Rapporteur de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) sur l’exécution des arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme, j’ai réuni hier à l’Assemblée nationale une table-ronde consacrée à ce sujet, ouverte aux universitaires, diplomates et juristes ainsi qu’aux autorités administratives indépendantes actives dans le domaine de la protection des droits et libertés. Etaient notamment présents le Défenseur des droits Jacques Toubon, la Contrôleure des lieux de privation de liberté Adeline Hazan et la Présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme Christine Lazerges. J’ai également pu compter sur la participation de l’ancien Président de la Cour européenne des droits de l’homme Jean-Paul Costa et de l’actuelle Juge allemande à la Cour, Angelika Nussberger, professeure à l’Université de Cologne. Le but de ces échanges était de nourrir ma réflexion de rapporteur de l’expérience, des diagnostics et des propositions de chacun sur les moyens d’assurer une meilleure exécution des arrêts de la Cour. Car il existe une réelle difficulté : le nombre d’arrêts inexécutés dans des affaires jugées depuis plus de 5 ans s’accroît. Elles concernent majoritairement des procédures judiciaires sans fin, des détentions provisoires de durée excessive, de mauvais traitements infligés en cours de détention, de mauvaises conditions de détention et l’inexécution de décisions de justice interne. 9 Etats membres du Conseil de l’Europe en particulier se distinguent par l’inexécution criante des arrêts les concernant : Italie, Turquie, Russie, Ukraine, Roumanie, Grèce, Pologne, Hongrie et Bulgarie.
Le rapport que je prépare pour la fin de l’année 2016 ou le tout début 2017 ne sera pas le premier consacré par l’APCE à l’exécution des arrêts de la Cour. Ce sera le 9ème en près de 20 ans. Une part de ce que j’écrirai recoupera immanquablement les analyses développées par mes prédécesseurs dans la fonction de rapporteur, notamment l’ancien sénateur néerlandais Klaas de Vries, dont j’ai repris le flambeau en Commission des Affaires juridiques et des droits de l’homme à son retrait de la vie publique en septembre 2015. Il est possible cependant que les propositions que je ferai ne recoupent pas toutes celles présentées dans les travaux précédents. Je ne suis pas convaincu en particulier que la solution face à la difficulté d’exécution soit prioritairement le recours à la procédure en manquement prévue à l’article 46 de la Convention européenne des droits de l’homme. Je vois mal en effet le Comité des Ministres, en charge du suivi de l’exécution des arrêts, engager cette procédure, qui relève plus de la dissuasion nucléaire qu’autre chose, a fortiori dans un cénacle où chaque Etat a, d’une manière ou d’une autre, à balayer devant sa porte et n’est donc pas enclin à en secouer un autre. Très peu de résolutions intérimaires y sont d’ailleurs adoptées. Au demeurant, l’absence de dimension coercitive dans la procédure en manquement de l’article 46 rend aléatoire le résultat. Je préfère envisager d’autres pistes, comme la mobilisation du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, des institutions nationales de protection des droits de l’homme et de la société civile à travers les organisations non-gouvernementales.
Mon sentiment, suivant attentivement les questions de droits et libertés à l’Assemblée nationale et à l’APCE depuis 4 ans, est que l’inexécution ou la mauvaise exécution des arrêts de la Cour mine dangereusement le système européen de protection des droits de l’homme. J’ai entendu, jusque dans les débats en séance à l’Assemblée nationale, les accusations de « gouvernement des juges » ou les propos condescendants à l’égard des « juges de seconde zone » proférés par des collègues parlementaires hostiles à la Cour, à sa jurisprudence et au droit de recours individuel (lire ici). Une hostilité à l’égard de la Cour existe, malheureusement, que je sens monter. Je m’efforce de la combattre et de la démystifier. Il n’existe aucun gouvernement des juges. Il faut vouloir lire avec attention le texte des arrêts et résister à la tentation d’instrumentaliser politiquement la jurisprudence. Mais sans doute faut-il aussi pour la Cour faire assaut de pédagogie dans la rédaction des arrêts, car là se glisse en effet l’acceptabilité de son raisonnement et plus largement de son action. C’est un point sur lequel les intervenants à la table-ronde se sont accordés. La Cour doit-elle être plus prescriptive et indiquer dans ses arrêts les mesures précises que l’Etat concerné devrait prendre pour assurer l’exécution ? Certains intervenants y sont favorables, en particulier lorsqu’il s’agit de droits indérogeables, d’autres non, parmi lesquels je me range. La Cour doit respecter la subsidiarité et la marge d’appréciation des Etats membres du Conseil de l’Europe. Le dialogue entre la Cour et les cours constitutionnelles doit en tout état de cause être renforcé.
De la table-ronde d’hier, je préparerai un rapport détaillé, que je partagerai avec mes collègues parlementaires et publierai sur mon site dans les prochaines semaines. J’ai été heureux, mais surpris aussi que tous les intervenants me remercient d’avoir pris l’initiative de cet échange. Ce qui allait de soi dans mon esprit ne l’était pas en réalité : aussi surprenant (et navrant) que cela puisse paraître, ils n’avaient jamais débattu ensemble de ce sujet dans un tel format. Cela souligne encore plus vivement à mes yeux l’urgence d’introduire en droit français l’obligation de présentation par le gouvernement d’un rapport sur l’exécution des arrêts devant le Parlement chaque année. C’est le sens de ma proposition de loi constitutionnelle de l’an passé (lire ici), dont je regrette qu’elle n’ait pas obtenu à ce jour le soutien de mon groupe parlementaire, malgré tous les efforts consentis à cette fin. En conclusion de la table-ronde, j’ai rappelé l’inexécution par la France des arrêts Mennesson et Labassée sur la transcription des actes d’état civil des enfants nés à l’étranger de gestation pour autrui, sujet sur lequel je suis intervenu à l’APCE le mois passé (voir ici). L’inaction du gouvernement est profondément inacceptable. Dans la préparation de mon rapport, je suis ouvert à toutes les suggestions et interrogations. Chacun peut m’écrire à mon adresse de l’Assemblée nationale à cette fin (pyleborgn@assemblee-nationale.fr) ou solliciter un rendez-vous téléphonique ou par Skype. La prochaine étape sera un panel de discussion à Strasbourg le jeudi 24 juin lors de la session d’été de l’APCE.
En pièce jointe, veuillez trouver le compte-rendu de cette table-ronde.
Exécution des arrêts de la CEDH : Compte-rendu
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