Il y a quelques semaines, sur la route joyeuse des vacances de Noël, mes enfants fredonnaient quelques chansons lointaines (pour eux). L’une d’entre elles était Eye of the Tiger, la musique qui accompagnait les films Rocky avec l’ineffable Silvester Stallone, et que chantait Frankie Sullivan avec le groupe Survivor. L’autre chanson bien vintage entendue au fond de la voiture était The Final Countdown, du groupe suédois Europe, dont je me souvenais surtout pour les fracassantes entrées en meeting de Jacques Chirac dans ses meilleures années. Je ne sais trop comment ces deux chansons sont arrivées jusqu’à l’école de mes enfants, mais elles ont été vite apprises et l’anglais entendu alors que défilait l’autoroute vers la Bretagne était absolument parfait. Est venue ensuite la question immanquable : «tu as connu cela, n’est-ce pas ? ». Traduire : c’était de ton époque. Oui, bien sûr, ai-je certainement bredouillé, un peu pris de court. En n’osant ajouter que mon époque avait même commencé bien avant que Frankie Sullivan ne grimpe sur scène et que Jacques Chirac ne s’éprenne du groupe Europe pour sa conquête de l’Elysée. Que dire ? Que la toute première chanson dont j’ai le souvenir parce qu’elle passait sans cesse sur les ondes en cet été 1973 était La Maladie d’amour de Michel Sardou. Pas sûr que cela soit à mon avantage, et encore moins aux yeux de ceux qui font la chasse aux chanteurs de droite.
Je n’eus pas vraiment le temps de raconter mes premiers émois musicaux car mes enfants furent vite distraits par les quelques DVD des Charlots que je leur avais offerts pour les longues routes en voiture. Sans doute y ai-je gagné car parler avec conviction de chansons remontant aux années Giscard n’aurait pas suscité de leur part un intérêt irrésistible. Le pire est d’ailleurs que je les comprends. J’étais là avant les années 1980, c’est dire mon handicap. Dans la voiture redevenue silencieuse par la grâce de casques audio dernier cri, je me pris cependant à fouiller dans ma mémoire à la recherche de ces chansons qui touchèrent mon enfance. Après tout, mes enfants m’avaient mis une idée en tête. Il y a, c’est vrai, des airs qui traversent les décennies et restent cachés quelque part dans le tréfonds des souvenirs, ne demandant qu’à resurgir un jour, on ne sait trop vraiment pourquoi. Sans doute parce la mélodie et les paroles évoquent dans l’esprit de l’enfant devenu grand des lieux et des gens, des moments heureux, des images douces et lointaines. J’ai cherché, et j’ai fini par trouver. En Bretagne, puis en Andalousie, le soir, quand la nuit était depuis longtemps tombée, j’ai retrouvé de vieilles chansons « de mon époque » – Youtube fait des miracles – et j’ai même fait mon petit best of. Et plutôt que de garder cela pour moi par crainte de ringardise, je me suis dit que je pouvais le partager ici.
La première chanson, c’est So Far Away From L.A. de Nicolas Peyrac. Je crois que je devais avoir 10 ans. C’était l’été à Loctudy, nous campions dans un petit verger avec ma famille. Sur notre transistor grésillant revenait cet air calme, nostalgique, dont je ne comprenais alors pas grand-chose des paroles, mais que je soupçonnais cependant profondes. La chanson était à l’opposé des tubes de l’été, trépidants, entraînants, fugaces aussi. Je me souviens des couleurs du ciel le soir, quand s’élevait la musique. Des souvenirs des pommiers, des champs et des balades à vélo qui reviendraient chaque fois, des années après, lorsque la chanson serait rejouée. Je me souviens des amis de notre âge, vacanciers d’un été dans la maison toute proche. Cette chanson a tracé un sillon en moi qui demeure. Si j’avais été un meilleur guitariste à l’adolescence, j’aurais aimé l’interpréter. Nicolas Peyrac était un jeune chanteur. Il était toujours étudiant en médecine. Je n’ai pris la dimension des paroles qu’en vivant longtemps après en Californie. Elles disent cela : « … quelques lueurs d’aéroport, l’étrange fille aux cheveux d’or, dans ma mémoire traîne encore, c’est l’hiver à San Francisco, mais il ne tombe jamais d’eau aux confins du Colorado… ». C’était une chanson sur l’hiver qui avait gagné mon été. Et le refrain, qui me bouleverse toujours : “… so far away from L.A., so far ago from Frisco, I’m no one but a shadow, but a shadow, a shadow…”.
