Il y a 40 ans ce 17 octobre, j’entrais en première année de droit. J’avais quitté Quimper la veille pour ce grand saut vers la vie d’après. Trois mois auparavant, j’étais encore lycéen. J’avais 17 ans. J’arrivais à Nantes avec tout à découvrir, tout à apprendre aussi. M’organiser seul, vivre seul, ce serait mon quotidien pour longtemps. J’avais une petite chambre près de la cathédrale Saint-Pierre. M’asseyant ce matin-là dans le grand amphithéâtre de 800 places de la faculté de droit, bondé et agité, je mesurais combien la rupture avec la quiétude de mes années lycéennes serait rude. Je ne connaissais personne. L’année devait débuter par un cours de droit constitutionnel. Le professeur entra, jaugeant d’un rapide coup d’œil cette assemblée dissipée d’aspirants juristes, ouvrit son dossier et commença. Le silence se fit. J’imaginais une réflexion initiale sur le sens du droit dans nos sociétés démocratiques. Tel ne fut pas le cas. Le professeur avait écouté la radio, pas les étudiants. « Nous venons à l’instant d’apprendre la mort de Pierre Mendès France », dit-il. « Je souhaite consacrer ce premier cours à sa trace politique et à son désaccord avec le Général de Gaulle sur la question institutionnelle ». S’en suivit un exposé éblouissant, improvisé, sans aucune note, et d’autant plus admirable que – je le comprendrai plus tard – ce professeur n’avait pas la moindre affinité avec les idées mendésistes.
Pour moi, Pierre Mendès France était le vieux monsieur qui, un an auparavant, avait versé une larme émouvante durant la cérémonie d’investiture du Président François Mitterrand. Je me souviens aussi qu’il parlait parfois au Club de la Presse d’Europe 1, que mon père écoutait sur son petit poste de radio tous les dimanches soirs. C’était à peu près tout. Au lycée, les programmes d’histoire s’arrêtaient en 1945 et je ne savais rien de la IVème République. Qui était Mendès France ? Le cours de mon professeur de droit constitutionnel me donna quelques clés, des pistes à explorer. Cette première heure de ma vie à venir de juriste m’avait passionné. Je pressentais que derrière le personnage de Mendès France, présenté sous l’angle de son affrontement avec de Gaulle sur la Constitution de la Vème République, il y avait bien plus. Le professeur avait mentionné la biographie écrite quelques années auparavant par le journaliste Jean Lacouture. J’entrepris de la lire dans les jours suivants, découvrant la richesse d’une vie, d’un parcours de politique et d’homme, les moments forts, les moments d’immense solitude aussi. La biographie de Lacouture fut le premier livre sur Pierre Mendès France que je lus. Il y en eut bien d’autres après, à commencer par les livres de Mendès lui-même. Ils mirent des mots et des idées sur mes premiers choix citoyens.
Je me sentais sans nul doute de gauche, d’une gauche éprise de liberté, loin des dogmes et bréviaires révolutionnaires. Je n’avais aucune appétence pour le marxisme et l’économie dirigée, aucune fascination pour le monde communiste, en France et au-delà. Dans le parcours et l’idéal républicain de Pierre Mendès France, je trouvai d’un coup beaucoup des références alors balbutiantes de mon éveil politique : la décentralisation, le lien attentif à la société civile, la rigueur économique et budgétaire, la modernité. Plus encore, c’est une méthode que je rencontrai : rassembler, fédérer, dans un souci de progrès et d’union, des forces et des idées peut-être différentes, en exposant honnêtement, sincèrement et régulièrement aux Français les initiatives, les objectifs et les résultats obtenus. Pierre Mendès France devint pour moi une référence, me conduisant quelque temps après vers ceux qui en étaient perçus comme les héritiers : Michel Rocard et Edmond Maire. En cette fin d’année 1982, la gauche au pouvoir se heurtait au réel et s’apprêtait en 1983 à prendre avec François Mitterrand « le tournant de la rigueur ». Une large part de l’histoire qui s’écrivait sous nos yeux validait les recommandations et conseils de Pierre Mendès France. Mais il ne serait plus là pour la vivre, laissant à chacun le soin d’imaginer ce qu’il aurait pu écrire ou dire.
