C’est étrange comme la fièvre électorale imminente peut conduire certains esprits pourtant bien construits à perdre le sens des choses. Ainsi, la proposition de François Hollande de supprimer la Cour de Justice de la République a été récemment qualifiée par Henri Guaino, conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, d’expression de la « volonté qu’ont certains de détruire pas à pas toutes les institutions, les principes et toutes les valeurs de la République ». Il est difficile de trouver plus radicale affirmation que celle-ci. Voilà François Hollande dépeint en anarchiste notoire et chaudement habillé pour l’hiver ! Et Guaino de continuer, assurant que les Ministres « incarnent l’Etat et donc ils ont une justice spécifique ».
C’est précisément là que la différence d’appréciation se trouve, n’en déplaise à la droite. A l’inverse d’Henri Guaino, il est permis en effet de penser que rien ne justifie le caractère « extraordinaire » d’une justice spécifique au bénéfice des Ministres pour les actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions. Car même dans l’exercice de leurs fonctions, les Ministres sont des citoyens comme les autres. En vertu du principe d’égalité, c’est devant le juge pénal qu’ils doivent comparaître si l’affaire relève du droit pénal. Pas devant une Cour sui generis, majoritairement composée de parlementaires (12 sur 15). Il y a quelque chose de malsain et de peu démocratique à se juger entre pairs.
Ce débat peut apparaître décalé par rapport à l’urgence économique et sociale, j’en conviens volontiers. Il n’en reste pas moins révélateur d’une relation aux choses du pouvoir, qui, elle, n’est pas du tout de l’ordre de l’anecdote. L’exercice du pouvoir doit être simple et le contrôle de l’activité gouvernementale total. Nous en sommes loin, malheureusement. La faute aux institutions de la Vème République comme aussi à ce qu’en ont fait l’actuel Président et ses prédécesseurs. C’est pour cela que la proposition de François Hollande de supprimer la Cour de Justice de la République doit se concevoir dans un cadre plus large de réforme constitutionnelle, avançant vers la VIème République.
Ceci recouvre notamment la révision du statut pénal du Chef de l’Etat, dont on a pu juger de l’absurdité avec le procès Chirac ces derniers mois, près de 30 ans après les faits, parce que 12 années de mandat présidentiel accomplies dans l’intervalle avaient gelé toutes les actions. Le Président de la République peut porter plainte ou se constituer partie civile, mais ne peut être poursuivi devant aucune juridiction, même pour des faits antérieurs à son entrée en fonction ou détachables de l’exercice de son mandat. C’est dire l’étendue de l’immunité pénale dont il jouit et le déséquilibre que cela révèle. De tels privilèges sont incompréhensibles et minent la confiance citoyenne. Il faut y mettre fin.
Avancer vers la VIème République, c’est aussi réhabiliter pleinement le rôle du Parlement, qui doit maîtriser son ordre du jour, assurer le contrôle de l’exécutif, en un mot jouer totalement le rôle politique qui revient à la représentation nationale dans les autres démocraties européennes et malheureusement moins chez nous. Ceci commande de réviser les modes de scrutin pour les élections législatives et sénatoriales afin de représenter plus justement les opinions et les territoires. Les institutions sont des mécanos, mais les mécanos peuvent être simples. Il nous faut une pratique désacralisée du pouvoir, contrôlable, efficace, normale, hors de tout privilège et de toute pompe.
La crise du politique et le succès des populismes viennent de ce sentiment largement répandu au sein de notre peuple qu’il y a « eux et nous », comme deux mondes différents qui ne se croisent pas. Il faut savoir y répondre et ne pas traiter à la légère la défiance à l’égard du pouvoir, fut-il élu. C’est pour cela que le Président de la République se doit d’avoir un comportement irréprochable et digne. Incarner la fonction, cela n’est ni se mettre en scène, ni verser dans la vulgarité. C’est agir et rendre compte, c’est respecter le rôle du Premier Ministre dans la conduite de l’action gouvernementale, c’est accepter et défendre l’indépendance de la justice. Il y a du boulot, certes, mais le chantier peut s’ouvrir le 6 mai 2012.
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