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Assemblée nationale : et si on travaillait mieux ?

Il y a des jours où le fonctionnement de l’Assemblée nationale me déprime totalement. Et ce vendredi 28 novembre en est un. Ce matin avait lieu dans l’Hémicycle le débat de ratification de l’amendement au protocole de Kyoto sur le changement climatique, dont j’étais le rapporteur. Sujet à l’évidence important, a fortiori à un an de la conférence de Paris de décembre 2015, qui devra conduire à l’adoption par la communauté internationale d’un accord universel et contraignant pour protéger l’habitabilité à terme de notre planète. Nous étions 8 malheureux députés en séance, soit à peine 1% des effectifs de l’Assemblée nationale. L’UMP brillait par son absence. Et sur ce sujet touchant aux affaires étrangères et au développement durable, le gouvernement était représenté par Jean-Marc Todeschini, Secrétaire d’Etat aux Anciens Combattants… Il y a un adjectif pour décrire le sentiment que je ressens à l’issue de ce débat : affligeant.

L’Assemblée nationale travaille parfois en en dépit du bon sens. Il y a une semaine encore, le débat de ratification ne figurait pas à l’ordre du jour de l’Assemblée. J’avais présenté mon rapport le 17 septembre en Commission des Affaires étrangères, laquelle, à l’issue de cette présentation, avait voté unanimement pour la ratification. Je pensais donc que le sujet ne viendrait pas dans l’Hémicycle, comme c’est la plupart du temps le cas sur les débats de ratification d’accords internationaux et plus encore quand ceux-ci s’achèvent par un vote unanime. Las, la semaine passée, le groupe écologiste a demandé en Conférence des présidents qu’un débat en séance soit organisé, demande à laquelle, selon le règlement de l’Assemblée, il doit être donné droit. Et le gouvernement a souhaité que le débat se tienne ce vendredi matin, avant de galérer à la recherche de l’un de ses membres pour l’y représenter.

Le vendredi, la plupart des députés sont repartis en circonscription. J’y étais moi-même hier, revenant de Sarrebruck aux premières heures ce matin. Pour être présent en séance, j’ai dû annuler en catastrophe un déplacement à Trêves sur lequel je travaillais depuis plusieurs semaines. Quel est l’intérêt de reproduire dans l’Hémicycle, au risque d’une présence famélique, un débat qui a déjà eu lieu en Commission et y a conduit à un vote unanime ? Aucun. Il faut que l’Assemblée nationale revisite profondément sa manière de travailler. Du lundi au jeudi, les commissions se réunissent en parallèle des débats en séance. Les députés passent leur temps à courir d’une salle à l’Hémicycle et retour, au rythme d’amendements et votes annoncés par SMS. C’est souvent le chaos. J’ai l’impression de n’avoir jamais autant travaillé depuis que je suis député et, paradoxalement, je sais également que je n’ai jamais aussi mal travaillé.

Il n’est pas interdit de vouloir être efficace. Une séance inutile, c’est du temps perdu et de l’argent mal dépensé. Je ne sais trop comment traduire les expressions de time efficiency et cost effectiveness, mais elles gagneraient à s’appliquer au fonctionnement de l’Assemblée nationale. Une réforme du règlement intérieur de l’Assemblée nationale est à l’étude. Il faut qu’elle simplifie tout et soit la source d’économies majeures de temps et d’argent. Car il y a de la marge. Sait-on combien coûtent les séances de nuit, lorsque nous débattons, harassés de fatigue, à 3 ou 4 heures du matin, mobilisant toutes les ressources de l’Assemblée nationale, alors qu’une organisation plus efficace et frugale de nos travaux permettrait de l’éviter ? La modernisation de l’action publique, ce doit être aussi un travail parlementaire rationnalisé et serein.

En attendant, voici le texte et la vidéo de mon intervention de ce matin sur l’amendement au protocole de Kyoto et à la lutte contre le changement climatique. Avec une pensée amicale et reconnaissante à mes collègues Boinali Said (PS), Patrice Carvalho (Front de Gauche), Geneviève Gaillard (PS), Chantal Guittet (PS), Sonia Lagarde (UDI), Jean-Luc Laurent (MRC) et François de Rugy (Europe Ecologie Les Verts), présents dans un Hémicycle tout vide sur un sujet qui, pourtant, nous engage tant. Nos 8  suffrages exprimés ont autorisé la ratification par la France de l’amendement au protocole de Kyoto.

