J’ai pris part hier soir comme orateur du groupe socialiste au débat à l’Assemblée nationale sur la proposition de résolution relative à la reconnaissance et à la poursuite des crimes perpétrés en Syrie et en Irak ainsi qu’à l’accès des populations civiles à l’aide humanitaire. Cette proposition de résolution émanait de la Commission des Affaires étrangères et était portée par sa Présidente Elisabeth Guigou. Fait (malheureusement) rare, elle était co-signée par plusieurs députés de l’opposition, dont l’ancien Président de la Commission Axel Poniatowski. J’en étais moi-même également l’un des co-signataires.
Notre texte rappelle l’ampleur des crimes perpétrés en Syrie et en Irak par l’ensemble des belligérants, qu’ils soient des organisations étatiques ou non, et le fait que ces crimes à l’encontre des populations civiles relèvent des incriminations prévues de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, voire de crimes de génocide. Il invite le gouvernement à utiliser toutes les voies de droit, y compris la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité des Nations Unies pour reconnaître ces crimes et en poursuivre les auteurs. Il l’encourage également à poursuivre l’effort pour que l’aide humanitaire internationale parvienne aux populations civiles en Syrie.
Dans mon intervention, j’ai plaidé pour le recours aux mécanismes offerts par le droit international, au risque que, comme c’est régulièrement le cas, la Russie vienne par son véto au Conseil de sécurité protéger son allié Bachar el-Assad. Chacun doit en effet être placé devant ses responsabilités. Il y a en Syrie des bourreaux qui se combattent et qui, tous, s’en prennent aux populations civiles et aux communautés pour ce qu’elles sont. Deach poursuit un plan redoutable : éliminer toute forme de diversité religieuse, culturelle et ethnique. La commission d’enquête des Nations Unies a conclu ainsi l’an passé au caractère génocidaire des crimes commis contre les populations yézidies.
Les crimes de Daesh ont pour nom le meurtre, la torture, l’esclavage, le viol, les déplacements forcés et les disparitions. Ceux de Bachar sont les attaques à l’arme chimique, la torture dans les prisons et le bombardement de populations prises au piège, comme à Alep-Est. Je considère qu’il ne peut y avoir de hiérarchie dans l’horreur ni de gens qu’il faudrait considérer comme « moins pires » que d’autres. En clair, je soutiens la politique du gouvernement français dans la région et me refuse à voir dans Bachar el-Assad un interlocuteur obligé ou souhaitable, à la différence de quelques collègues qui, sans doute par fascination pour les pouvoirs forts, aiment à se faire photographier à ses côtés.
Voici plus bas le texte de mon intervention ainsi que la vidéo de celle-ci
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Pierre-Yves Le Borgn’
PPR reconnaissance et poursuites des crimes perpétrés en Syrie et en Irak
21 février 2017
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Madame la Présidente de la Commission des Affaires étrangères, chère Elisabeth Guigou,
Chers collègues,
Nous achevons cette semaine les travaux de la XIVème législature. S’il est une question récurrente qui, dans l’horreur et le drame, a mobilisé notre engagement et notre volonté de parlementaires tout au long de ces 5 années, c’est bien celle des crimes perpétrés en Syrie et en Irak. Crimes contre l’humanité, crimes de guerre, crimes de génocide sans doute aussi. Nous avons des images à l’esprit, des témoignages également, tous glaçants et révoltants au regard de ce que sont les valeurs d’humanité, de droit et de paix que nous portons. En Syrie, en Irak, il y a des victimes par millions. Des morts, des blessés, des orphelins, des femmes et hommes de tous âges pris au piège de bombardements, jetés sur les routes, vivant ou plutôt survivant dans des conditions sanitaires innommables. En Syrie, en Irak, il y a des bourreaux, plusieurs bourreaux, beaucoup de bourreaux, qui se combattent et s’en prennent tous aux populations civiles et aux communautés en raison de ce qu’elles sont, de leurs convictions, de leur histoire ou de leur résistance.
La proposition de résolution qui est soumise à notre vote appelle le gouvernement à utiliser toutes les voies de droit, y compris celle de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité des Nations Unies, pour reconnaître les crimes perpétrés. Je la soutiens. Ces crimes, nous les connaissons. Il suffit pour cela de se référer aux multiples rapports de la commission d’enquête internationale sur la Syrie, créée par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies. Daech poursuit en Syrie et en Irak avec méthode un plan redoutable : éliminer toute forme de diversité religieuse, culturelle et ethnique. Je pense au calvaire subi par les populations yézidies dans le nord de l’Irak, à propos desquelles la commission d’enquête a conclu l’an passé au caractère génocidaire des crimes commis. Je pense aux chrétiens d’Orient et également à toutes les minorités que Daech entend asservir, jeter sur le chemin de l’exil ou éradiquer. Ces crimes ont pour nom le meurtre, la torture, l’esclavage, le viol, les déplacements forcés et les disparitions.
