J’ai voté hier à l’Assemblée nationale en faveur de l’accord du 13 juillet permettant à la Grèce de rester dans la zone Euro. Rien n’aurait été plus dramatique pour la Grèce et pour les Grecs que le retour à la drachme : faillite du secteur bancaire, ruine de l’économie et misère généralisée pour des décennies. Ce drame aurait été aussi celui de l’Europe, dont l’irréversibilité de l’union, politiquement comme juridiquement, se serait fracassée aux yeux du monde. Le départ (ou plutôt l’expulsion) de la Grèce de la zone Euro en aurait appelé d’autres aux yeux de spéculateurs avides, pour qui la paix, le développement, la prospérité partagée ne comptent pas. Incapable de gérer depuis des années la crise d’un pays dont le PIB n’atteint pas 2% de celui de la zone Euro, qu’aurait bien pu faire l’Union si/quand, une fois la Grèce partie, la prochaine attaque s’était portée sur l’Espagne ? Ce qui se joue depuis ces derniers jours n’est ni plus ni moins le destin même de l’intégration européenne comme projet de civilisation.
Le projet européen est pour moi plus que de l’économie, plus que du droit : c’est avant tout un supplément d’âme, qui requiert de savoir dépasser les horizons nationaux et autres calculs partisans. C’est aussi un mélange de devoirs et de droits, liant responsabilité et solidarité. Les uns ne vont jamais sans les autres. Est-ce ce supplément d’âme, cette capacité à se sublimer que nous avons vue à l’œuvre en fin de semaine passée ? Non, reconnaissons-le. Les émotions, les égoïsmes et les postures se sont déchaînés comme jamais, creusant profondément les divisions et semant durablement l’amertume. Les pères fondateurs de l’Europe sont loin. François Mitterrand, Helmut Kohl ou Jacques Delors malheureusement aussi. L’Europe ne peut continuer ainsi, entre inaction, irresponsabilité, psychodrames et humiliations, faute de vouloir affirmer une volonté, faute également de se souvenir que, derrière les sommets, les palabres et la dramaturgie de Bruxelles, c’est de la vie et de l’avenir de millions d’Européens dont il est question, en Grèce comme ailleurs.
Le problème de la Grèce n’est pas Alexis Tspiras ou Syriza. Pourquoi blâmer cinq mois seulement d’exercice du pouvoir, certes chaotiques, lorsque les malheurs de la Grèce s’inscrivent dans 40 années de clientélisme politique conduisant à l’incapacité de construire une économie compétitive et un Etat efficace ? La Grèce n’est pas victime de l’Europe, elle est d’abord victime d’elle-même. A quoi ont été employés les centaines de milliards d’Euros de fonds structurels transférés depuis son adhésion à la CEE en 1981 ? Où sont partis les presque 200 milliards d’Euros d’aide consentis depuis la crise de 2009 ? Il est juste, au nom du principe de responsabilité, de poser ces questions et d’avoir en retour des exigences sur les réformes à mettre en œuvre. On ne peut en effet appeler l’Europe à l’aide et refuser de s’attaquer aux oligarchies, à l’incivisme et au clientélisme. Des pays d’Europe, Etats membres plus pauvres et plus récents que la Grèce, ont accompli des réformes douloureuses pour entrer dans la zone Euro. Ils sont fondés à demander à la Grèce, en retour de l’aide de leurs contribuables, d’en faire de même.
Si exigence il doit y avoir, il n’est pas nécessaire cependant d’y ajouter l’humiliation. Rien n’est pire, humainement et politiquement. Ce n’est ni en humiliant, ni en punissant que l’on rétablit la confiance. C’est en tendant la main pour aider et relever. Il était imbécile de proposer que le fonds destiné à recueillir le produit des privatisations soit basé au Luxembourg. Et il deviendra déraisonnable de différer toute décision sur l’effacement d’une partie de la dette grecque dès lors que les mesures prises dans le courant de l’été auront conduit aux premiers résultats positifs. Chacun sait que la dette grecque est insoutenable et ne pourra jamais être intégralement remboursée. Autant en prendre acte et faire de cette contrainte une opportunité à terme. L’on ne peut condamner un pays, un peuple, une jeunesse à la désespérance éternelle. Ce serait la plus sûre garantie de l’échec des plans de sauvetage pour les créanciers. Puisse la négociation qui s’ouvrira dans les prochains jours faire prévaloir ce principe de réalité, faute de quoi un quatrième plan de sauvetage sera demandé dans quelques mois et, cette fois, vraisemblablement refusé.
L’Europe est à la croisée des chemins. Ou elle continue de vivre à la petite semaine, sans vision ni courage, et elle disparaîtra de l’histoire en tant que projet. Ou elle saisit l’urgence de l’instant pour rebondir et se doter des outils fédéralistes nécessaires afin de poursuivre l’aventure : gouvernement économique et parlement de la zone Euro, politique budgétaire, coordination des politiques fiscales, sociales et environnementales. Cela fait des années qu’on le dit, il est devenu urgentissime de le faire. Le chaos n’annonce pas l’avenir. C’est de volonté et de compromis, de sincérité et d’altruisme dont il est besoin, entre pays, entre familles politiques. Là est ce supplément d’âme auquel j’attache le projet européen. Même si c’est dur, parce que c’est dur, je veux plus que jamais y croire.
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