C’est un message que je commence sur la route. Ou plutôt dans le train, quelque part le long du Rhin, entre Francfort et Bonn. Le jour se lève tout juste sur ce 22 janvier. C’est l’anniversaire du Traité de l’Elysée. J’aime cette journée particulière, qui célèbre un texte fort et symbolique, un texte qui scelle la paix et trace toujours l’avenir. Chaque année, je l’attends avec bonheur. Hier soir, je participais dans la magnifique Kaisersaal de l’hôtel de ville de Francfort, sous le regard bienveillant de Charlemagne, à la remise du prix du lycéen organisé par la société franco-allemande. Un évènement magnifique et chaleureux, au contact de la jeunesse allemande et autour de notre langue. Aujourd’hui, je serai à Bonn pour le forum franco-allemand organisé par la Bonner Akademie für Forschung und Lehre, l’Université de Bonn, la Fondation Adenauer, la Fondation Grosspeter et l’Institut français des relations internationales. J’interviendrai sur le thème de « Ziemlich beste Freunde, und dann ? ».
« Dann », après, ensuite, demain, voilà précisément les justes interrogations. Les commémorations n’ont en effet de sens que lorsque l’on regarde devant. Que peut-on ensemble ? Et surtout que veut-on ensemble ? J’ai longtemps eu une vision de la relation franco-allemande marquée par l’institutionnel. Il y a quelques années, j’avais avec d’autres poussé le projet de créer un Ministre franco-allemand, membre des deux gouvernements, présent devant les deux parlements, démineur en charge de tous nos sujets communs. Je garde un intérêt pour cette proposition, qui ne présente cependant plus pour moi le même caractère de priorité. Le travail sur le terrain m’a convaincu que la priorité, ce sont les gens, les citoyens, ces centaines de milliers de franco-allemands, en Allemagne, en France et dans le monde, héritiers du Traité de l’Elysée et porteurs des valeurs qui nous rassemblent.
Droit de la famille, enseignement de la langue et de la culture, cursus bi-diplômants, reconnaissance des diplômes, formation professionnelle, protection sociale, fiscalité, retraites, en avons-nous fait assez ? La pratique me montre d’évidence que non. Le drame des conflits d’autorité parentale au sein d’anciens couples mixtes est connu des deux gouvernements, mais aucune action ne suit. Chaque année, à l’approche du Conseil des ministres franco-allemand, je me bats en vain pour que le sujet apparaisse à l’ordre du jour. Pourquoi faut-il aller jusque devant le Tribunal social fédéral de Kassel pour mettre un terme au prélèvement discriminatoire sur les retraites complémentaires françaises en Allemagne ? Pourquoi les diplômes français ne sont-ils pas reconnus pour l’emploi dans les jardins d’enfant en Allemagne alors même que nos gouvernements proclament en parallèle leur intention de multiplier les « kitas » franco-allemandes ?
Ce sont là des sujets de vie quotidienne, accueillis dans tel ou tel Ministère, à Paris ou Berlin par une condescendance à peine dissimulée. Ils ne sont certes pas flamboyants, mais requièrent l’écoute et l’action car il y a urgence. Rien ne justifie que les divergences fiscales entrainent l’imposition des pensions alimentaires transfrontalières dans le pays de versement et le pays de réception. Seul le manque d’allant, malheureusement, explique l’asymétrie dans le financement de l’Université Franco-Allemande, la France finançant désormais moins que l’Allemagne. C’est par aveuglement que les classes bi-langues seront supprimées en France à la rentrée prochaine, quand bien même elles avaient stabilisé en quelque 10 années les effectifs de collégiens germanistes. Le gouvernement, réalisant tardivement son erreur, a un peu redressé le tir, mais dans les grandes villes seulement, au détriment des collèges ruraux et de certaines régions qui perdront leur classes bi-langues allemand.
L’écart croissant entre les professions de foi du 22 janvier et la réalité de la vie quotidienne me désole. L’incantation n’est pas la solution. Les usines à gaz institutionnelles non plus. C’est dans la vérité des faits que l’on mesure la volonté d’agir et l’efficacité. Les Français en Allemagne, les Allemands en France et les franco-allemands dans le monde, sur les sujets énumérés plus haut et sur bien d’autres, attendent des résultats. Si nos pays sont les meilleurs amis depuis le 22 janvier 1963, alors ne glissons plus sous le tapis les sujets qui fâchent. Osons les aborder de front. Acceptons d’être en désaccord et recherchons des solutions concrètes, c’est-à-dire des compromis. Le progrès franco-allemand ne peut ignorer le citoyen. Il en va de la légitimité de la relation entre nos deux pays. Voilà ce que je dirai ce vendredi à Bonn, le 12 février à Aachen pour la réunion du praesidium du Bundestag et du Bureau de l’Assemblée nationale ainsi que le 18 février à Berlin, lorsque les commissions des affaires étrangères de nos deux assemblées se réuniront.
Le temps est à l’action : droit de la famille, culture, enseignement, protection sociale, retraites, fiscalité, entre autres. Je proposerai que des missions parlementaires ad hoc menées conjointement par un député allemand et un député français soient formées. Elles ne coûteraient rien ou presque. Que les règlements intérieurs de l’Assemblée nationale et du Bundestag ne les envisagent pas importe peu. Il est question ici de volonté de faire. Je recommanderai également de soutenir toutes les initiatives citoyennes, associatives ou parentales, notamment via l’Office Franco-Allemand pour la Jeunesse, une formidable organisation, dont le bilan a inspiré serbes et albanais, qui s’apprêtent dans quelques semaines à lancer un office balkanique pour la jeunesse. Laissons les jeunesses, les sociétés civiles, les enseignants passionnés préparer l’avenir. Montrons-leur par la preuve que nous sommes à la hauteur de leurs attentes, de l’espérance franco-allemande.
En ces temps incertains, il n’est pas interdit de dire que l’on aime l’Allemagne. Pas interdit non plus d’appeler les plus hautes autorités à prêter attention à la relation entre nos deux pays. La passion et l’émotion ne font pas de mal, elles sont même nécessaires. C’est ce que j’ai écrit au Président de la République le 9 novembre dernier (voir courrier en pièce jointe). Je n’avais pas rendue publique cette lettre à ce jour. En ce 22 janvier, j’ai jugé que je pouvais la partager. Parce que la date s’y prêtait. Parce qu’elle n’a pas (encore) reçu de réponse non plus.
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