Débat de ratification de l’amendement au protocole de Kyoto

Intervention de Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur de la Commission des Affaires étrangères

 

Monsieur le Président,

Monsieur le Ministre,

Madame la Présidente de la Commission des Affaires étrangères,

Chers collègues,

Dans un an exactement se tiendra la conférence Paris climat 2015. Un rendez-vous important, un rendez-vous fondateur, pour notre pays bien sûr, qui en assurera la présidence, mais surtout pour le monde. Le monde qu’il s’agit de préserver d’une catastrophe annoncée, si par malheur la communauté internationale, mobilisée depuis plus de 20 ans, ne parvenait pas à réduire la hausse redoutée de la température terrestre de 5 à 6 degrés d’ici à la fin du siècle. Rarement une conférence internationale n’aura revêtu autant d’enjeux. Comme l’exprimait le Secrétaire-Général des Nations Unies dans une formule appropriée lors du sommet sur le climat à New York le 23 septembre dernier, à Paris en 2015, il n’y aura pas de plan B, tout simplement parce qu’il n’existe pas de planète B. Nous avons une obligation impérieuse de résultat au nom même de l’avenir de l’humanité.

En 1990, un premier rapport du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) a conclu à une augmentation de la température terrestre et à un changement climatique sous l’effet de la concentration dans l’atmosphère, en raison des activités humaines, de différents gaz à effet de serre. Depuis lors, quatre autres rapports successifs, le dernier en date de septembre 2014, ont confirmé ce lien et affirmé la nécessité de limiter le volume d’émissions des gaz à effet de serre pour maintenir à 2°C le niveau de l’augmentation de la température terrestre par rapport à l’ère préindustrielle, de manière à éviter que les changements ne deviennent incontrôlables et ne menacent à terme l’habitabilité de la planète.

En 1992 a été adoptée au Sommet de la Terre à Rio la convention cadre des Nations-Unies sur le changement climatique. Une instance de suivi a ensuite été créée pour examiner annuellement la question climatique, la Conférence des Parties (COP), qui comprend aujourd’hui 195 membres. Et c’est en 1997 qu’a été signé le protocole de Kyoto, qui prévoit une réduction ou une limitation des émissions de gaz à effet de serre pour les pays industrialisés et les pays à économie en transition. Entré en vigueur en 2005, il porte sur la période 2008-2012, appelée première période d’engagement.

La conférence de Copenhague en 2009 aurait dû permettre l’adoption du dispositif applicable à l’après-2012. Cela n’a malheureusement pas été le cas. En 2011, lors de la Conférence de Durban, une procédure de négociations a été convenue par les Etats parties en vue d’un accord universel et contraignant. Cette procédure est assortie d’un calendrier : 2015 pour l’adoption du futur accord ; 2020 pour son entrée en vigueur. Ces échéances, dès lors, ont fait apparaître la nécessité de couvrir la période intermédiaire comprise entre 2012 et 2020 par un instrument ad hoc. C’est l’objet de l’amendement au Protocole de Kyoto, adopté lors de la Conférence de Doha en 2012, qui prévoit une prolongation et, pour les Etats européens, un renforcement du dispositif de Kyoto pour les années 2013-2020, dans le cadre d’une deuxième période d’engagement.

C’est cet amendement qu’il revient aujourd’hui à l’Assemblée nationale d’autoriser la ratification.

Le protocole de Kyoto est articulé autour de 2 objectifs :

– Un objectif global de réduction de 5% par rapport à 1990 des émissions des pays économiquement les plus forts ;

– Des objectifs nationaux de réduction pour ceux de ces pays qui les ont acceptés.

Sur le plan technique, 3 éléments essentiels sont prévus :

– Une liste des gaz à effet de serre concernés ;

– Un recensement des sources d’émissions ;

– Des mécanismes de flexibilités permettant aux pays d’atteindre leurs objectifs.

L’amendement au protocole prolonge pour les années 2013 à 2020 les obligations des Etats couverts par les engagements de réduction ou limitation des émissions de gaz à effet de serre. De même que pour la première période, les objectifs chiffrés sont à 2 niveaux avec :

– Un objectif global de -18% pour les émissions des pays industrialisés, toujours par rapport à l’année 1990 ;

– De nouveaux engagements pour 38 pays. Pour l’Union européenne et ses Etats membres, la réduction des émissions est de 20%, conformément  à l’objectif défini par le paquet « énergie-climat » de 2008.

