J’ai participé mercredi à Berlin à une importante réunion des commissions des affaires étrangères du Bundestag, de la Diète polonaise et de l’Assemblée nationale, consacrée à la situation et aux perspectives de l’Union européenne après le Brexit. La délégation française était conduite par Elisabeth Guigou, présidente de notre commission, et composée de Didier Quentin (LR, Charente-Maritime), Eric Elkouby (PS, Bas-Rhin) et moi-même. L’échange avec nos collègues allemands et polonais, dans le cadre parlementaire du Triangle de Weimar, était nécessaire, à la fois parce que l’Allemagne et la Pologne pèseront à l’évidence dans les négociations sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union et parce que de réelles différences d’appréciation existent entre nous sur ce qu’il convient de faire en relation au Royaume-Uni et à l’avenir de l’Union. Ainsi, le président de la commission des affaires étrangères du Bundestag Norbert Röttgen, notre hôte mercredi, a co-signé en août dernier une publication (lire ici) recommandant l’établissement d’un partenariat continental avec le Royaume-Uni, fondé sur la liberté de circulation des marchandises, capitaux et services. Dans ce partenariat, la libre circulation des personnes est présentée à l’inverse comme limitée et temporaire.
Le départ des Britanniques pose une difficulté immédiate, qui est celle de la séparation d’un Etat membre du reste de l’Union, hypothèse jamais sérieusement envisagée, y compris par les zélateurs du Brexit, tétanisés le 24 juin au matin et fort peu diserts depuis. Le gouvernement britannique ne semble vouloir ni d’un statut de type norvégien (rejoindre l’Espace économique européen), ni d’un statut de type suisse (signer des traités bilatéraux). Très bien, un autre statut peut tout à fait être imaginé, mais il doit être clair aussi qu’il ne pourra en aucun cas s’agir d’un membership light à l’Union européenne, par lequel le Royaume-Uni conserverait finalement tout ce qu’il apprécie dans l’Union et se délierait de tout ce qu’il rejette. Le Brexit doit avoir un coût politique, économique et budgétaire pour les Britanniques. En des termes plus crus, le Brexit, ce ne peut être pour eux « le beurre et l’argent du beurre ». Voilà ce que nous avons été une majorité à dire à l’occasion de cette réunion à Berlin, à l’exception de quelques collègues de la CDU, comme le président Norbert Röttgen, dont l’argument était au contraire qu’il fallait prendre acte des lignes rouges britanniques sur la libre circulation des personnes pour préserver le marché intérieur.
Intervenant dans le débat, j’ai développé une position opposée. En cherchant à maintenir une relation forte avec un Etat membre qui s’en va, on ne peut sacrifier les principes fondateurs sur lesquels le projet européen s’est construit, à commencer par les 4 libertés de circulation. Ces 4 libertés fondamentales ne se divisent pas, pas davantage qu’elles ne se hiérarchisent. La libre circulation des personnes n’est pas la dernière des 4 libertés, la liberté accessoire, celle que l’on pourrait réduire si besoin est, en fonction de contingences politiques, comme une variable d’ajustement. Je me suis permis de rappeler que la libre circulation des personnes entraine l’application de principes aussi essentiels que la non-discrimination et l’égalité de traitement, sur la base desquels plus de 15 millions d’Européens vivent aujourd’hui dans un autre Etat que celui dont ils possèdent la nationalité, où ils ont acquis des droits comme l’accès à l’emploi, aux prestations sociales ou à la retraite. Accepter que le Royaume-Uni conserve le plein accès au marché intérieur tout en réduisant ces garanties serait ouvrir la boîte de Pandore à tous les dangers et à tous les populismes. En aucune manière, je ne pourrais l’accepter.
Cette position, assumée également par Elisabeth Guigou et Didier Quentin, a été rejointe par nos collègues polonais (PiS et PO ensemble), initialement un peu en retrait. Elle a été aussi dans le débat celle des orateurs des Grünen, de Die Linke et, plus discrètement, du SPD. La CDU, par la voix du président Röttgen et de son porte-parole Jürgen Hardt, a développé une position moins affirmée, nous appelant à la Realpolitik. Mais la Realpolitik n’est-elle pas prioritairement de reconnaître que si les peuples rejettent aujourd’hui le projet européen, c’est parce que nous en avons peu à peu oublié la dimension humaniste et de progrès ? L’Europe ne se résume pas au seul business et à la finance. Réduire la libre circulation des personnes, pour préserver coûte que coûte les relations commerciales avec le Royaume-Uni, serait faire un pas de plus loin des Européens, un pas de trop. On ne peut faire l’Europe à l’écart du citoyen, encore moins contre celui-ci. Il est temps de le rappeler, ce que la déclaration de Bratislava du 16 septembre dernier fait, certes trop timidement à mon goût. En d’autres termes, le fond des positions des 27 dans la négociation à venir avec le Royaume-Uni ne peut s’inscrire en contradiction avec les initiatives que les mêmes chefs d’Etat et de gouvernement seront appelés à prendre pour relancer l’Union européenne.
L’Europe est à la croisée des chemins. C‘est peu de le dire. Il nous faut agir pour l’unité européenne, tirant toutes les leçons du Brexit et des crises traversées ces dernières années. Il faut avancer sur le marché intérieur, sur la politique industrielle, sur le budget, sur la solidarité. Il faut aussi consolider l’Europe politique face aux grands enjeux, qu’il s’agisse de la sécurité, de la défense, des migrations, de l’énergie ou de la crise climatique. Et ne surtout pas perdre de vue l’exigence de légitimité démocratique, qui requiert de repenser profondément le fonctionnement institutionnel de l’Union dans le sens de la transparence et de l’efficacité des processus décisionnels, comme aussi, mot difficilement traduisible, de l’accountability. Les choquantes affaires Barroso et Kroes sont là pour nous le rappeler. De tout cela, il est important que la diplomatie parlementaire, version Triangle de Weimar, s’empare, en lien exigeant avec nos gouvernements. La réunion de Berlin aura une suite à Paris dans la seconde quinzaine du mois de janvier 2017. J’espère que ce prochain rendez-vous permettra également de nous pencher sur les valeurs européennes, ce qui nous rassemble et qu’il ne saurait être question de sacrifier. A commencer par la solidarité.
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