40 ans après, je repense à ce premier jour de ma vie d’étudiant et à l’émotion née de ce cours improvisé. Il fut déterminant. J’ai mené depuis une vie de juriste, une vie politique et publique. J’ai été parlementaire. Je n’ai jamais oublié Mendès. Dans les années 1990, j’adhérai comme simple membre à l’Institut Pierre Mendès France, fondé par plusieurs de ses anciens collaborateurs et amis. Ce réseau me permit de faire la connaissance de Stéphane Hessel, l’une des plus belles et éblouissantes rencontres de ma vie. A Bruxelles, dans une grande salle de l’ULB, je mis sur pied en 2002 une conférence sur l’héritage mendésiste, dont Stéphane Hessel fut le grand témoin. Etait-ce l’homme Mendès France que j’admirais ou sa méthode ? Il y eut sans doute d’abord l’homme, avec cette étrange et belle vie politique de près de 50 années, construite autour du noble souvenir des 7 mois et 17 jours de son gouvernement, mais passée finalement davantage dans le combat des idées qu’aux responsabilités du pouvoir. Avec le temps, c’est cependant la méthode qui finit par me passionner. Je crois le mendésisme profondément actuel. Il ne faut jamais renoncer à convaincre, à expliquer, à oser prendre des engagements et à les tenir. Le mendésisme est comme une synthèse, mêlant l’idéalisme, le courage, la confiance en le citoyen éclairé, la vérité et ses vertus.
40 ans après, j’aimerais que l’on redécouvre Mendès, sa trace et sa méthode. Le débat politique actuel est d’une insigne médiocrité. La course aux radicalités, à gauche comme à droite, ne construit pas l’avenir. Mais l’exercice du pouvoir, sans narratif ni justification des initiatives prises, dans la verticalité et une grande solitude, alimente l’inquiétude aussi. Je crois qu’il est possible de relire utilement Pierre Mendès France, de faire vivre la modernité de ses idées et de sa méthode dans la France du XXIème siècle. Mieux, je l’espère. Rassembler toutes les volontés, c’est aspirer au dépassement, sans effacer les parcours et les histoires. Le meilleur d’une coalition est de fédérer des diversités qui s’assument derrière une perspective commune. Il faut aussi partager l’agenda de réforme entre action nationale, pouvoirs locaux, démocratie sociale et vie associative. L’Etat ne peut ni ne doit décider de tout. Tant d’autres pouvoirs peuvent également concourir ensemble à un agenda réformiste. Et il faut enfin expliquer le sens de l’action publique, régulièrement, modestement, dans une unité de ton et d’action. Il manque une pédagogie de l’action publique, une forme d’éducation populaire et permanente, par la preuve, pour la confiance citoyenne. Je voudrais imaginer que le mendésisme inspire à nouveau l’action publique face aux défis de notre temps. Retrouvons Mendès.
Retrouver Mendès
Il y a 40 ans ce 17 octobre, j’entrais en première année de droit. J’avais quitté Quimper la veille pour ce grand saut vers la vie d’après. Trois mois auparavant, j’étais encore lycéen. J’avais 17 ans. J’arrivais à Nantes avec tout à découvrir, tout à apprendre aussi. M’organiser seul, vivre seul, ce serait mon quotidien pour longtemps. J’avais une petite chambre près de la cathédrale Saint-Pierre. M’asseyant ce matin-là dans le grand amphithéâtre de 800 places de la faculté de droit, bondé et agité, je mesurais combien la rupture avec la quiétude de mes années lycéennes serait rude. Je ne connaissais personne. L’année devait débuter par un cours de droit constitutionnel. Le professeur entra, jaugeant d’un rapide coup d’œil cette assemblée dissipée d’aspirants juristes, ouvrit son dossier et commença. Le silence se fit. J’imaginais une réflexion initiale sur le sens du droit dans nos sociétés démocratiques. Tel ne fut pas le cas. Le professeur avait écouté la radio, pas les étudiants. « Nous venons à l’instant d’apprendre la mort de Pierre Mendès France », dit-il. « Je souhaite consacrer ce premier cours à sa trace politique et à son désaccord avec le Général de Gaulle sur la question institutionnelle ». S’en suivit un exposé éblouissant, improvisé, sans aucune note, et d’autant plus admirable que – je le comprendrai plus tard – ce professeur n’avait pas la moindre affinité avec les idées mendésistes.
Pour moi, Pierre Mendès France était le vieux monsieur qui, un an auparavant, avait versé une larme émouvante durant la cérémonie d’investiture du Président François Mitterrand. Je me souviens aussi qu’il parlait parfois au Club de la Presse d’Europe 1, que mon père écoutait sur son petit poste de radio tous les dimanches soirs. C’était à peu près tout. Au lycée, les programmes d’histoire s’arrêtaient en 1945 et je ne savais rien de la IVème République. Qui était Mendès France ? Le cours de mon professeur de droit constitutionnel me donna quelques clés, des pistes à explorer. Cette première heure de ma vie à venir de juriste m’avait passionné. Je pressentais que derrière le personnage de Mendès France, présenté sous l’angle de son affrontement avec de Gaulle sur la Constitution de la Vème République, il y avait bien plus. Le professeur avait mentionné la biographie écrite quelques années auparavant par le journaliste Jean Lacouture. J’entrepris de la lire dans les jours suivants, découvrant la richesse d’une vie, d’un parcours de politique et d’homme, les moments forts, les moments d’immense solitude aussi. La biographie de Lacouture fut le premier livre sur Pierre Mendès France que je lus. Il y en eut bien d’autres après, à commencer par les livres de Mendès lui-même. Ils mirent des mots et des idées sur mes premiers choix citoyens.
