J’ai participé du 20 au 24 avril à la session de printemps de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) à Strasbourg. Cette session, la dernière sous présidence belge du Comité des Ministres, s’était ouverte lundi dans l’émotion et la révolte à la suite de la mort en Méditerranée de plus de 1 200 migrants au cours de la semaine écoulée. Le Conseil de l’Europe, maison européenne du droit, et son Assemblée parlementaire ne pouvaient rester silencieux face à un drame qui défie les valeurs mêmes de la civilisation. Un débat d’urgence a été organisé, sur base d’un rapport préparé par notre collègue français Thierry Mariani, Président de la Commission des migrations de l’APCE. Adopté à une large majorité, le rapport appelle les Etats membres à coordonner une approche commune au niveau européen en matière de lutte contre les passeurs et trafiquants d’êtres humains. Il demande aussi le réexamen du Règlement de Dublin en vue d’un partage des responsabilités concernant l’accueil et la prise en charge des migrants en situation irrégulière et des demandeurs d’asile. Le rapport souligne également l’urgence d’intensifier les opérations de sauvetage en mer et de renforcer les projets de développement dans les pays de transit et d’origine des migrants pour améliorer les conditions de vie et réduire ainsi la pression migratoire.
L’émotion, lorsqu’elle conduit à la prise de conscience et à la mobilisation, est utile. Elle ne peut cependant constituer une réponse. La réponse, c’est l’action. Un débat m’a particulièrement marqué au cours de cette semaine. Il était consacré à la lutte contre la discrimination à l’encontre des personnes transgenres en Europe. Le rapport, préparé par la députée socialiste maltaise Deborah Schembri, liste toutes les discriminations subies par les personnes transgenres, sources de tant de souffrances, au point de conduire parfois au suicide. Comment ne pas vouloir lutter contre une telle réalité ? Là où l’humanité s’imposait d’évidence, j’ai été surpris par l’opposition farouche de parlementaires issus de la droite, dans un mélange de bigoterie et autres réflexions navrantes sur le danger pour la société auquel la revendication d’égalité des personnes transgenres mènerait. J’ai été bouleversé par le témoignage en séance de la sénatrice écologiste belge Petra de Sutter, qui fut un homme durant ses 40 premières années de vie et dont l’expression sur sa propre histoire ne pouvait que toucher. A l’arrivée, nous l’avons emporté, non sans une rude bataille d’amendements, grâce à l’alliance des parlementaires de gauche, des libéraux et d’une partie de la démocratie-chrétienne. C’est désormais au Comité des Ministres de prendre le relais pour mettre en œuvre l’abolition de toutes les discriminations que nous avons recommandée.
L’émotion, ce fut aussi la condamnation en Azerbaïdjan mercredi de l’avocat et défenseur des droits Intigam Aliyev à 7 années et 6 mois de prison sous divers motifs fantaisistes, notamment la fraude fiscale et l’abus de pouvoir. Intigam Aliyev a le grand tort aux yeux du clan au pouvoir à Bakou de porter la cause des droits de l’homme et de ne céder à aucune intimidation. Il coordonnait sur place les programmes du Conseil de l’Europe. Nous avons bien sûr réagi, mais d’une manière dispersée que je regrette. De la Présidente de l’Assemblée à la Commission des affaires juridiques en passant par les groupes parlementaires, chacun y est allé de sa déclaration ou de son communiqué. Il aurait fallu une condamnation commune et forte. Car ce qui se passe en Azerbaïdjan dépasse l’entendement. Tout militant des droits de l’homme que nous invitons à témoigner se retrouve illico presto en prison dès son retour. Malgré cela, il y a chez certains parlementaires à l’APCE une indulgence aussi discrète qu’incompréhensible à l’égard des exactions du régime azerbaïdjanais que je ne peux accepter. J’ai reçu durant la semaine la jeune Dinara Yunus, fille unique de Leyla et Arif Yunus, défenseurs des droits de l’homme, emprisonnés sans jugement depuis des mois en Azerbaïdjan, et ai saisi en urgence le Président François Hollande par courrier (Cf. pièce jointe en fin d’article) de leur situation, en amont du voyage qu’il effectue à Bakou ce samedi 25 avril.
Durant cette session, je suis intervenu en séance à 4 reprises, dont 3 fois comme porte-parole du groupe socialiste. Sur les opérations de surveillance massive des citoyens, révélées par l’affaire Snowden il y a près de 2 ans, j’ai souligné (voir ici) que si la surveillance et les activités de renseignement étaient nécessaires pour la protection de notre sécurité collective, elles ne sauraient se faire au détriment des libertés fondamentales et du respect de la vie privée. Je n’accepte pas l’idée que face au péril terroriste, contre lequel nous devons bien entendu tous nous mobiliser, il faudrait réduire les droits et libertés publiques. Ce sujet m’a conduit à revenir brièvement dans mon discours sur le projet de loi relatif au renseignement actuellement en débat au Parlement français. A ce stade, malgré les progrès enregistrés en première lecture à l’Assemblée nationale, je vois toujours des risques de surveillance massive et n’exclus pas de m’abstenir lors du vote public prévu le 5 mai. Je me suis également exprimé dans le débat sur le rapport consacré aux retraits d’enfants de leurs familles (voir ici), appelant au contrôle du juge sur les décisions administratives de retrait, à l’écoute de la volonté de l’enfant et au renforcement de l’aide aux familles en difficulté (monoparentales, immigrées, Roms) par une assistance financière, matérielle, sociale et psychologique qui puisse, dans de nombreux cas, être une alternative au retrait systématique des enfants.