Outre les Etats-Unis, qui n’avaient pas ratifié le protocole de Kyoto, et le Canada, qui s’en est retiré il y a 2 ans, plusieurs Etats n’ont pas souhaité s’engager dans une deuxième période, notamment la Russie, le Japon et la Nouvelle-Zélande. Cette deuxième période d’engagement ne concerne donc que 15% des émissions mondiales de CO2. Sa portée est essentiellement pédagogique, mais elle a cependant toute sa valeur, d’autant que l’amendement au protocole ne se limite seulement pas à une actualisation arithmétique.

Il introduit dans le dispositif plusieurs éléments d’amélioration. Ainsi, la procédure permettant à un pays de relever son niveau d’ambition par rapport à l’année de référence est allégée. La question de « l’air chaud », c’est-à-dire des quantités excédentaires d’émissions attribuées au cours de la première période d’engagement, est également abordée, avec l’annulation des quantités attribuées dépassant la moyenne des émissions des 3 premières années. Enfin, la liste des gaz à effet de serre est actualisée et une nouvelle règle oblige à la comptabilisation des émissions et absorptions résultant de l’affectation des terres.

Je considère l’amendement au protocole de Kyoto comme un texte opportun.

C’est un dispositif conforme aux engagements de la France et de l’Union européenne. La première initiative européenne avait été la mise en place à partir de 2005 du système d’échange de quotas d’émissions pour les grandes installations émettrices de CO2. Puis l’Union a adopté en 2008 avec le premier paquet énergie-climat une stratégie intégrée de lutte contre le réchauffement climatique consistant pour 2020 à faire passer la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique européen à 20 %, réduire les émissions de 20 % par rapport à 1990 et accroître l’efficacité énergétique de 20 %. Ce rôle moteur de l’Union a été réaffirmé par l’adoption le mois passé du second paquet énergie-climat qui, à l’horizon 2030, prévoit une réduction de 40% des émissions par rapport au niveau de 1990, une part de 27% des énergies renouvelables et un objectif de 27% d’amélioration de l’efficacité énergétique.

Sans la France, sans l’Europe, il n’y aura dans un an à Paris aucun succès possible. La réussite dépendra des mécanismes d’incitation à inventer pour faciliter la rupture en matière énergétique, qui ne conduise pas à la décroissance économique, mais au contraire à la création des richesses nécessaires pour que la lutte pour le climat serve et la planète et l’emploi. Tout dépendra de la capacité de la communauté internationale, dès la Conférence de Lima dans quelques jours, de faire passer le pic d’émissions à la majorité des pays et de tendre ensuite à un taux de réduction qui soit réaliste et volontariste. L’accord récent entre les Etats-Unis et la Chine est de ce point de vue un développement majeur et encourageant, qu’il s’agit pour nous de saluer.

Cependant, d’importantes questions restent toujours posées :

– La toute première est la définition de scénarios technologiques dynamiques. L’un des écueils de plus de 20 ans de négociations climatiques est qu’elles n’ont jamais raisonné autrement qu’à technologie constante, ce qui est une lourde erreur. Il est nécessaire de penser une stratégie reposant sur l’anticipation et la structuration du progrès technologique, notamment sur le stockage de l’électricité, le rendement de technologies renouvelables et le captage et la séquestration du CO2. Cette stratégie se doit de mieux intégrer le secteur privé, manufacturier et financier, à l’action des Etats et de la communauté internationale.

 

– Une telle stratégie – et c’est ma seconde interrogation – sera d’autant plus facilitée que se redressera le marché du carbone, dont le cours est aujourd’hui si bas que l’élément incitatif qui devait s’y rattacher est devenu inopérant. Comment redresser ce marché ? Des réponses et des décisions devront être apportées l’an prochain à Paris.

 

– Enfin, quelle capitalisation peut-on espérer au bénéfice du Fonds vert pour le climat ? Ce Fonds doit accompagner les pays en développement vers des trajectoires économiques compatibles avec l’objectif de contenir le réchauffement climatique à 2°. Une conférence des donateurs s’est récemment tenue à Berlin. Le total des financements prévus s’élève à ce jour à 9,3 milliards de dollars, dont une contribution française d’un milliard d’Euros, mais cela reste encore en dessous des 10 à 15 milliards de dollars considérés nécessaires pour le financement initial du fonds, le plan étant à l’origine de tendre à 100 milliards de dollars par an à l’horizon 2020.

Voilà, Monsieur le Président, chers collègues, les éléments, mais aussi le contexte de l’amendement au Protocole de Kyoto, dont je recommande, comme rapporteur, à notre Assemblée d’autoriser la ratification.

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