Je me sentais sans nul doute de gauche, d’une gauche éprise de liberté, loin des dogmes et bréviaires révolutionnaires. Je n’avais aucune appétence pour le marxisme et l’économie dirigée, aucune fascination pour le monde communiste, en France et au-delà. Dans le parcours et l’idéal républicain de Pierre Mendès France, je trouvai d’un coup beaucoup des références alors balbutiantes de mon éveil politique : la décentralisation, le lien attentif à la société civile, la rigueur économique et budgétaire, la modernité. Plus encore, c’est une méthode que je rencontrai : rassembler, fédérer, dans un souci de progrès et d’union, des forces et des idées peut-être différentes, en exposant honnêtement, sincèrement et régulièrement aux Français les initiatives, les objectifs et les résultats obtenus. Pierre Mendès France devint pour moi une référence, me conduisant quelque temps après vers ceux qui en étaient perçus comme les héritiers : Michel Rocard et Edmond Maire. En cette fin d’année 1982, la gauche au pouvoir se heurtait au réel et s’apprêtait en 1983 à prendre avec François Mitterrand « le tournant de la rigueur ». Une large part de l’histoire qui s’écrivait sous nos yeux validait les recommandations et conseils de Pierre Mendès France. Mais il ne serait plus là pour la vivre, laissant à chacun le soin d’imaginer ce qu’il aurait pu écrire ou dire.
40 ans après, je repense à ce premier jour de ma vie d’étudiant et à l’émotion née de ce cours improvisé. Il fut déterminant. J’ai mené depuis une vie de juriste, une vie politique et publique. J’ai été parlementaire. Je n’ai jamais oublié Mendès. Dans les années 1990, j’adhérai comme simple membre à l’Institut Pierre Mendès France, fondé par plusieurs de ses anciens collaborateurs et amis. Ce réseau me permit de faire la connaissance de Stéphane Hessel, l’une des plus belles et éblouissantes rencontres de ma vie. A Bruxelles, dans une grande salle de l’ULB, je mis sur pied en 2002 une conférence sur l’héritage mendésiste, dont Stéphane Hessel fut le grand témoin. Etait-ce l’homme Mendès France que j’admirais ou sa méthode ? Il y eut sans doute d’abord l’homme, avec cette étrange et belle vie politique de près de 50 années, construite autour du noble souvenir des 7 mois et 17 jours de son gouvernement, mais passée finalement davantage dans le combat des idées qu’aux responsabilités du pouvoir. Avec le temps, c’est cependant la méthode qui finit par me passionner. Je crois le mendésisme profondément actuel. Il ne faut jamais renoncer à convaincre, à expliquer, à oser prendre des engagements et à les tenir. Le mendésisme est comme une synthèse, mêlant l’idéalisme, le courage, la confiance en le citoyen éclairé, la vérité et ses vertus.
40 ans après, j’aimerais que l’on redécouvre Mendès, sa trace et sa méthode. Le débat politique actuel est d’une insigne médiocrité. La course aux radicalités, à gauche comme à droite, ne construit pas l’avenir. Mais l’exercice du pouvoir, sans narratif ni justification des initiatives prises, dans la verticalité et une grande solitude, alimente l’inquiétude aussi. Je crois qu’il est possible de relire utilement Pierre Mendès France, de faire vivre la modernité de ses idées et de sa méthode dans la France du XXIème siècle. Mieux, je l’espère. Rassembler toutes les volontés, c’est aspirer au dépassement, sans effacer les parcours et les histoires. Le meilleur d’une coalition est de fédérer des diversités qui s’assument derrière une perspective commune. Il faut aussi partager l’agenda de réforme entre action nationale, pouvoirs locaux, démocratie sociale et vie associative. L’Etat ne peut ni ne doit décider de tout. Tant d’autres pouvoirs peuvent également concourir ensemble à un agenda réformiste. Et il faut enfin expliquer le sens de l’action publique, régulièrement, modestement, dans une unité de ton et d’action. Il manque une pédagogie de l’action publique, une forme d’éducation populaire et permanente, par la preuve, pour la confiance citoyenne. Je voudrais imaginer que le mendésisme inspire à nouveau l’action publique face aux défis de notre temps. Retrouvons Mendès.