Il y avait la chanson de l’été et il y eut aussi celle de l’hiver. Pourquoi l’hiver ? Parce qu’en explorant ma mémoire, c’est aux soirées dans ma petite chambre de notre maison familiale d’Ergué-Gabéric que je pense avec cette chanson, lorsque les volets étaient fermés et que dehors soufflait la tempête. Il ne pleuvait pas pourtant toutes les nuits, mais c’est à l’hiver que me ramène Baker Street de Gerry Rafferty. J’avais un peu grandi, mais nous étions toujours dans les années 1970. L’adolescence venait. J’adorais les solos de saxophone au cœur des paroles, imaginant le souffle immense qu’il fallait pour dégager une telle puissance. Je crois bien qu’on en parlait au collège. Ou que j’en parlais moi-même, pressé de plaire à une ou deux filles que je trouvais jolies. Sans grand succès, dois-je le reconnaître. Je m’essayais à apprendre les paroles dans mon anglais balbutiant : “… winding your way down on Baker Street, light in your head and dead on your feet, well another crazy day, you’ll drink the night away and forget about everything”. Et j’adorais la fin de la chanson, pleine d’optimisme: “… when you wake up, it’s a new morning, the sun is shining, it’s a new morning, you’re going, you’re going home…”. Aujourd’hui, Baker Street repasse parfois sur les radios et j’aime toujours l’entendre. La dernière fois, je traversais en voiture la Haute-Marne un jour d’hiver totalement sinistre. Le saxo de Gerry Rafferty m’avait réchauffé le cœur.
Voilà mes deux chansons. J’imagine le lecteur m’ayant accompagné jusqu’à ce paragraphe se gratter la tête et être désolé pour moi. Ou mes enfants, qui lisent parfois ce blog aussi et qui préféreront certainement Rocky en se disant que leur paternel est bien étrange en effet. Mes goûts musicaux ne sont pas irrésistibles. Je me souviens d’une amie américaine découvrant ma collection de CD il y a de cela un temps respectable et concluant avec consternation sa revue d’un « this can’t be » définitif. Ou de celle qui deviendrait plus tard mon épouse trouver que certains choix musicaux étaient certes heureux, mais que d’autres relevaient d’errements abyssaux. Mais voilà, je suis quelqu’un qui associe une chanson à des souvenirs et je crains fort de ne pas pouvoir me refaire, vu que je n’ai plus l’âge de mes émois avec Baker Street dans ma petite chambre bretonne. Voilà tout ce que j’aurais dit sans doute à mes enfants s’ils n’avaient pas préféré Les Charlots et Bons Baisers de Hong Kong sur la route de Noël. Les automobiles d’aujourd’hui n’ont heureusement plus d’autoradio, avec les cassettes dont les bandes magnétiques se décrochaient, provoquant la frayeur des passagers. Sinon, peut-être bien que j’aurais ressorti Driving Home for Christmas de Chris Rea. Je crois avoir conservé cette cassette quelque part. Mais c’est quand même un peu trop sucré et je pense finalement que je n’aurais pas osé.
Une chanson de l’été et une autre de l’hiver
Il y a quelques semaines, sur la route joyeuse des vacances de Noël, mes enfants fredonnaient quelques chansons lointaines (pour eux). L’une d’entre elles était Eye of the Tiger, la musique qui accompagnait les films Rocky avec l’ineffable Silvester Stallone, et que chantait Frankie Sullivan avec le groupe Survivor. L’autre chanson bien vintage entendue au fond de la voiture était The Final Countdown, du groupe suédois Europe, dont je me souvenais surtout pour les fracassantes entrées en meeting de Jacques Chirac dans ses meilleures années. Je ne sais trop comment ces deux chansons sont arrivées jusqu’à l’école de mes enfants, mais elles ont été vite apprises et l’anglais entendu alors que défilait l’autoroute vers la Bretagne était absolument parfait. Est venue ensuite la question immanquable : «tu as connu cela, n’est-ce pas ? ». Traduire : c’était de ton époque. Oui, bien sûr, ai-je certainement bredouillé, un peu pris de court. En n’osant ajouter que mon époque avait même commencé bien avant que Frankie Sullivan ne grimpe sur scène et que Jacques Chirac ne s’éprenne du groupe Europe pour sa conquête de l’Elysée. Que dire ? Que la toute première chanson dont j’ai le souvenir parce qu’elle passait sans cesse sur les ondes en cet été 1973 était La Maladie d’amour de Michel Sardou. Pas sûr que cela soit à mon avantage, et encore moins aux yeux de ceux qui font la chasse aux chanteurs de droite.
Je n’eus pas vraiment le temps de raconter mes premiers émois musicaux car mes enfants furent vite distraits par les quelques DVD des Charlots que je leur avais offerts pour les longues routes en voiture. Sans doute y ai-je gagné car parler avec conviction de chansons remontant aux années Giscard n’aurait pas suscité de leur part un intérêt irrésistible. Le pire est d’ailleurs que je les comprends. J’étais là avant les années 1980, c’est dire mon handicap. Dans la voiture redevenue silencieuse par la grâce de casques audio dernier cri, je me pris cependant à fouiller dans ma mémoire à la recherche de ces chansons qui touchèrent mon enfance. Après tout, mes enfants m’avaient mis une idée en tête. Il y a, c’est vrai, des airs qui traversent les décennies et restent cachés quelque part dans le tréfonds des souvenirs, ne demandant qu’à resurgir un jour, on ne sait trop vraiment pourquoi. Sans doute parce la mélodie et les paroles évoquent dans l’esprit de l’enfant devenu grand des lieux et des gens, des moments heureux, des images douces et lointaines. J’ai cherché, et j’ai fini par trouver. En Bretagne, puis en Andalousie, le soir, quand la nuit était depuis longtemps tombée, j’ai retrouvé de vieilles chansons « de mon époque » – Youtube fait des miracles – et j’ai même fait mon petit best of. Et plutôt que de garder cela pour moi par crainte de ringardise, je me suis dit que je pouvais le partager ici.
