il est loin d’être parfait. Il faudrait qu’il soit débattu, amendé et coconstruit avec la représentation nationale dans un souci de responsabilité à la hauteur de la gravité du moment. Je doute cependant que ce soit le cas tant il n’est question que de censure, recours à l’article 49.3 ou pas. Là est toute ma crainte : jamais l’atomisation du jeu politique, les calculs des uns et des autres, et la faiblesse de la majorité relative ne permettront de prendre des décisions fortes, de les présenter utilement aux Français et de trouver auprès d’eux la base de confiance nécessaire pour redresser durablement nos comptes. Or, il le faut. Rien sans cela n’est possible. Le redressement requiert une légitimité exceptionnelle et force est de constater qu’elle n’est pas au rendez-vous. Les esprits visent 2027 alors que tant se jouera dans les prochaines semaines et en 2025, et cela ne pourra se résumer à quelques décisions prises sans grand cap au fil de l’eau. Ce n’est pas de cabotage et de navigation à vue dont il est besoin, c’est de barreur et d’équipage de gros temps. Et donc de courage. Je crois que la parole devra être rendue aux Français en 2025. Si ce devait être par une dissolution, la nouvelle Assemblée devrait être élue à la proportionnelle.
L’hostilité française au compromis est une plaie politique. La proportionnelle force le compromis post-électoral. Les électeurs ne votent plus pour faire barrage, mais enfin pour leurs idées. Autour de nous, bien des démocraties parlementaires nous l’enseignent. Les résultats posés, chaque famille politique peut ensuite marcher vers les autres afin de dégager un contenu décisionnel pour l’action publique. La France peut le faire aussi. Sur le climat, sur l’innovation, sur la sécurité, il nous faudra investir résolument. C’est la clé de notre avenir et cela doit rassembler. Comme devront rassembler les choix de renoncer à certains postes de dépenses, parce que gouverner, ainsi que l’écrivait Pierre Mendes France, c’est choisir. Comme devra rassembler aussi l’exigence de justice et d’équité. Il n’est pas insupportable que les plus aisés des bénéficiaires du « quoi qu’il en coûte », entreprises et ménages, soient appelés à contribuer par un effort fiscal au redressement du pays. C’est une question de solidarité, de patriotisme et de loyauté. Il y a une différence entre les convictions et le dogmatisme. Les convictions peuvent se rencontrer. Le dogmatisme, à l’inverse, conduit à l’échec. La France ne peut se payer le luxe de l’échec. Dans la situation présente, il y a désormais tout un pays à sauver.