L’actualité dense de la semaine passée, entre le G20 de Séoul et le remaniement gouvernemental en France, a éclipsé un débat qui, cependant, présente une grande importance pour l’avenir de l’économie européenne. Il s’agit de la proposition de brevet communautaire présentée par la Commission européenne. Son objectif est de rendre plus simple et moins coûteuse la protection de l’innovation dans les 27 Etats membres de l’Union européenne, et ainsi bénéficier à l’emploi. Le coût actuel du dépôt d’un brevet peut en effet conduire une petite entreprise ou un centre de recherche sans grand moyen à choisir de ne pas déposer son idée et l’exposer de la sorte au risque de la voir pillée dans un contexte de rude concurrence internationale.
Le sujet n’est pas nouveau. Il reste malheureusement encalminé en raison d’une querelle d’ordre linguistique qui, à la lumière des tous derniers débats, semble désormais difficilement réconciliable. Quel est le cadre législatif à ce jour ? Le brevet européen, délivré par l’Office Européen des Brevets (OEB) en vertu de la Convention de Munich de 1973, doit être déposé dans chaque Etat membre de l’Union afin que la protection y soit effective. Cela occasionne pour les entreprises et inventeurs des coûts de traduction élevés, qui peuvent s’avérer dissuasifs. La Commission européenne a ainsi évalué à 25 000 Euros environ les coûts administratifs et légaux relatif au dépôt du même brevet dans les 27 Etats membres. Le système actuel protège certes toutes les langues de l’Union, mais rend le dépôt des brevets bien plus cher qu’aux USA ou encore au Japon.
Il en résulte un handicap en termes de compétitivité pour l’Union. Le système actuel entraine aussi une fragmentation préjudiciable de l’espace européen entre marchés nationaux. Une autre difficulté tient au fait que les tribunaux nationaux peuvent ne pas se prononcer de la même manière sur des affaires pourtant rigoureusement identiques. La proposition de la Commission européenne vise de ce fait à substituer une seule étape aux 27 démarches parallèles à accomplir pour le dépôt du brevet dans chacun des Etats membres de l’Union. Afin de limiter les coûts, la Commission a proposé que le déposant ne publie son texte que dans l’une des trois langues de travail de l’OEB, à savoir le français, l’anglais et l’allemand. Il est prévu aussi qu’une quatrième langue puisse être utilisée à titre transitoire dans l’attente de logiciels de traduction efficaces.
La proposition de la Commission a suscité l’opposition farouche de l’Italie et de l’Espagne. Après toute une nuit de débats le 11 novembre, les discussions ont échoué. La Présidence belge de l’Union européenne avait proposé plusieurs compromis, tous rejetés. L’un d’entre eux était de rembourser les coûts de traduction aux déposants originaires d’un Etat membre n’utilisant pas l’une des trois langues privilégiées dans la proposition de la Commission. L’Espagne a maintenu son opposition à tout système reposant sur le cadre linguistique de l’OEB. L’Italie redoute que ce système désavantage son réseau de PME. Des arguments exprimés fortement, qui se heurtent cependant à la réalité immédiate des dépôts de brevets. Il apparaît en effet que 66% des brevets déposés soient allemands, français et britanniques, contre seulement 8% pour l’Italie et 2% pour l’Espagne.
Deux réunions des Ministres sont encore prévues d’ici la fin de cette année. La cristallisation du débat rend malheureusement improbable qu’une solution soit trouvée. Une solution à 5 langues plutôt que 3 n’a pas de soutien politique. Elle serait aussi en rupture avec le cadre de l’OEB. Plusieurs Etats membres, dont le Royaume-Uni, l’Irlande, la Suède, les Pays-Bas et la Slovénie entendent aller de l’avant si le blocage se confirme. La Présidence belge serait disposée à envisager une coopération renforcée. Il faut pour cela un minimum de 9 Etats membres. Sans doute est-ce le moyen de sortir de l’impasse, sachant l’importance de la question pour la compétitivité de l’Union européenne et pour l’emploi.
Un avis très attendu de la Cour de Justice de l’Union européenne devrait par ailleurs intervenir sous peu sur la possible mise en place d’une juridiction unique pour les brevets en Europe. Cette juridiction offrirait une sécurité juridique renforcée et serait à ce titre un important progrès.
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