Un sujet me tenait particulièrement à cœur au cours de cette session : celui de l’accès à la justice. J’avais suivi l’élaboration du rapport préparé par le député chrétien-démocrate des Roumains de l’étranger Viorel Badea. Entre parlementaires représentant leur diaspora, nous avions à l’évidence des approches communes, nourries par une même expérience de terrain. C’est ce que j’ai souligné dans mon intervention (voir ici). Le sentiment d’inégalité devant l’accès à la justice, voire celui d’en être écarté, est grand chez nos compatriotes et plus largement en Europe. C’est très déstructurant individuellement comme pour la société toute entière. J’ai souligné notamment le besoin d’une information systématique sur les droits et sur l’aide judiciaire, en plusieurs langues et en prenant appui sur le rôle précieux joué dans ce domaine par les associations et les ONG. J’ai plaidé également pour que l’accès à la justice soit garanti à tous, y compris aux handicapés mentaux et aux migrants en situation irrégulière. Enfin, m’exprimant dans un débat un peu déserté par les parlementaires, celui relatif à l’Etat de droit … dans la Principauté de Monaco, j’ai défendu la sortie de ce pays de la procédure post-suivi du Conseil de l’Europe, arguant que l’absence de prisonniers politiques à Monaco et de restrictions à l’Etat de droit commandait de mettre fin à cette surveillance aussi anachronique qu’inutile (voir ici).
Durant cette semaine, j’ai interrogé le Président du Comité des Ministres Didier Reynders (Ministre belge des Affaires étrangères) et le Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe Nils Muiznieks à l’occasion des débats consacrés pour l’un à la fin de la Présidence belge et pour l’autre à la présentation de son rapport annuel. Ma question à Didier Reynders (voir ici) portait sur les actions entreprises par le Comité des Ministres contre les représailles exercées à l’encontre des défenseurs des droits de l’homme dans certains pays comme l’Azerbaïdjan. Ma question au Commissaire Muiznieks (voir ici), qui avait eu par ailleurs la gentillesse de me recevoir dans son bureau pour un échange relatif au projet de loi sur le renseignement en France, était consacrée à l’évolution des pratiques des Etats membres concernant la rétention administrative des enfants migrants. En séance plénière, j’ai également suivi le débat sur l’avis de l’APCE au Comité des Ministres sur le projet de Protocole additionnel à la Convention pour la prévention du terrorisme, préparé par un rapport de John Tomlinson, membre socialiste de la Chambre des Lords en Grande-Bretagne. Je serai en effet sur ce même sujet le rapporteur de l’Assemblée nationale sur le processus de ratification de la Convention elle-même, non-encore appliquée en France.
En commission, j’ai participé notamment à la sélection des candidats au Comité de Prévention de la Torture (CPT) pour la Macédoine, Andorre, la Slovaquie, Chypre, le Monténégro, la Finlande, l’Islande, la République tchèque, l’Albanie et Saint-Marin. Le CPT est une institution très importante du Conseil de l’Europe, dont le rôle est d’effectuer des visites périodiques et ad hoc sur les lieux de privation de liberté des 47 Etats membres. L’élection de ses membres revient à l’APCE. Comme également l’élection des juges à la Cour européenne des droits de l’homme. J’ai accueilli avec satisfaction l’élection au premier tour des juges pour la Finlande, l’Irlande, le Liechtenstein, Andorre et l’Autriche. Les candidats élus sont ceux que la Commission de sélection des juges, dont je fais partie, avait placés en tête à l’issue d’auditions conduites à Paris le mois passé. Une nouvelle réunion de la Commission de sélection aura lieu à Paris les 9-10 juin pour la sélection de candidats de 7 autres Etats membres. A l’occasion de la session d’été de l’APCE, qui se tiendra les 22-26 juin prochains, je présenterai devant la Commission de sélection quelques réflexions et propositions visant à améliorer et sécuriser le processus d’élection des juges. En parallèle, à l’Assemblée nationale cette fois, je déposerai une proposition de loi constitutionnelle afin de renforcer l’application par notre pays des jugements de la Cour européenne des droits de l’homme.
Voilà le récit et les enseignements d’une semaine aussi intense que passionnante. L’APCE est un creuset unique des traditions parlementaires européennes. Le pouvoir de l’APCE se trouve dans sa capacité de clairvoyance, d’indignation et de rassemblement derrière la cause des droits de l’homme. Cette force-là, si elle est utilement bâtie et recherchée, d’un sujet à l’autre, peut faire la différence. L’APCE est aussi le lieu de rencontres passionnantes, entre cultures, parcours individuels et politiques, générations et volontés. J’aime cette semaine strasbourgeoise tous les trimestres tant j’y retrouve à la fois l’Europe des valeurs à laquelle je crois et cet Hémicycle où je peux porter concrètement nombre de sujets quotidiens de la vie à l’étranger, comme par exemple l’accès à la justice. Mon prochain rendez-vous au titre de l’APCE sera un discours à Riga le 11 mai dans le cadre de la Présidence lettonne de l’Union européenne sur le rapport que je prépare à propos des réseaux associatifs et d’enseignement des migrants. Je ne veux pas conclure ce compte-rendu par un petit mot pour remercier le Juge français André Potocki et le Chef de cabinet du Président de la Cour européenne des droits de l’homme Patrick Titiun de m’avoir très gentiment accueilli lors de la visite que j’ai faite à la Cour le mercredi 22 avril.
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