J’ai participé cette semaine à la session d’hiver de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE). Plusieurs débats importants, reflets des difficultés nationales et européennes du moment, figuraient à l’ordre du jour, en particulier sur la crise migratoire, la lutte contre le terrorisme international, les attaques contre les femmes dans plusieurs pays d’Europe, la protection des défenseurs des droits, les combattants étrangers en Syrie et la situation au Haut-Karabagh. Un vote hostile des parlementaires conservateurs, soutenus par une partie du groupe PPE, a empêché l’organisation d’un débat d’actualité sur le fonctionnement des institutions démocratiques en Pologne. Il aurait pourtant eu tout son sens. J’ai regretté cette opposition de principe à ce qu’un sujet clivant comme celui-ci puisse être discuté, comme si le débat devenait en soi inacceptable sur certains bancs de droite. En 3 années à l’APCE, je n’avais pas vécu de telles préventions, qui laissent entrevoir un possible durcissement des échanges entre les groupes parlementaires. Ce serait malheureux, tant la force de l’APCE repose sur sa capacité à faire émerger de larges majorités à l’appui de résolutions et recommandations portées à l’attention des Etats membres et du Comité des Ministres du Conseil de l’Europe.
Un changement de leadership à la tête de l’APCE et parfois aussi de ses groupes politiques est toujours un moment délicat à négocier. La crispation voulue, vécue ou surjouée serait l’assurance d’une perte d’influence de l’institution parlementaire au Conseil de l’Europe. Il faut savoir s’en prémunir, d’autant qu’il ne se trouve à l’APCE ni de gouvernement à soutenir, ni de logique majoritaire ou d’opposition à épouser. Les majorités d’idées, sujet par sujet, se construisent au carrefour des familles politiques et des délégations nationales. C’est le rôle de chacun, à commencer par le président, de les rechercher. A la tête de l’APCE, nous avons élu le sénateur (PP) espagnol Pedro Agramunt, qui présidait jusqu’alors le groupe PPE. La présidence de l’APCE fait l’objet d’une rotation entre groupes politiques. En janvier 2018, ce sera un ou une socialiste qui succédera à Pedro Agramunt. Les présidences et bureaux des commissions ont été renouvelés aussi. J’ai été élu président de la sous-commission de la culture, de la diversité et du patrimoine, dont je suis membre depuis 2013, prenant la suite d’un député chypriote. Cette élection me conduira à renoncer à la vice-présidence de la commission des affaires juridiques et des droits de l’homme qui m’avait été confiée et que j’aurai exercée durant la semaine.
J’ai pris la parole en séance dans 3 débats et ai également interrogé le Secrétaire-général du Conseil de l’Europe lors de la présentation de son rapport. Le principal débat pour moi aura été celui consacré à la lutte contre le terrorisme et à la protection de l’Etat de droit, auquel a également participé Harlem Désir, Secrétaire d’Etat aux Affaires européennes. J’étais le rapporteur de la commission des affaires juridiques et des droits de l’homme. La ligne que j’avais souhaité développer dans mon rapport est que la sécurité publique et les droits fondamentaux, loin d’être des valeurs concurrentes, sont au contraire la condition préalable de l’existence de l’autre. Je conteste en effet l’idée qu’il faille accepter de renoncer durablement à des droits pour triompher du terrorisme. Ce débat, immanquablement, recoupait pour une large part les développements récents intervenus dans notre pays. La situation n’était pas simple pour moi. Devais-je, parce que Français, passer sous silence les interrogations soulevées sur l’application de l’état d’urgence en France, sa prolongation et son éventuelle constitutionnalisation, aux côtés de la déchéance de nationalité ? J’ai estimé que non.
