Une semaine intense à Strasbourg s’achève. Sans doute la crise des réfugiés aura-t-elle contribué à donner une particulière gravité et émotion à cette session de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), la dernière de l’année 2015. En commission d’abord, puis en séance plénière, nous avons débattu de la crise, examinant deux importants rapports préparés par les députés Michele Nicoletti (Italie) et Tineke Strik (Pays-Bas) sur la révision nécessaire du Règlement de Dublin et sur les défis affrontés par les pays de transit. J’attendais que ces débats prolongent ou à tout le moins renvoient les positions nationales divergentes exprimées par les parlements et gouvernements des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, à commencer par les 28 d’entre eux qui appartiennent également à l’Union européenne. Cela n’a pas été totalement le cas et j’en ai conçu une certaine déception. Pourquoi donc les parlementaires hongrois, slovaques, tchèques, roumains et polonais ont-ils donc choisi de faire silence, voire de bouder l’Hémicycle, alors que c’était au contraire pour eux le moment d’expliquer leurs choix ? De fait, hormis les positions prévisibles des quelques radicaux d’extrême-droite qui siègent à l’Assemblée, rien n’a été dit ou presque en appui au refus d’engagement de plusieurs capitales et à la volonté exprimée par certaines d’entre elles de n’aider que les seuls réfugiés chrétiens. Comme si finalement ces positions indignes ne pouvaient être assumées…
Je suis intervenu dans le débat sur les réfugiés (voir ici), plaidant pour la mise en place de centres d’accueil et d’enregistrement dans les pays de première entrée, pour une répartition équitable des réfugiés entre Etats, pour une aide humanitaire massive aux pays de transit (Turquie, Jordanie et Liban), pour une politique migratoire européenne renforcée avec une liste de pays sûrs et pour des moyens substantiels alloués à la surveillance des frontières de l’espace Schengen. Autant de priorités qui, après échanges et amendements, ont intégrés les rapports Nicoletti et Strik, adoptés à une large majorité et transmis désormais au Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. J’ai participé à la réunion de l’Alliance parlementaire contre la haine, où je siège au titre de l’Assemblée nationale. Une présentation très inquiétante sur la progression du discours de haine dans nos pays à la faveur de la crise des réfugiés a été donnée. En qualité de représentant français à l’Alliance, j’ai tenu à condamner les propos délirants de l’ancienne Ministre Nadine Morano sur la France et « la race blanche ». Mon expression a été relayée sur les réseaux sociaux par la Présidente de l’APCE Anne Brasseur. De retour à Paris la semaine prochaine, je proposerai à la Ministre de l’Education nationale Najat Vallaud-Belkacem de diffuser dans les établissements scolaires français le manuel de lutte contre le discours de haine préparé à destination de la jeunesse par le Conseil de l’Europe.
Je suis intervenu dans l’Hémicycle à l’occasion de trois autres débats. Sur l’inexécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, m’exprimant comme porte-parole du groupe socialiste, j’ai voulu tirer le signal d’alarme, argumentant que le refus de certains Etats de se conformer à la jurisprudence de la Cour et même d’exécuter des mesures d’urgence était un manquement à l’égard des citoyens (voir ici). 11 000 arrêts restent ainsi inappliqués et 80% d’entre eux concernent 9 Etats membres : Italie, Turquie, Russie, Ukraine, Roumanie, Grèce, Pologne, Hongrie et Bulgarie. J’ai plaidé en faveur de l’utilisation par le Comité des Ministres de la procédure en manquement prévue par la Convention européenne des droits de l’homme, que les Etats membres répugnent à envisager, sans doute parce que chacun tolère les défaillances de l’autre dans l’espoir d’une même mansuétude en retour face à une jurisprudence difficile. C’est pour cela que le suivi de l’application des arrêts de la Cour ne peut incomber au seul Comité des Ministres et doit être assuré en parallèle par les membres de l’APCE et les parlements nationaux dont ils proviennent. J’ai rappelé dans ce cadre le contenu de la proposition de loi constitutionnelle que j’ai préparée à l’Assemblée nationale au printemps dernier pour forcer le débat sur la jurisprudence de la Cour et l’adaptation régulière de notre droit à celle-ci.
