La prise en compte du droit de la famille dans l’espace européen est un sujet essentiel et cependant encore émergent au cœur de l’activité législative communautaire. Sans doute faut-il y voir, entre autres causes, le reflet du faible nombre de citoyens de l’Union qui vivent dans un autre Etat membre que celui dont ils possèdent la nationalité : 8 millions sur un total de 495 millions. Pour autant, ces citoyens dont nous sommes, venus étudier, travailler, rejoindre leur famille ou passer leur retraite à l’étranger, sont les premiers témoins des réussites, des échecs et aussi des carences de la libre circulation des personnes. C’est vrai sur la reconnaissance des diplômes, la sécurité sociale ou bien encore la retraite. Cela l’est aussi, sans doute de manière plus appuyée, en matière de droit de la famille. En effet, les différences de législation d’un Etat membre à l’autre, l’application à tout le moins difficile des décisions de justice dans un cadre transnational et la frilosité de nombreux Etats membres face à l’élaboration d’un espace européen de liberté, de sécurité et de justice permettent de mesurer le long chemin qu’il reste toujours à accomplir.
Ancien élu à l’Assemblée des Français de l’Etranger, j’ai eu souvent à traiter de questions relatives au divorce, au droit de garde, aux obligations alimentaires se posant entre anciens époux de nationalités différentes. Ces questions étaient toujours complexes. Elles étaient aussi chargées de grande détresse humaine face auxquels le droit ou son application étaient d’un faible secours. Bon an, mal an, ce sont environ 170 000 mariages entre conjoints de nationalités différentes qui aboutissent à un divorce au sein de l’Union européenne. Or, le droit du divorce d’un Etat membre à l’autre varie considérablement, exposant les conjoints à de nombreux risques qu’ils ne maitrisent que rarement. Si l’Union européenne n’a pas compétence aux termes des Traités pour mettre en place un régime européen du divorce se substituant aux législations nationales, elle a cependant toute vocation à harmoniser les règles de conflit de manière à déterminer la loi applicable. La plupart des Etats membres n’offrent pas en effet aux couples le choix du pays de divorce. Une grande insécurité juridique en résulte, liée le plus souvent à l’introduction de la procédure par l’un des conjoints dans l’Etat membre où il/elle pense que ses intérêts seront les mieux défendus.
Le travail de l’Union ne peut donc seulement se limiter à la détermination de règles de compétence de juridiction et de reconnaissance des jugements. Celles-ci existent déjà, plus ou moins bien appliquées. Il faut aussi définir une possibilité pour le couple binational de choisir d’un commun accord le tribunal compétent et la loi applicable au divorce. A défaut, la loi applicable pourrait être déterminée sur base de critères tels que la dernière résidence habituelle des époux. C’était tout le but du projet de Règlement européen connu sous le nom de Rome III, présenté par la Commission européenne il y a quelques années déjà et malheureusement encalminé au Conseil des Ministres en raison d’un veto suédois. Soucieuse de ménager les Etats membres réticents, la Commission européenne, sous l’égide de Jacques Barrot, n’avait pas donné droit l’an passé à la proposition de coopération renforcée adressée par 10 pays, dont la France, afin que le veto suédois ne freine pas la volonté de ceux-ci de mettre en place entre eux les principes du Règlement de Rome III. La question doit être reposée à la nouvelle Commission car l’inaction en la matière ne peut en aucun cas être une solution au regard des situations souvent dramatiques auquel le projet de Règlement visait à apporter réponse.
Les questions d’obligations alimentaires dans un cadre transfrontalier se posent également. Elles sont certes plus encadrées que celles relatives à la détermination de la procédure de divorce depuis l’adoption en 2008 du Règlement européen définissant les dispositions applicables sur les conflits de juridictions, les conflits de lois, la force exécutoire et la coopération entre les autorités judiciaires des Etats membres. Reste que de la théorie à la pratique, il y a un écart souvent cruel que j’ai pu, là également, mesurer sur quelques dossiers dont j’ai eu la charge. Les exemples d’inexécution de jugements sont nombreux, liés à la difficile coopération entre les Etats membres. Le sujet est encore plus douloureux en matière de déplacements illicites d’enfants, qui échappent largement à l’orbite communautaire. L’action de l’Union européenne est désormais nécessaire ici également. Elle doit, outre l’engagement législatif, reposer aussi sur le renforcement nécessaire de la coopération entre Etats membres, et en particulier sur la dynamisation du réseau judiciaire civil existant dans l’Union, à qui moyens et soutiens doivent être accordés.
Plus loin, les questions du vieillissement et de la dépendance doivent également être envisagées sous l’angle du développement du droit européen de la famille. C’est notamment le cas de la protection des majeurs vulnérables, pour l’essentiel les personnes âgées et les personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer. La Convention de La Haye traitant de ce sujet est entrée en vigueur en 2009. Elle définit des règles permettant de déterminer les autorités nationales auxquelles il reviendra de prendre les mesures nécessaires de protection de la personne et de ses biens. Elle prévoit en outre un cadre de reconnaissance mutuelle des décisions prises par les autorités d’un Etat partie. Un examen tout particulier des premières années d’application de la Convention sera nécessaire car les questions relatives aux personnes âgées dépendantes dans une dimension transnationale se posent de plus en plus régulièrement.
Enfin, il faudra aborder le chantier des successions. Pas loin de 500 000 successions transnationales sont ouvertes chaque année dans l’Union européenne. D’un Etat membre à l’autre, les règles sur la compétence des tribunaux et la loi applicable sont très différentes. La réalité d’une succession transnationale est souvent complexe et dure à gérer pour les héritiers, placés dans une situation d’insécurité juridique. De premiers débats ont eu lieu au cours des dernières années, abordant en particulier l’idée de mettre en place un critère unique pour déterminer les autorités compétentes et la loi applicable par défaut à une succession transnationale, qui serait la résidence habituelle du défunt. Il avait été proposé aussi de créer un certificat successoral européen, dans le but d’apporter sans autres formalités la preuve de la qualité d’héritier. Toutes ces questions devront être traitées sans retard tant elles reflètent une réalité vécue de la libre circulation dans l’espace européen.
Le travail à mener en matière de droit européen de la famille est fondamental à mes yeux. Il s’agit d’apporter réponse à des attentes identifiées et nombreuses, dont on sait qu’elles croîtront à mesure que grandira la proportion d’Européens vivant dans un autre Etat membre que celui dont ils sont les ressortissants. C’est un besoin d’Europe, complexe certes, concret aussi, dont les militants socialistes que nous sommes doivent se faire les porte-drapeaux. Il faut veiller à l’application du droit et agir sans relâche pour étoffer dans une perspective progressiste l’arsenal législatif commun. Candidat à la candidature de notre parti pour les élections législatives dans la 7ème circonscription des Français de l’étranger, une collection de territoires familiers de ces problématiques, je souhaite placer le développement du droit européen de la famille au cœur de mon engagement et de mon action de parlementaire si, désigné par les militants, j’étais élu en 2012. A la Commission des Lois et à la Délégation pour l’Union européenne de l’Assemblée Nationale comme également au sein de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, noble et belle maison européenne du droit, il y a matière à agir – en législateur – pour la cause de celles et ceux qui ont fait le choix de la libre circulation et ainsi faire prospérer la citoyenneté européenne.
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