Je me suis rendu ces deux derniers jours à Cluj, où pas loin de 1 200 jeunes Français sont inscrits à l’université dans les disciplines médicale, dentaire, pharmaceutique et vétérinaire. Je voulais, par ce voyage, leur témoigner ma solidarité à l’issue des drames qui avaient endeuillé la communauté estudiantine française de Cluj en mars-avril (voir ici) et échanger avec eux sur leurs conditions d’études et de vie en Roumanie comme également sur leur entrée dans la vie professionnelle, une fois le diplôme obtenu. C’est peu dire que j’ai été touché, voire bouleversé par les expressions, les interrogations, les émotions livrées en toute liberté lors des deux réunions organisées avec le concours de l’Institut français de Cluj et de son directeur Benoit Bavouset. Il y a été question de vocation et du rêve de devenir médecin, mais aussi de solitude, d’isolement et plus que tout de la difficulté, si ce n’est de la souffrance ressentie face au besoin de devoir sans cesse se justifier d’études entreprises en Roumanie.
Disons-le clairement : il est choquant d’être ostracisé par ses pairs en France, par le monde mandarinal, par le Conseil de l’ordre et finalement par tous les conservatismes au motif que des études à l’étranger obéiraient au souci de contourner le sacro-saint numerus clausus et ne reviendraient ni plus ni moins qu’à « l’achat » d’un diplôme. Sait-on seulement que pour entrer en médecine à Cluj, il faut au bas mot une moyenne de 14/20 au baccalauréat, soit une mention bien ? Sur 4 demandes d’admission, une seule est en moyenne acceptée. Ce n’est donc pas d’études au rabais dont il est question, mais au contraire d’un recrutement exigeant et sélectif. Et n’y a-t-il pas au demeurant une profonde duplicité à dénigrer ou discriminer chez nous les étudiants français de Cluj lorsque l’on accueille à bras ouverts dans nos déserts médicaux leurs camarades roumains, formés dans les mêmes universités et avec les mêmes programmes qu’eux ?
Etudier à l’étranger n’est pas facile. Il faut s’habituer à un autre environnement, à une autre langue, s’accommoder de la distance avec la famille et les proches. Etudier à Cluj, c’est parler d’une longue tranche de vie qui durera 6 ans. Près de la moitié des étudiants de l’actuelle première année de médecine sont venus à Cluj sans avoir connu une expérience à l’université en France. Ils ont 18 ou 19 ans à peine. Ils sont jeunes et parfois peut-être insuffisamment préparés à ce saut inconnu vers la vie adulte, la vie d’après le lycée. De cela aussi, j’ai voulu parler avec les étudiants. Comme également avec les autorités des universités de médecine (UMF) et des sciences vétérinaires (USAMV) de Cluj, que j’ai rencontrées avec Benoît Bavouset et la Première conseillère de l’Ambassade de France Catherine Suard. Il m’est apparu en effet qu’un travail devait être mené pour encourager une meilleure intégration de ces jeunes à Cluj et en Roumanie.
Cette intégration doit être le résultat d’un effort commun. Celui des étudiants bien sûr, mais aussi celui de l’université. Je suis heureux que l’UMF et l’USAMV aient marqué leur soutien de principe au projet d’une pré-rentrée de 15 jours co-organisée par l’Institut français de Cluj à la mi-septembre prochaine pour les quelque 200 jeunes Français attendus en première année. Cette pré-rentrée permettra, entre autres, les inscriptions aux registres des services d’immigrations roumains et des Français établis hors de France, en même temps qu’elle dispensera l’information relative à la responsabilité civile et l’assurance rapatriement et santé. Elle offrira aussi les cours de roumain de base. Notre poste diplomatique à Bucarest va introduire les demandes de crédit nécessaires. Le club d’affaires, dont j’ai rencontré le président Bogdan Herea, s’engagera aussi. Je ferai un don à titre personnel et hors réserve parlementaire pour abonder ce budget.
