Dans un message en date du 26 avril dernier consacré à l’entrée en vigueur du nouveau Règlement n°883-2004 de coordination européenne des mécanismes nationaux de sécurité sociale, je soulignais l’importance de la Directive en discussion depuis 2008 sur la mobilité des patients au sein de l’Union. La levée la semaine passée de la minorité de blocage qui avait empêché la progression de cette Directive au Conseil des Ministres en fin d’année 2009 me donne l’occasion d’y revenir et d’approfondir le propos.
La mobilité des patients correspond en effet à une réalité pour nous, Français de l’étranger. Elu à l’Assemblée des Français de l’Etranger durant plusieurs années, j’ai eu à connaître de situations douloureuses de compatriotes qui, souvent âgés et seuls, souhaitaient subir une opération chirurgicale ou suivre un traitement hospitalier à proximité de leur famille en France. L’état du droit, précisé par la Cour de Justice de l’Union européenne, ne leur laissait cependant que peu d’espoir : l’autorisation préalable de l’Etat d’assurance n’est que très rarement donnée, même lorsque qu’un soin de qualité équivalente, voire meilleure et moins coûteux, peut être dispensé plus rapidement dans un autre Etat membre de l’Union.
Faut-il voir dans cette situation une dose de protectionnisme ? A l’évidence, oui. Les systèmes de santé relèvent de la compétence des Etats membres et il existe peu ou prou, au-delà d’importantes différences entre les modèles de financement des systèmes nationaux, un souci commun de privilégier le corps médical national. Cet argument n’est guère avouable, tant juridiquement que moralement. Qu’un patient souffre des mois ou des années dans l’attente d’une opération alors que celle-ci pourrait être réalisée plus vite dans un autre Etat membre est une situation parfaitement inacceptable. La mobilité des patients est donc légitime.
Le tourisme médical, en revanche, ne l’est pas. Les soins de santé ne sont pas des prestations de service comme les autres et vouloir y accoler une logique de marché unique n’a strictement aucun sens. La mobilité des patients doit nécessairement s’imaginer dans le cadre d’une double contrainte visant à garantir l’accessibilité de l’offre de soins et la maîtrise des dépenses de santé. Le maintien d’une autorisation préalable de l’Etat d’assurance pour bénéficier de soins hospitaliers dans un autre Etat membre se conçoit dans ces conditions, dès lors bien sûr que la décision de l’institution compétente est motivée et susceptible de recours.
L’accord intervenu la semaine passée au Conseil des Ministres maintient la nécessité de l’accord préalable pour les soins hospitaliers. Celui-ci sera en tout état de cause nécessaire si une nuit d’hospitalisation au moins est requise, ou si l’utilisation de techniques médicales onéreuses est envisagée ou bien encore s’il existe des doutes sur le niveau de qualité et de sécurité des soins concernés. Tout cela est pour le moins indéfini, certainement à dessein, et n’augure de ce fait rien de bon quant à l’objectivité des décisions des institutions compétentes des Etats membres. En outre, le patient qui aura bénéficié de l’autorisation préalable devra avancer le paiement des soins et en solliciter ensuite le remboursement auprès de l’Etat membre d’assurance (à hauteur de ce que ce dernier rembourse pour l’acte médical en cause).
Ceci constitue une inégalité sociale inacceptable, réservant de facto la mobilité des patients à une catégorie privilégiée de la population seulement : celle qui pourra prépayer les soins. Aucun des compatriotes qui avaient partagé avec moi leur souhait d’un traitement hospitalier en France n’auraient été en mesure d’y acquitter le prépaiement requis. Il n’y a donc dans l’accord de la semaine passée aucune forme de progrès social.
La présidence espagnole de l’Union européenne, soucieuse de faire progresser la proposition de Directive, est parvenue à lever la minorité de blocage de décembre 2009 (dont elle faisait initialement partie) en apportant une solution aux inquiétudes des Etats membres du sud de l’Europe, qui ne souhaitaient pas devoir supporter le coût des soins de santé transfrontaliers de ressortissants d’autres Etats membres venus s’installer au soleil à l’âge de la retraite. En l’occurrence, ce sera à la sécurité sociale française et non à l’institution espagnole de prendre en charge les coûts des soins hospitaliers en France d’un retraité français installé en Espagne.
Quelle sera l’attitude du Parlement européen sur l’accord intervenu au Conseil ? Le groupe socialiste s’était abstenu en première lecture. J’espère que cette position sera reconduite. L’accord n’apporte pas en effet suffisamment de clarté quant aux droits des patients. Il ignore la situation des patients seuls et âgés. Il laisse de côté la revendication d’un prépaiement des soins hospitaliers entre institutions compétentes concernées, seul susceptible de démocratiser la mobilité des patients. Il ne reprend pas l’idée d’instaurer un médiateur européen chargé d’examiner les litiges concernant les demandes d’autorisation et le calcul des coûts.
Une mobilité des patients qui soit juste et sereine reste à inventer dans le droit et dans les actes. Nous n’y sommes pas. Elle devra également s’appuyer sur le renforcement de la mobilité des personnels de santé entre Etats membres, évacuée en l’occurrence, ainsi que sur la mutualisation des moyens, notamment dans les zones frontalières. Des accords de coopération frontalière existent déjà entre Etats membres ou avec des régions, lorsque certains des Etats partenaires ont une structure fédérale. C’est le cas, par exemple, entre la France, l’Allemagne, la Belgique et l’Espagne. Ces accords sont à renforcer et intensifier.
C’est dans ce cadre plus large qu’une mobilité des patients, ouverte à tous, doit se concevoir.
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