Ce matin, mes enfants ont pris le chemin de l’école pour la dernière fois. Je les ai vus filer, l’esprit joyeux, les cartables légers. Dans quelques heures retentira l’ultime sonnerie, celle de la liberté et des grandes vacances. Les portes de l’école s’ouvriront et le ciel bleu de Bruxelles annoncera enfin ces deux mois de jeux, de soleil et de bonheur qu’ils ont tant attendus. Ce sera le moment de dire au revoir aux copines et aux copains, de ranger les cahiers et les livres d’une année, de boucler les valises et de se préparer au départ. Demain matin, l’avion pour l’Espagne décollera. Madrid, puis la Galice, ce seront les retrouvailles avec les grands-parents, los abuelos, embrassés la dernière fois un jour d’août 2020 sur un trottoir de La Coruna. Nous devions les retrouver chez nous en Belgique à l’automne. Il n’en a rien été. Les vagues successives de Covid sont passées par là. Une année sans grands-parents, une année à attendre, à espérer, à avoir peur aussi, pour eux, pour nous. Dans une petite vie, une année, c’est long. C’est même une éternité. Ces grandes vacances auront une saveur particulière, celle des retrouvailles, du soulagement et de la vie d’après. Car en un an, on grandit aussi. Il y a l’âge, mais également l’épreuve d’une année si particulière, vécue sous cloche, et qui a changé mes enfants.
Que reste-t-il de l’innocence lorsqu’une telle épreuve surgit ? Dans notre bulle, je me suis attaché à protéger leurs rêves, à leur parler de la vie, des temps anciens et de l’avenir comme si rien ne se passait. Mais le Covid était partout. Il y a tant de choses qu’ils souhaitaient faire et que nous n’avons pu réaliser. Comme bien des parents, nous nous sommes adaptés aux contraintes, nous avons géré la classe à la maison, nous avons organisé tant bien que mal ces semaines et ces mois durant lesquels sortir était devenu si difficile. Je me souviens de la Toussaint à l’Ile-Tudy, de quelques jours de repos au bord de l’Atlantique qui devinrent deux semaines hors du temps, les confinements belges, puis français nous ayant pris par surprise. Un jour, il n’y eut plus personne sur la plage sinon Marcos, Pablo, Mariana (et beaucoup de mouettes aussi). Le matin, c’était la classe à distance et l’après-midi la construction des châteaux de sable sur la plage déserte. Notre mamie bretonne venait en auto avec les brioches, partagées face à la mer, derrière les masques. Le soir, je retrouvais sur ma table de chevet, dans un petit pot de yaourt, quelques plantes sauvages coupées sur la dune. Il y avait la solitude et la douceur, la crainte et le sentiment que parce que nous étions ensemble, tout irait bien malgré tout.
Autant qu’il était possible, au Nouvel An à l’Ile-Tudy (de nouveau), puis dans les Ardennes en hiver et au printemps, lorsque passer une frontière n’était plus possible, nous avons transporté notre bulle au bord de l’océan ou au cœur de la campagne. Il fallait respirer, courir, jouer, tromper en un mot ce huis-clos obligé loin de nos familles espagnoles et françaises. Tant de livres ont été lus, de films regardés et de parties de foot disputées, sur une plage ou dans un champ, avec deux buts gonflables qui nous accompagnent désormais partout. Pagnol, de Funès et Mbappé sont devenus les compagnons de mes enfants, leurs héros ultimes de confinement, ceux qui les ont fait rêver, rire et jouer, ceux dont ils se souviendront longtemps aussi lorsque le Covid sera devenu un bout d’histoire. Que retiendront-ils ? Sans doute la crainte qui s’empara de nous lorsqu’à l’approche de Pâques, le Covid entra dans notre bulle et nous conduisit à l’isolement le plus total. Toutes ces précautions auxquelles nous nous pliions depuis des mois n’avaient pas suffi à le tenir à distance. Nous avons tenu bon. Le courage de mes enfants m’a beaucoup marqué. Avec leurs mots et bien plus que nous l’imaginions, ils avaient compris la situation, le devoir de respecter les règles, l’importance d’être là les uns pour les autres aussi.
Rien n’est encore gagné. La pandémie rode toujours, malgré la vaccination. Mais les câlins des retrouvailles de l’été seront au rendez-vous. Il le faut. Il faut retrouver cette part de liberté, l’esprit des étés d’avant, l’insouciance qui fait l’enfance et qui construit aussi les souvenirs, les bons souvenirs. Il y aura la mer, la natation, le golf, le vélo, la voile, le foot, les livres. Je poursuivrai mes évocations de Marcel Pagnol, glissant de La Gloire de mon père et du Château de ma mère au Temps des secrets. J’ai promis à mes enfants un voyage sur les traces de Pagnol en Provence. Ils attendent cela. Ce voyage sera un remerciement pour eux, celui d’avoir été courageux et aussi de nous avoir inspirés. Il faut remercier les enfants. Il m’est arrivé parfois de le leur dire, un soir, une nuit. Heureusement qu’ils étaient là. Je pense aussi à leurs professeures, qui les ont soutenus et encouragés à l’école ou à distance tout au long de cette année si dure et particulière. Un immense merci à elles. Marcos, Pablo et Mariana n’oublieront jamais Anne, Sonja et Estelle. Et leur dire au revoir aujourd’hui sera pour eux une peine sincère. Ce soir, après les émotions, il sera temps de regarder de Funès, le même film, comme chaque année, pour se préparer : Les grandes vacances. L’été, alors, pourra commencer.
