Il doit se trouver trois députés qui, depuis la fin de la semaine passée, tempêtent à n’en point douter contre la main mise de l’Elysée sur la vie parlementaire. Il s’agit de Jean-François Mancel (UMP), André Schneider (UMP) et Hervé Féron (PS). Tous trois avaient co-signés en juin dernier un rapport circonstancié préconisant la suppression pure et simple de la prise en charge (PEC) des frais de scolarité pour les élèves des classes de lycée scolarisés dans l’un des 461 établissements scolaires français à l’étranger. Pour eux, cette vraie-fausse gratuité, décidée par Nicolas Sarkozy sans la moindre étude d’impact en 2007, était injuste, inéquitable et coûteuse. C’est peu dire que leur rapport avait déplu en haut lieu, de sorte qu’une députée UMP, Geneviève Colot, et une Sénatrice UMP, Sophie Joissains, avaient été prestement missionnées pour préparer un autre rapport sur le même sujet, cette fois dans le sens voulu par Nicolas Sarkozy. Mission accomplie : le Rapport Colot-Joissains, remis la semaine passée au Président de la République, fait l’éloge de la PEC et réclame son extension à toutes les classes.
Je conseille la lecture parallèle des deux rapports parlementaires. Elle est édifiante et consternante. Il y a d’un côté un travail sérieux, argumenté, réfléchi et de l’autre un texte relevant davantage de la tartufferie que d’un exercice sincère d’analyse. Il est clair que Geneviève Colot et Sophie Joissains devaient conclure au succès de la PEC. Curieuse conception de la tâche de rapporteur parlementaire, où la commande passée inclut aussi la conclusion souhaitée… L’on apprend ainsi que les très nombreuses inquiétudes remontant des associations de parents d’élèves, corps enseignant et élus de l’étranger depuis 2007 seraient infondées. Certes, petite concession à la critique, quelques établissements auraient, ici et là, fait un peu de gonflette sur les coûts d’écolage, mais la PEC n’en resterait pas moins « une mesure d’équité pour les familles françaises, (…) incitative à l’expatriation pour nos compatriotes, (…) adaptée pour nos entreprises ». Cette conclusion du rapport Colot-Joissains ne résiste pas à l’épreuve des faits.
Les établissements scolaires français à l’étranger coûtent cher. Depuis des années, l’Etat se désengage, laissant à la charge des familles ce qu’il a choisi de ne plus financer. La part de l’Etat dans le financement de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE) est tombée de 60% à près de 35% en 20 ans. Les crédits immobiliers sont rabotés année après année. Idem pour la masse salariale. Les coûts d’écolage grimpent, inexorablement. Et avec la PEC, ils décollent franchement. En effet, la gratuité en lycée se finance par des augmentations dans toutes les autres classes. L’AEFE a dû imposer une contribution de 6% sur les frais de scolarité à ses établissements en gestion directe et conventionnés pour pouvoir faire face. Les écoles vieillissent : il faudrait entre 50 et 100 millions d’Euros pour les moderniser. L’AEFE doit également prendre en charge depuis 2009 les cotisations vieillesse de son personnel. Bref, se développer, faire face à un monde qui change, diffuser la langue et la culture de la France relève de plus en plus pour elle de la mission impossible.
La PEC hypothèque lourdement l’avenir de l’AEFE. C’est une mesure inéquitable, une sorte de petit bouclier fiscal de l’étranger. Elle n’est assortie d’aucune condition de ressources : tout le monde y a le droit. Quelle aubaine pour les familles riches et aussi pour les entreprises françaises, désormais dispensées de financer les coûts d’écolage des enfants de leur personnel! Le contribuable paie plein pot pour tout le monde. Sauf pour les fonctionnaires français, exclus de la mesure au motif qu’ils percevraient des majorations familiales ! Comment parler d’équité dans ces conditions ? D’autant plus que l’accès aux bourses n’est pas facilité dans les autres classes et ce malgré les droits d’écolage en hausse. Comme bien d’autres, vétéran des commissions locales des bourses, j’ai lutté des années contre les réglementations tatillonnes aboutissant à réduire l’aide financière à laquelle des familles françaises de condition modeste avaient le droit dans toutes les classes. A l’arrivée, voir la gratuité accordée sans aucun plafond de revenu me paraît d’une insupportable injustice.
La PEC conduit l’AEFE à l’asphyxie financière. Au-delà du moratoire en cours, lié à la situation budgétaire du pays, le Président de la République a décidé envers et contre tout que cette politique se poursuivrait. Une communication sera même faite en Conseil des Ministres par François Fillon ou son successeur sur base du rapport Colot-Joissains ! Il faut se battre sans relâche contre cette politique, qui alimente un élitisme social détestable, pousse les familles modestes au dehors et fragilisent les établissements. Les conséquences de la PEC se chiffrent en moyenne à 8% de hausse annuelle des droits d’écolage, dans un contexte très incertain de financement des bourses sur critères sociaux.
Que faire ? Supprimer la PEC et fondre ses crédits avec ceux des bourses pour alimenter une enveloppe de bourses d’un peu plus de 100 millions d’Euros. Et augmenter progressivement la dotation de l’Etat à l’AEFE par l’intervention du Ministère de l’Education Nationale.
Ce sont là des idées fortes pour remettre à l’endroit l’école de la République à l’étranger. Et pour mettre la droite française à l’étranger devant son bilan, elle qui applaudit bruyamment et avec une rare impudence à la poursuite d’une mesure inique. A l’image finalement des années Sarkozy, celles qui voient les pauvres payer pour les riches.