D’autres acteurs, étatiques et non-étatiques, portent aussi de lourdes responsabilités. C’est le cas du régime de Bachar el-Assad. C’est Bachar qui a réprimé dans le sang les premières manifestations, pacifiques, contre la dictature en 2011. Je ne peux oublier les attaques à l’arme chimique dans la banlieue de Damas en 2013, auxquelles la communauté internationale aurait dû réagir plus directement et fermement. La France, pour ce qui la concerne, y était prête. Je n’oublie pas davantage l’ensemble des preuves rassemblées contre le régime de Damas s’agissant d’actes de torture contre des civils dans des prisons gouvernementales. Ces actes ont été qualifiés de crimes contre l’humanité par la commission d’enquête des Nations Unies. Comme tant d’autres, j’ai une pensée pour les 250 000 enfants, femmes et hommes d’Alep, pris au piège, soumis aux bombardements sans fin du régime syrien et de ses alliés russes, bombardements d’une rare violence qui visaient jusque les hôpitaux, preuve que personne ne devait être épargné.
Je n’appartiens pas à ceux que les pouvoirs forts, les dictateurs et autres criminels de guerre fascinent. Certains collègues ici, heureusement peu nombreux, aiment à rendre visite à Bachar el-Assad avec l’illusion qu’ils ont face à eux un interlocuteur responsable. Ils se trompent et ne rendent pas service à notre pays. Je soutiens l’engagement de la France, sous la présidence de François Hollande. La France conduit l’opération Chammal en Irak depuis septembre 2014 et en Syrie depuis septembre 2015. Notre but est de faire reculer Daech et permettre le retour des populations dans les régions d’où elles avaient été chassées. Je salue nos forces sur place. Je souligne également le rôle essentiel joué par la France au Conseil de sécurité pour tenter de résoudre la crise irako-syrienne et faire prévaloir l’urgence humanitaire. Ces efforts se sont heurtés régulièrement au veto russe, que les résolutions portent sur la saisine de la Cour pénale internationale pour l’ensemble des belligérants ou la cessation des bombardements à Alep.
L’engagement de la France est nécessaire. Je pense à la conférence intergouvernementale que notre pays avait organisée avec la Jordanie à Paris en septembre 2015. Le plan d’action qui en est ressorti est une feuille de route pour la communauté internationale et le respect du droit. Ce plan vise à venir en aide aux réfugiés et personnes chassées en raison de la guerre, à lutter contre l’impunité et préserver la diversité du Moyen-Orient. Il reste actuel. Nous avons su nous mobiliser, y compris par la création d’un fonds permettant d’aider des projets dans les domaines de la santé ou de l’éducation. A mon niveau, comme d’autres collègues à l’Assemblée nationale et au Sénat, j’ai consacré l’an passé une part de réserve parlementaire pour soutenir le Lycée français Charles de Gaulle de Damas, dont je salue les élèves, les enseignants et la direction. Dans des conditions toujours plus périlleuses, le Lycée français de Damas offre une belle image de notre pays et de ses valeurs. La France, c’est cette attention-là aussi et nous devons en être fiers.
Lutter contre l’impunité, se battre pour l’application du droit international, c’est venir en aide aux organisations non-gouvernementales. Certaines d’entre elles se consacrent à récolter les preuves des atrocités et des crimes perpétrés. Ce travail de collecte est fondamental pour que la justice puisse être rendue. Le travail de ces ONG en lien avec la commission d’enquête sur la Syrie est précieux. D’autres ONG attirent notre urgente attention sur la situation humanitaire catastrophique consécutive aux faits de guerre, mais aussi à la volonté des belligérants de s’opposer à l’acheminement de l’aide médicale et humanitaire elle-même. Dans cette folie, les hôpitaux et les convois humanitaires sont devenus des cibles. L’on s’en prend aux médecins et à tous ceux qui entendent sauver des vies, au point que des organisations, gouvernementales ou non, se retirent de certaines zones où pourtant l’urgence existe. Selon la commission d’enquête sur la Syrie dans son rapport d’août 2016, ce sont les forces syriennes et aussi Daech qui sont en cause.
Il n’y a pas d’impuissance ou d’impasse en Syrie et en Irak, contrairement à ce que certains affirment, il y a le combat du droit et pour le droit à mener, sans relâche. Ce combat-là, c’est la saisine de la Cour pénale internationale par le Conseil de sécurité pour qu’elle enquête et qu’elle poursuive les crimes commis à l’encontre des populations civiles et des minorités, d’où que viennent ces crimes, que leurs responsables soient des organisations étatiques ou non-étatiques. La justice internationale doit passer car elle seule est en mesure de préparer la réconciliation, aussi difficile soit-elle. Je suis heureux que la France porte ce combat du droit, heureux également qu’elle mobilise notre code pénal pour enquêter sur les faits commis en Syrie et en Irak par des Français. Face à une telle tragédie, il ne peut y avoir de hiérarchie dans l’horreur et des gens qu’il faudrait cyniquement considérer, pardonnez l’expression, comme « moins pires » que d’autres. Il y a à l’inverse une exigence invariable en laquelle je me reconnais profondément : le droit pour la paix, le droit pour l’humain, le droit pour chacun.
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