« – Est-ce possible qu’à Paris vous n’ayez pas encore la moindre notion de ce qui se passe ? […] Il ne s’agit plus d’une petite guerre dans les Balkans : c’est toute l’Europe, cette fois, qui va entrer en guerre ! »
Roger Martin du Gard
Les Thibault, l’Eté 1914
1922
Ce n’est pas dans une guerre que l’Europe s’apprête à entrer mais dans une période par chance plus heureuse, celle du début des commémorations du Centième anniversaire de la Guerre 14-18, tantôt appelée « la Grande Guerre », tantôt nommée « la Boucherie ».
Que de chemin parcouru durant ce siècle. De vastes empires se sont effondrés, le monde a eu le malheur de connaître un deuxième conflit tout aussi tragique que le premier. Les « ennemis héréditaires » d’hier qu’étaient l’Allemagne et la France sont aujourd’hui alliés. C’est sur les ruines de ces trois conflits, d’abord franco-allemand en 1870 puis mondiaux pour 1914-1918 et 1939-1945, que l’Union européenne a vu le jour. C’est grâce au sacrifice de tous ces soldats, de ces hommes, de ces femmes et de ces enfants que nous vivons une paix durable avec nos partenaires européens.
Comme député des Français d’Allemagne, d’Europe centrale et balkanique, je serai sollicité dans les prochains mois pour les commémorations du Centenaire. C’est avec honneur et humilité que je me rendrai dans les pays de ma circonscription pour un hommage à nos combattants de la Triple Entente et à ceux de la Triple Alliance qui firent l’ultime sacrifice pour leur Nation.
Cette guerre a coûté la vie à de nombreux hommes par le fait d’armes nouvelles massacrant à très grande échelle. D’autres soldats sont revenus avec de profondes séquelles. A l’âge de l’enfance, les compatriotes de ma génération ont pu croiser ces « gueules cassées ». Le film Les Fragments d’Antonin m’a fait prendre conscience que la souffrance des survivants était surtout morale. On pense trop peu aux conséquences psychologiques de quatre années passées dans les tranchées à massacrer avec comme compagnie la crasse, les rats et des cadavres enterrés à la hâte et réapparaissant parfois après un bombardement.
Dans la haine de l’ennemi et face à la souffrance, les soldats sur le front n’en restèrent pas moins humains. Les cas de fraternisation entre belligérants dès l’hiver 1914 montrent combien les soldats souffraient en première ligne. J’ai découvert cet épisode bouleversant avec le film La Tranchée des espoirs de Jean-Louis Lorenzi. Je veux penser aussi à la réhabilitation des soldats fusillés durant le conflit. En 1998, le Premier Ministre Lionel Jospin, dans son discours de Craonne souhaitait « Que ces soldats, “fusillés pour l’exemple “, au nom d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats, réintègrent aujourd’hui, pleinement, notre mémoire collective nationale ».
La majorité parlementaire actuelle souhaite avancer sur ce sujet. Kader Arif, Ministre délégué chargé des anciens combattant, a demandé au Professeur Antoine Prost de lui remettre un rapport intitulé : Quelle Mémoire pour les fusillés de 1914-1918 ? Un point de vue historien. Dans ce document, on peut y trouver un courrier de Claude Bartolone avec ces mots très forts : « Le moment est venu de clore ce chapitre sanglant de l’histoire de notre Nation et que la France rende hommage à l’ensemble de ses fils perdus ». En 2009, le Conseil général de Corrèze, alors présidé par François Hollande, votait une délibération demandant que les soldats fusillés soient considérés comme des soldats à part entière.
Je souhaite que cette bataille qui dure depuis des décennies sera la « Der des Ders » pour les descendants des fusillés et pour les associations qui se battent en vue d’obtenir cette réhabilitation. Le devoir de mémoire n’a pas de prix. Nous devons à ceux qui donnèrent leur vie et à ceux qui sont revenus meurtris de cet enfer de ne pas les oublier. J’avais été horrifié de lire il y a peu dans la presse que deux personnes avaient tenté de subtiliser de l’argent à l’intérieur même de l’Ossuaire de Douaumont. Cette profanation fera certainement prendre conscience à ceux qui en doutaient encore de l’utilité de mettre à l’honneur les Poilus lors des quatre prochaines années.
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