La tâche d’un rapporteur à l’APCE est de rassembler. Pour ce faire, il me fallait n’ignorer aucun argument, quel que le soit le sens dans lequel ces arguments allaient, tout en maintenant le cap que je m’étais fixé. J’ai ainsi proposé que la Commission de Venise, organe reconnu du Conseil de l’Europe, composé de professeurs de droit et autres juges constitutionnels d’une soixantaine de pays du monde, soit saisie du projet de révision constitutionnelle présenté en France par le gouvernement et rende un avis sur sa compatibilité avec les normes européennes de protection des droits fondamentaux, dont bien sûr par la Convention européenne des droits de l’homme telle qu’interprétée par la Cour. En commission comme en séance, j’ai indiqué qu’il ne fallait pas voir dans cette proposition de saisine ni dans l’avis souhaité un quelconque jugement sur le projet de révision constitutionnelle. La Commission de Venise, dont les avis font autorité, apportera une opinion précise et fouillée en réponse à la question posée. Cette opinion servira à éclairer le débat public et parlementaire en France, mais aussi en Europe où les mêmes interrogations existent.
Ma proposition a recueilli le soutien d’une large majorité de parlementaires à l’issue d’un débat de belle tenue, mais politiquement (et humainement) difficile pour moi car la plus grande part de mes collègues français, de gauche comme de droite, étaient hostiles à la saisine de la Commission de Venise. J’ai également affronté l’opposition des conservateurs britanniques, des parlementaires du parti du Président Erdogan ainsi que des pays de Visegrad. Le texte de mon rapport se trouve ici, la vidéo de mon intervention ici et l’analyse du vote sur ma proposition de saisine de la Commission de Venise ici. Sur cette question de l’état d’urgence, j’avais rencontré en début de semaine le Secrétaire-Général du Conseil de l’Europe Thorbjorn Jagland et donné une interview à Arte Journal, visible ici.
Je vais suivre désormais l’élaboration de l’avis de la Commission de Venise, qui doit être rendu dans les 3 mois suivant la saisine. J’en ai informé l’Assemblée nationale, sachant les délais courts dans lesquels le gouvernement souhaite que les débats sur la révision constitutionnelle interviennent à l’Assemblée et au Sénat avant la réunion du Congrès à Versailles.
Mes deux autres prises de parole en séance ont concerné la crise des réfugiés (voir ici) et la situation de l’Etat de droit au Kosovo (voir ici).Sur la crise des réfugiés, j’ai déploré l’absence de volonté européenne, alors que des milliers de personnes continuent d’arriver chaque jour, malgré le froid sur la route des Balkans et les tempêtes en Méditerranée. J’ai interrogé le Secrétaire-Général du Conseil de l’Europe sur la part croissante d’enfants parmi les réfugiés sur la route des Balkans (voir ici).
J’ai voulu exprimer un soutien à la décision courageuse de la Chancelière Angela Merkel en août dernier sur l’accueil des réfugiés, au moment où ses amis politiques du PPE et même de la CDU lui font peu à peu défaut. J’ai recommandé la création d’une autorité européenne en charge de la protection des frontières extérieures de l’Union et la mobilisation des instruments de droit mis en place par le Conseil de l’Europe pour lutter contre la mafia des passeurs. Sur le Kosovo, j’ai souligné les progrès effectués sur le terrain de l’Etat de droit, mais pointé également les carences qui demeurent, notamment la corruption endémique, les actes de haine motivés par l’ethnicité et l’immaturité d’une classe politique qui plombe l’avenir du pays. J’ai dit mon soutien à l’adhésion nécessaire du Kosovo au Conseil de l’Europe.
Voilà ce qu’aura été pour l’essentiel ma semaine strasbourgeoise. Les prochaines étapes pour moi seront une mission auprès de la diaspora portugaise en mars, puis la présentation de mon rapport sur les réseaux culturels et éducatifs des diasporas européennes devant la commission de la culture en avril avant le vote final à Strasbourg lors de la session de juin de l’APCE. Je devrais être officiellement désigné rapporteur sur l’abus de l’immunité de juridiction par les organisations internationales au début du mois de mars lors de la réunion à Paris de la commission des affaires juridiques de l’APCE. A l’occasion d’un voyage que je prépare pour la fin mars au Monténégro, en Albanie, au Kosovo et en Macédoine, je visiterai chacun des parlements de ces pays et y échangerai avec plusieurs députés sur les questions d’Etat de droit et de prévention du discours de haine.
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