Un travail est à mener avec l’UMF sur la préparation de l’ECN (examen classant national, qui ouvre la porte à l’internat en France) et la convergence des cursus de Cluj avec cet examen, y compris avec sa plate-forme numérique de préparation SIDES, développée par l’Université de Grenoble. Les étudiants de 6ème année de médecine doivent pouvoir bénéficier de la part de l’UMF d’un traitement autorisant les absences pour les deux tests blancs et l’examen lui-même. Ce n’est pas le cas actuellement et cela contribue grandement au stress ressenti, d’autant que ceci se juxtapose à la discrimination empêchant les étudiants de Cluj d’accéder à la plate-forme SIDES au motif qu’ils ne sont pas inscrits dans une université française. J’ai senti une prise de conscience de leurs responsabilités par les autorités de Cluj, qui ont indiqué rechercher les moyens pour la rentrée prochaine d’accommoder le calendrier universitaire afin de ne plus pénaliser les étudiants qui se rendront en France pour l’ECN et les tests blancs. La participation de l’UMF à la plate-forme SIDES est également envisagée.
Une réunion sera organisée à cette fin à Paris le 17 juin entre le président de l’Université de Grenoble Patrick Lévy et la Doyenne de la faculté de médecine Anca Buzoainu, à laquelle participeront les Ministères des Affaires étrangères, de la Santé et de l’Enseignement supérieur, l’Ambassadeur de France en Roumanie François Saint-Paul et Benoît Bavouset. Je recevrai Madame Buzoainu et le Vice-Recteur de l’UMF Valentin Cernea à l’Assemblée nationale le même jour. Il existe de part et d’autre la volonté d’apporter la solution aux difficultés exprimées par les étudiants et la fenêtre d’opportunité qui s’ouvre doit être pleinement exploitée. A ma place, comme député, j’entends pousser en ce sens, notamment en direction des Ministères français concernés. Je rencontrerai ainsi dans quelques semaines le cabinet de la Ministre des Affaires sociales Marisol Touraine. Il ne doit plus subsister la moindre discrimination, de droit et de fait. Mieux, c’est un message de confiance et solidarité que le gouvernement doit exprimer à l’attention des étudiants français de Cluj.
Je veux rendre aux étudiants l’hommage qu’ils méritent. Voilà des jeunes qui, face aux drames de mars-avril, ont su réagir collectivement et courageusement. En lien avec le psychiatre du Centre de crise du Quai d’Orsay Pascal Pannetier, venu à deux reprises à Cluj, ils ont organisé un système de « pairs vigils », reposant sur une quarantaine d’étudiants volontaires pour aider en tant que de besoin les plus fragiles d’entre eux. Une formation à l’écoute est en cours pour ces étudiants. Un numéro d’urgence a été mis en place, 24 heures sur 24, géré directement par eux. Une page Facebook dédiée renvoie à toutes les informations nécessaires. Leur réponse à la solitude et l’angoisse, c’est cela. Elle force l’admiration. Pour reprendre l’expression touchante d’une étudiante, cette mobilisation, en lien avec l’intervention du Docteur Pannetier, aura été apaisante. Elle est aussi la réaction la plus saine et positive face à l’adversité.
Cette humanité m’a beaucoup marqué. Si les études à l’étranger se sont développées ces dernières années, elles restent trop souvent perçues comme un séjour Erasmus, joyeux et court, joyeux parce que court. Il y a une réalité des études longues à l’étranger qu’il s’agit de mieux appréhender, pour les opportunités qu’elles révèlent comme pour les difficultés qui s’y rattachent. Je reviendrai à Cluj en septembre pour participer à la pré-rentrée des étudiants. Je le leur dois. Pour retrouver aussi ce mouvement de solidarité qui m’a bouleversé durant ces deux jours. J’essaierai de convaincre quelques autres collègues députés, attachés à la Roumanie comme je le suis, de se joindre à moi. Un grand merci pour finir à l’Ambassadeur François Saint-Paul, à Catherine Suard, à Benoît Bavouset et au consul honoraire de France à Cluj, Pascal Fesneau, pour leur engagement et leur dévouement.
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