Les grandes vacances
Ce matin, mes enfants ont pris le chemin de l’école pour la dernière fois. Je les ai vus filer, l’esprit joyeux, les cartables légers. Dans quelques heures retentira l’ultime sonnerie, celle de la liberté et des grandes vacances. Les portes de l’école s’ouvriront et le ciel bleu de Bruxelles annoncera enfin ces deux mois de jeux, de soleil et de bonheur qu’ils ont tant attendus. Ce sera le moment de dire au revoir aux copines et aux copains, de ranger les cahiers et les livres d’une année, de boucler les valises et de se préparer au départ. Demain matin, l’avion pour l’Espagne décollera. Madrid, puis la Galice, ce seront les retrouvailles avec les grands-parents, los abuelos, embrassés la dernière fois un jour d’août 2020 sur un trottoir de La Coruna. Nous devions les retrouver chez nous en Belgique à l’automne. Il n’en a rien été. Les vagues successives de Covid sont passées par là. Une année sans grands-parents, une année à attendre, à espérer, à avoir peur aussi, pour eux, pour nous. Dans une petite vie, une année, c’est long. C’est même une éternité. Ces grandes vacances auront une saveur particulière, celle des retrouvailles, du soulagement et de la vie d’après. Car en un an, on grandit aussi. Il y a l’âge, mais également l’épreuve d’une année si particulière, vécue sous cloche, et qui a changé mes enfants.
Que reste-t-il de l’innocence lorsqu’une telle épreuve surgit ? Dans notre bulle, je me suis attaché à protéger leurs rêves, à leur parler de la vie, des temps anciens et de l’avenir comme si rien ne se passait. Mais le Covid était partout. Il y a tant de choses qu’ils souhaitaient faire et que nous n’avons pu réaliser. Comme bien des parents, nous nous sommes adaptés aux contraintes, nous avons géré la classe à la maison, nous avons organisé tant bien que mal ces semaines et ces mois durant lesquels sortir était devenu si difficile. Je me souviens de la Toussaint à l’Ile-Tudy, de quelques jours de repos au bord de l’Atlantique qui devinrent deux semaines hors du temps, les confinements belges, puis français nous ayant pris par surprise. Un jour, il n’y eut plus personne sur la plage sinon Marcos, Pablo, Mariana (et beaucoup de mouettes aussi). Le matin, c’était la classe à distance et l’après-midi la construction des châteaux de sable sur la plage déserte. Notre mamie bretonne venait en auto avec les brioches, partagées face à la mer, derrière les masques. Le soir, je retrouvais sur ma table de chevet, dans un petit pot de yaourt, quelques plantes sauvages coupées sur la dune. Il y avait la solitude et la douceur, la crainte et le sentiment que parce que nous étions ensemble, tout irait bien malgré tout.
Autant qu’il était possible, au Nouvel An à l’Ile-Tudy (de nouveau), puis dans les Ardennes en hiver et au printemps, lorsque passer une frontière n’était plus possible, nous avons transporté notre bulle au bord de l’océan ou au cœur de la campagne. Il fallait respirer, courir, jouer, tromper en un mot ce huis-clos obligé loin de nos familles espagnoles et françaises. Tant de livres ont été lus, de films regardés et de parties de foot disputées, sur une plage ou dans un champ, avec deux buts gonflables qui nous accompagnent désormais partout. Pagnol, de Funès et Mbappé sont devenus les compagnons de mes enfants, leurs héros ultimes de confinement, ceux qui les ont fait rêver, rire et jouer, ceux dont ils se souviendront longtemps aussi lorsque le Covid sera devenu un bout d’histoire. Que retiendront-ils ? Sans doute la crainte qui s’empara de nous lorsqu’à l’approche de Pâques, le Covid entra dans notre bulle et nous conduisit à l’isolement le plus total. Toutes ces précautions auxquelles nous nous pliions depuis des mois n’avaient pas suffi à le tenir à distance. Nous avons tenu bon. Le courage de mes enfants m’a beaucoup marqué. Avec leurs mots et bien plus que nous l’imaginions, ils avaient compris la situation, le devoir de respecter les règles, l’importance d’être là les uns pour les autres aussi.
Rien n’est encore gagné. La pandémie rode toujours, malgré la vaccination. Mais les câlins des retrouvailles de l’été seront au rendez-vous. Il le faut. Il faut retrouver cette part de liberté, l’esprit des étés d’avant, l’insouciance qui fait l’enfance et qui construit aussi les souvenirs, les bons souvenirs. Il y aura la mer, la natation, le golf, le vélo, la voile, le foot, les livres. Je poursuivrai mes évocations de Marcel Pagnol, glissant de La Gloire de mon père et du Château de ma mère au Temps des secrets. J’ai promis à mes enfants un voyage sur les traces de Pagnol en Provence. Ils attendent cela. Ce voyage sera un remerciement pour eux, celui d’avoir été courageux et aussi de nous avoir inspirés. Il faut remercier les enfants. Il m’est arrivé parfois de le leur dire, un soir, une nuit. Heureusement qu’ils étaient là. Je pense aussi à leurs professeures, qui les ont soutenus et encouragés à l’école ou à distance tout au long de cette année si dure et particulière. Un immense merci à elles. Marcos, Pablo et Mariana n’oublieront jamais Anne, Sonja et Estelle. Et leur dire au revoir aujourd’hui sera pour eux une peine sincère. Ce soir, après les émotions, il sera temps de regarder de Funès, le même film, comme chaque année, pour se préparer : Les grandes vacances. L’été, alors, pourra commencer.