Toute notre attention est – légitimement – tournée vers le mouvement social qui se lève dans notre pays contre la réforme injuste et inefficace des retraites préparée par Nicolas Sarkozy et Eric Woerth. Si je devais retenir une image de ces semaines de lutte, ce serait la très émouvante intervention de Pierre Mauroy dans l’hémicycle du Sénat. En ces temps où la droite est si prompte à crier à l’archaïsme de nos idées et propositions, le rappel des finalités de l’abaissement de l’âge de la retraite était essentiel. Lutter pour les droits des salariés n’est pas archaïque. Ce qui l’est en revanche, c’est ignorer la pénibilité des tâches, l’usure des corps et l’inégalité au regard de l’espérance de vie. Le droit à la retraite ne peut se résumer à un exercice comptable, froid et désincarné. Pas plus que la pénibilité ne doit se confondre avec l’invalidité. Parler retraites, c’est parler d’humanité, de parcours de vie, de solidarité intergénérationnelle. C’est ce que des millions de Français défendent bec et ongle dans la rue depuis des semaines.
La droite a tout faux sur les retraites. Elle l’a également sur le dossier plus large du vieillissement de la population, que l’on ne saurait limiter à la seule question des retraites. Un tiers de la population française aura plus de 60 ans en 2030 et il y aura un actif pour un retraité en 2050. Le Centre d’Analyse Stratégique (CAS) a présenté au mois de juillet dernier un rapport très détaillé qui souligne, nombreux détails à l’appui, le pressant travail qu’il convient de mener pour répondre aux multiples défis du vieillissement. Ce rapport, intitulé «Vivre ensemble plus longtemps», n’a pas reçu, c’est le moins que l’on puisse dire, un grand écho de la part du gouvernement. Ne devrait-ce cependant pas être une priorité de l’action publique au regard du nombre croissant de personnes dépendantes, qui devrait atteindre 1,2 million à la fin de la décennie ? Le vieillissement de la population requiert en effet une profonde remise en cause de la politique sociale, familiale, de santé publique, du logement et de la sécurité.
Prenons les dépenses de santé. Elles croissent avec l’âge. Entre 60 et 80 ans, elles sont 2,5 fois supérieures qu’entre 40 et 49 ans. Elles sont 3,5 fois supérieures après 80 ans. Les quatre risques sur lesquels repose le système français de sécurité sociale (maladie, accidents du travail, famille et retraites) répondent de plus en plus difficilement à la perte d’autonomie. Les plans d’aides aux personnes âgées à domicile sont chroniquement insuffisants quant à leur enveloppe. Le nombre de places en maisons de retraites médicalisées est trop faible et le coût de l’hébergement y reste très élevé. Pire, en décidant de supprimer l’abattement à 15% sur les cotisations des ménages déclarant un employé au salaire réel, quelques mois seulement après la présentation du rapport du CAS, c’est l’une des recommandations essentielles de ce rapport que le gouvernement a choisi d’ignorer : promouvoir le marché du travail des services à la personne.
Comment peut-on en effet prétendre mailler le territoire français, notamment les zones rurales et les petites villes, de services d’aide à domicile lorsque l’on choisit de fragiliser les comptes et les personnels d’associations locales qui, malgré l’aide de Conseils Généraux eux aussi attaqués par le gouvernement, peinent à se maintenir à flot depuis des années ? Le rapport du CAS estime nécessaire d’atteindre un million d’emplois associés au vieillissement en 2025, ce qui se traduirait notamment par un doublement du nombre de prestataires de services à domicile. Comment y parvenir sans programme de long terme, appuyé sur un partenariat négocié avec les collectivités territoriales et sur un budget protégé des coups de ciseaux de Matignon et de Bercy ? Il faut dans ce domaine une action publique pérenne, réhabilitant finalement cette belle idée injustement vouée aux vieilles lunes : le plan.
Imaginons les dépenses nécessaires dans le secteur du logement, des transports et de la sécurité pour faire face au vieillissement de la population. Elles relèvent à la fois du maintien de la personne âgée dans son logement d’origine, moyennant l’aide aux investissements requis par une mobilité réduite (couloirs, escaliers, salles de bains), et de l’accès à l’habitat collectif, souvent recherché après le décès du conjoint ou l’apparition des premiers signes de la perte d’autonomie. Or, le secteur du locatif social est très sous-équipé pour faire face à cette évolution pourtant inéluctable. Le rapport du CAS souligne malheureusement la dispersion des politiques publiques et l’absence de stratégie claire dans le logement. Et que dire enfin de l’adaptation des transports publics, tant en milieu urbain que rural, pour permettre l’accessibilité à la ville ?
Il y a tant à faire. L’effacement progressif des services publics dans l’espace rural et les quartiers va à l’encontre des besoins d’une société qui vieillit, à commencer par celui de la proximité. Il est de bon ton à droite de moquer l’idéal du service public, parce qu’il coûte soi-disant cher à la collectivité et ferait accessoirement des Français les derniers des Mohicans en Europe. Le service public est précisément le rempart contre l’abandon, la rupture de la solidarité nationale, la loi du plus fort ou du plus riche, l’oubli des obligations intergénérationnelles. Le service public, c’est la France et la République pour tous, jeunes, actifs, séniors et désormais aînés. Une bonne part de la réponse au vieillissement de la population se trouve dans le service public, l’autre dans la volonté de donner cohérence et inventivité à une action collective à la hauteur d’un enjeu majeur pour les décennies à venir.