Les deux autres débats auxquels j’ai participé comme orateur étaient consacrés pour l’un à la liberté de religion et pour l’autre à l’abus de la détention provisoire. Sur la liberté de religion, sans vouloir rompre le souci légitime du rapporteur Rafael Huseynov (Azerbaïdjan) de constituer une large majorité, j’ai tenu à défendre la laïcité, que j’estimais insuffisamment définie ou comprise (voir ici). Défendre la liberté de religion ne doit pas conduire à la promotion de la religiosité. J’ai soutenu l’interdiction française du port du voile intégral dans l’espace public et ai profité également de ce débat pour chatouiller nos amis allemands à propos de l’impôt sur le culte, rappelant que les églises ne sauraient être au-dessus du droit, notamment quant à la protection des données personnelles. Concernant la détention provisoire, j’ai condamné les abus manifestes que constitue son application indéfinie à des opposants politiques (voir ici), mentionnant la députée ukrainienne Nadija Savchenko, détenue depuis bientôt 2 ans en Russie, et les défenseurs des droits Leyla et Arif Yunus, détenus en Azerbaïdjan. La détention provisoire ne doit être utilisée que pour éviter la fuite des suspects, l’intimidation des témoins ou la destruction de preuves. J’ai dit par ailleurs ma préférence pour le transfert des décisions de détention à des juridictions collégiales et ai insisté pour une meilleure égalité entre le ministère public et la défense.
A l’occasion de cette session, l’APCE a décerné le Prix des droits de l’homme Vaclav-Havel à la militante russe des droits de l’homme Ludmila Alexeeva, une femme admirable qui a donné sa vie à la cause des libertés. Son discours dans l’Hémicycle m’a beaucoup ému. La session aura vu l’élection de la nouvelle juge slovaque Alena Polackova à la Cour européenne des droits de l’homme et la réélection du Secrétaire-général de l’APCE Wojciech Sawicki. Le groupe du Parti Populaire Européen (PPE) a choisi de présenter la candidature de son président Pedro Agramunt (Espagne) à la présidence de l’APCE en janvier prochain, lorsque l’actuelle présidente Anne Brasseur (Luxembourg) achèvera son mandat. Au groupe socialiste, nous avons élu Michele Nicoletti (Italie) à la présidence, Andreas Gross (Suisse) quittant l’APCE et le parlement suisse en fin d’année. Nous avons reçu durant la session la visite du Grand-Duc Henri de Luxembourg, du Président du Conseil des Ministres de Bosnie-Herzégovine et du Premier ministre serbe. De ces moments, souvent formels, je retiendrai l’extrême disponibilité du Grand-Duc, premier monarque dans l’histoire de l’APCE à accepter que les parlementaires lui posent des questions à l’issue de son discours ! La question du groupe socialiste était : « expliquez aux républicains que nous sommes les mérites démocratiques de la monarchie parlementaire »…
Mes prochains rendez-vous au Conseil de l’Europe seront les réunions à Paris en novembre et décembre des Commissions des affaires juridiques et de la culture. Je continue le travail de rédaction de mon rapport sur les réseaux associatifs et culturels des diasporas. A la faveur du départ de mon collègue Klaas de Vries (Pays-Bas) de l’APCE, je pourrais reprendre le rapport annuel sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et l’exécution des arrêts. Je devrais également être nommé rapporteur sur l’abus de leur immunité de juridiction par les organisations internationales, ayant déposé cette semaine une motion revêtue du nombre de signatures suffisantes pour porter ce sujet important pour les personnels des organisations concernées, au premier rang desquelles l’Office Européen des Brevets. Je reviendrai à Strasbourg les 18-19 novembre pour présider l’un des débats du Forum mondial de la démocratie, organisé dans l’Hémicycle du Palais de l’Europe et dont le thème cette année est « Liberté vs contrôle : pour une réponse démocratique », ce qui n’est pas sans rappeler quelque peu les échanges à l’Assemblée nationale au printemps dernier lors de l’examen du projet de loi sur le renseignement. Je participerai les 10-11 décembre à Strasbourg à la réunion de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), au sein de laquelle je représente l’APCE.
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