La première chanson, c’est So Far Away From L.A. de Nicolas Peyrac. Je crois que je devais avoir 10 ans. C’était l’été à Loctudy, nous campions dans un petit verger avec ma famille. Sur notre transistor grésillant revenait cet air calme, nostalgique, dont je ne comprenais alors pas grand-chose des paroles, mais que je soupçonnais cependant profondes. La chanson était à l’opposé des tubes de l’été, trépidants, entraînants, fugaces aussi. Je me souviens des couleurs du ciel le soir, quand s’élevait la musique. Des souvenirs des pommiers, des champs et des balades à vélo qui reviendraient chaque fois, des années après, lorsque la chanson serait rejouée. Je me souviens des amis de notre âge, vacanciers d’un été dans la maison toute proche. Cette chanson a tracé un sillon en moi qui demeure. Si j’avais été un meilleur guitariste à l’adolescence, j’aurais aimé l’interpréter. Nicolas Peyrac était un jeune chanteur. Il était toujours étudiant en médecine. Je n’ai pris la dimension des paroles qu’en vivant longtemps après en Californie. Elles disent cela : « … quelques lueurs d’aéroport, l’étrange fille aux cheveux d’or, dans ma mémoire traîne encore, c’est l’hiver à San Francisco, mais il ne tombe jamais d’eau aux confins du Colorado… ». C’était une chanson sur l’hiver qui avait gagné mon été. Et le refrain, qui me bouleverse toujours : “… so far away from L.A., so far ago from Frisco, I’m no one but a shadow, but a shadow, a shadow…”.
Il y avait la chanson de l’été et il y eut aussi celle de l’hiver. Pourquoi l’hiver ? Parce qu’en explorant ma mémoire, c’est aux soirées dans ma petite chambre de notre maison familiale d’Ergué-Gabéric que je pense avec cette chanson, lorsque les volets étaient fermés et que dehors soufflait la tempête. Il ne pleuvait pas pourtant toutes les nuits, mais c’est à l’hiver que me ramène Baker Street de Gerry Rafferty. J’avais un peu grandi, mais nous étions toujours dans les années 1970. L’adolescence venait. J’adorais les solos de saxophone au cœur des paroles, imaginant le souffle immense qu’il fallait pour dégager une telle puissance. Je crois bien qu’on en parlait au collège. Ou que j’en parlais moi-même, pressé de plaire à une ou deux filles que je trouvais jolies. Sans grand succès, dois-je le reconnaître. Je m’essayais à apprendre les paroles dans mon anglais balbutiant : “… winding your way down on Baker Street, light in your head and dead on your feet, well another crazy day, you’ll drink the night away and forget about everything”. Et j’adorais la fin de la chanson, pleine d’optimisme: “… when you wake up, it’s a new morning, the sun is shining, it’s a new morning, you’re going, you’re going home…”. Aujourd’hui, Baker Street repasse parfois sur les radios et j’aime toujours l’entendre. La dernière fois, je traversais en voiture la Haute-Marne un jour d’hiver totalement sinistre. Le saxo de Gerry Rafferty m’avait réchauffé le cœur.
Voilà mes deux chansons. J’imagine le lecteur m’ayant accompagné jusqu’à ce paragraphe se gratter la tête et être désolé pour moi. Ou mes enfants, qui lisent parfois ce blog aussi et qui préféreront certainement Rocky en se disant que leur paternel est bien étrange en effet. Mes goûts musicaux ne sont pas irrésistibles. Je me souviens d’une amie américaine découvrant ma collection de CD il y a de cela un temps respectable et concluant avec consternation sa revue d’un « this can’t be » définitif. Ou de celle qui deviendrait plus tard mon épouse trouver que certains choix musicaux étaient certes heureux, mais que d’autres relevaient d’errements abyssaux. Mais voilà, je suis quelqu’un qui associe une chanson à des souvenirs et je crains fort de ne pas pouvoir me refaire, vu que je n’ai plus l’âge de mes émois avec Baker Street dans ma petite chambre bretonne. Voilà tout ce que j’aurais dit sans doute à mes enfants s’ils n’avaient pas préféré Les Charlots et Bons Baisers de Hong Kong sur la route de Noël. Les automobiles d’aujourd’hui n’ont heureusement plus d’autoradio, avec les cassettes dont les bandes magnétiques se décrochaient, provoquant la frayeur des passagers. Sinon, peut-être bien que j’aurais ressorti Driving Home for Christmas de Chris Rea. Je crois avoir conservé cette cassette quelque part. Mais c’est quand même un peu trop sucré et je pense finalement que je n’aurais pas osé.