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Mon ami Avi

Septembre 2022, à Louvain-la-Neuve (Belgique)

Avi Assouly était mon ami. Sa soudaine disparition le 14 février m’a beaucoup peiné. Avi était tellement plein de vie qu’il m’est difficile d’imaginer qu’il n’en est plus, de cette vie qu’il embrassait avec passion et tant de bonté. J’ai encore le sentiment qu’un message m’arrivera bientôt qui commencera par le même « Salut, frérot, tu as vu le dernier match de l’OM ! ». La réalité, malheureusement, est tristement rude. Avi est passé de l’autre côté du miroir et nous sommes nombreux à le pleurer. Il me manque comme à tant d’autres. Depuis deux semaines, je suis retourné souvent sur sa page Facebook, là où il nous racontait des tas de trucs, à commencer par les matchs de l’OM vécus depuis les hauteurs du Vélodrome, photos et commentaires détaillés à l’appui, comme au temps où il était derrière le micro de France Bleu Provence. Lisant Avi live les soirs de matchs, j’avais l’impression de l’entendre. Derrière ses mots, il y avait sa voix, unique, inimitable, chaleureuse, irrésistible. Avi affichait un enthousiasme contagieux. Dans notre époque morose, glauque et rageuse, il était un rayon de soleil bienvenu. Contre lui, les pisse-vinaigres et autres passe-murailles tristounes comme un jour sans pain ne pouvaient rien. KO technique assuré pour eux et joie sans limite pour nous. Tout cela, c’était Avi.

Avi et moi nous sommes connus dans l’Hémicycle de l’Assemblée nationale. Il était assis derrière moi. L’Hémicycle est un lieu solennel et nous étions bien sûr toute ouïe pour les orateurs successifs, sérieux comme des papes et concentrés comme jamais lorsque venait notre tour de parler. Mais il faut reconnaître aussi que les séances étaient parfois longues, surtout la nuit, et que le bavardage, comme des élèves dissipés au fond des salles de classe – le radiateur en moins – était sans doute pardonnable dans ces conditions. C’est comme cela que j’ai engagé l’échange avec Avi et que nous l’avons poursuivi des années. On a causé, puis on a souri, puis on a ri, beaucoup. Un humour potache s’est ainsi installé en haut et au centre de l’Hémicycle. A 3 heures du matin, après des heures de débats, cela faisait tellement de bien. Le président de séance nous regardait, parfois sévèrement et sans doute plus souvent avec envie. Il devait observer les mêmes 3 ou 4 député(e)s hilares depuis la solitude de son perchoir. Avi avait un don hallucinant pour raconter des histoires à voix basse et avec un vocabulaire fleuri. Je dois avouer – il y a désormais prescription – qu’il m’est arrivé de devoir filer par la sortie de secours derrière nos bancs pour libérer un fou-rire que je ne parvenais plus à maîtriser.

Avi était authentique et fidèle. Le fondu de foot que je suis était un bon client. Et comme en plus j’aime l’OM, nous étions destinés à devenir copains. Il m’avait tout appris de la science du catenaccio, l’air navré et faussement grognon, car ce n’était pas le foot qu’il aimait. Le foot d’Avi, ce n’était pas un but et le verrou, c’était des buts, des tas de buts, de la joie, de l’intuition. Il me racontait ses grands matchs, ceux que j’avais vus, plus jeune, à la télévision. Ces matchs avaient parfois 20 ans et plus, mais l’émotion qui accompagnait ses paroles me donnaient le frisson. J’avais presque l’impression d’être assis à côté de lui dans la tribune de presse. Il y avait aussi son Panthéon personnel de l’OM et du ballon rond : Basile, Chris, Abedi, Pixie, Fabrizio, Zizou et quelques autres. Et bien sûr Tapie, le boss, pour qui il avait une admiration et une reconnaissance éternelle. Avi m’avait raconté Furiani, le 5 mai 1992, les jours de coma, les mois de souffrance, le sentiment, la certitude même que Tapie lui avait sauvé la vie. Il avait des anecdotes à la pelle sur le boss, ses appels, les voyages en avion avec lui, la passion dévorante d’un club et d’une ville. J’adorais ces moments-là. Lorsqu’Avi quitta l’Assemblée au printemps 2014, j’en fus atterré. Je pris une photo de sa dernière intervention en séance en nous jurant de nous retrouver.

Je mettrai du temps à utiliser le passé pour parler d’Avi. Je crois que l’on ne rencontre pas beaucoup de gens comme lui dans une vie. Nous étions proches par l’amitié, proches aussi politiquement. Nous siégions ensemble à la commission des affaires étrangères. Son regard sur les affaires internationales m’était précieux. J’ai quitté la politique en 2018. On se donnait des nouvelles. On se lisait l’un l’autre sur les réseaux sociaux. Il m’avait parlé de son retour aux législatives de 2022 et m’encourageait à revenir avec un tel entrain que l’idée avait fini par me traverser l’esprit. On parlait aussi de business, d’investissements, de livres. Et de foot. La dernière fois que j’ai vu Avi, c’était à Louvain-la-Neuve, en Belgique il y a deux ans. Nous avions déjeuné ensemble, Avi et toute ma famille. Mon fils Pablo avait des yeux ronds comme des soucoupes en l’entendant parler de foot. Le surnom de Pablo est Api. Avi et Api étaient ainsi destinés à être amis. Avi lui avait fait promettre de garder du temps pour l’OM quand nous viendrions à Marseille. J’allais appeler Avi en ces jours de février pour lui dire que le voyage familial à Marseille était enfin programmé pour le mois de mai. A Pablo, j’ai dû expliquer le départ d’Avi et ma grande peine. Ce fut aussi la sienne, tant cet échange sur le foot avec Avi l’avait touché.

Nous irons au Vélodrome et notre pensée sera pour Avi. Lorsque nous marcherons sur les collines de Pagnol, ce sera le cas aussi. A Avi, j’avais en effet confessé une bien malheureuse carence : j’aime Marseille, mais je n’y suis jamais allé. Il m’avait dit avec un grand sourire que c’était certes fâcheux, mais qu’il n’était jamais trop tard pour corriger cela. Ce sont les livres et les films qui m’ont fait aimer Marseille (et le foot aussi), au point de devenir incollable sur l’œuvre de Pagnol. Avi s’était amusé de cela : un petit gars du Finistère, devenu député des Français d’Allemagne et d’Europe centrale, établi en Belgique avec sa famille espagnole, connaissait tout de Cigalon, de La Fille du puisatier ou de Marius, Fanny et César. C’est donc que Marseille est universelle, avait-il dit. Bien sûr que oui, avais-je ajouté. Et Avi faisait partie de ces Marseillais qui ne pouvaient que la faire aimer. De lui, je garderai ces discussions heureuses, ces fous-rires, ces déconnades comme il aimait les nommer. Je les garderai avec une immense affection et une infinie reconnaissance. J’ai eu cette grande chance de connaître Avi et son souvenir m’habitera longtemps. Je pense à son épouse Martine, à ses enfants Céline, Eva et Yoni, à ses petits-enfants, à toute sa famille. Je veux leur dire ma sincère amitié et combien leur chagrin est aussi le mien.

30 avril 2014, la dernière question au gouvernement d’Avi à l’Assemblée