Climat : l’arrêt historique de la Cour européenne des droits de l’homme
publié le 11 avril 2024
Le 9 avril, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Suisse pour ne pas avoir suffisamment protégé ses citoyens des conséquences de la crise climatique. Cet arrêt de la grande chambre de la CEDH, sa formation la plus large et solennelle, est historique. Il étend les droits de l’homme à la cause climatique. La Convention européenne est un texte remarquable, mais vieux de plus de 70 ans, à une époque où la question environnementale, pour prendre cet exemple, n’était aucunement appréhendée sous l’angle des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Or, le monde a considérablement changé depuis les années 1950 et des périls alors inimaginables sont apparus. De la même manière que la CEDH était parvenue à intégrer l’environnement dans sa jurisprudence, elle a eu le courage et l’audace, dans l’affaire portée par l’association Aînées pour le climat suisse, de trouver dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit au respect de la vie privée et familiale la base nécessaire pour un droit nouveau : celui des citoyens à être protégés contre les conséquences de la crise climatique sur la qualité de la vie, la santé et le bien-être. C’est une évolution jurisprudentielle majeure et à la portée considérable.
Cet arrêt, comme tous les arrêts de la CEDH, est contraignant. Il est insusceptible de recours et il s’impose aux 46 Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme et pas simplement à la Suisse. Il aura pour première conséquence de contraindre nombre d’Etats dans le viseur d’associations ou de citoyens en raison de l’insuffisance de leur action climatique à passer à la vitesse supérieure pour éviter des condamnations identiques à celle de la Suisse. Plusieurs autres affaires touchant au climat doivent en effet être jugées par la CEDH dans les prochains mois et la portée de l’arrêt du 9 avril encouragera certainement de nombreuses nouvelles saisines. Sur le climat, la CEDH consacre une obligation de moyens et de résultats à charge des gouvernements. Que dit-elle ? Qu’il y a pour les gouvernements une marge d’appréciation quant aux mesures à définir et mettre en œuvre, mais que la base minimale d’action doit reposer, entre autres, sur un calendrier pour atteindre la neutralité carbone, sur un budget carbone, sur des objectifs intermédiaires à documenter et mettre régulièrement à jour, et sur l’information due aux citoyens. En clair, en lien aux droits de l’homme, la CEDH fait passer la question climatique de « nice to do » à « need to do ».
Rapporteur de l’Accord de Paris à l’Assemblée nationale, j’ai enseigné le climat et les droits fondamentaux à l’Ecole de droit de Sciences-Po Paris. Avec les étudiants, nous envisagions les manières possibles de prendre appui sur la Convention européenne des droits de l’homme pour lier le climat et la protection des droits. Nous avions pensé à l’article 2 sur le droit à la vie, à l’article 8 également. C’est par l’article 8 que le lien s’est fait. J’ai aussi été durant 3 années le rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la mise en œuvre des arrêts de la CEDH. Cette expérience m’a donné confiance dans le mécanisme de suivi opéré par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe pour veiller à ce que l’arrêt du 9 avril et ceux qui suivront soient utilement appliqués. Le non-respect des arrêts de la CEDH n’est certes pas assorti de sanctions – encore qu’il soit possible de trouver dans la Convention et ses Protocoles les moyens de rendre compliquée la vie d’un Etat partie qui voudrait jouer les prolongations – mais la caisse de résonance de l’opinion publique rend illusoire une posture de défiance de la part d’un Etat condamné. Il en va de sa crédibilité et aussi de la pérennité du lien de confiance nécessaire dans un cadre démocratique.
L’arrêt de la CEDH est fondateur également car c’est la première fois qu’une cour internationale établit un lien entre la crise climatique, la santé et la qualité de vie. Des tribunaux l’avaient établi dans quelques pays, mais nullement à l’échelle internationale. Et des affaires tenant au climat et aux obligations des Etats seront bientôt examinées par la Cour internationale de justice, le Tribunal international du droit de la mer et la Cour interaméricaine des droits de l’homme. En tout état de cause, c’est un pas remarquable que l’arrêt Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres contre Suisse du 9 avril permet d’accomplir. Un arrêt qui fait autorité a tellement plus d’impact par la profondeur du sillon qu’il trace que des choix politiques plus incertains. Cet arrêt consacre aussi un développement utile sur le droit des organisations, sous certaines conditions, à saisir la CEDH quand bien même elles ne seraient pas directement victimes des violations de la Convention qu’elles dénoncent. La CEDH a fait montre d’un courage que je salue. La crise climatique reste le péril le plus imminent. L’avenir de la planète se jouera dans les prochaines dix années, ce sera notre succès commun ou notre échec, commun lui aussi. L’arrêt du 9 avril de la CEDH est un puissant appel citoyen à l’action et à l’espoir.
Climat : l’arrêt historique de la Cour européenne des droits de l’homme
Le 9 avril, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la Suisse pour ne pas avoir suffisamment protégé ses citoyens des conséquences de la crise climatique. Cet arrêt de la grande chambre de la CEDH, sa formation la plus large et solennelle, est historique. Il étend les droits de l’homme à la cause climatique. La Convention européenne est un texte remarquable, mais vieux de plus de 70 ans, à une époque où la question environnementale, pour prendre cet exemple, n’était aucunement appréhendée sous l’angle des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Or, le monde a considérablement changé depuis les années 1950 et des périls alors inimaginables sont apparus. De la même manière que la CEDH était parvenue à intégrer l’environnement dans sa jurisprudence, elle a eu le courage et l’audace, dans l’affaire portée par l’association Aînées pour le climat suisse, de trouver dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme relatif au droit au respect de la vie privée et familiale la base nécessaire pour un droit nouveau : celui des citoyens à être protégés contre les conséquences de la crise climatique sur la qualité de la vie, la santé et le bien-être. C’est une évolution jurisprudentielle majeure et à la portée considérable.
Cet arrêt, comme tous les arrêts de la CEDH, est contraignant. Il est insusceptible de recours et il s’impose aux 46 Etats parties à la Convention européenne des droits de l’homme et pas simplement à la Suisse. Il aura pour première conséquence de contraindre nombre d’Etats dans le viseur d’associations ou de citoyens en raison de l’insuffisance de leur action climatique à passer à la vitesse supérieure pour éviter des condamnations identiques à celle de la Suisse. Plusieurs autres affaires touchant au climat doivent en effet être jugées par la CEDH dans les prochains mois et la portée de l’arrêt du 9 avril encouragera certainement de nombreuses nouvelles saisines. Sur le climat, la CEDH consacre une obligation de moyens et de résultats à charge des gouvernements. Que dit-elle ? Qu’il y a pour les gouvernements une marge d’appréciation quant aux mesures à définir et mettre en œuvre, mais que la base minimale d’action doit reposer, entre autres, sur un calendrier pour atteindre la neutralité carbone, sur un budget carbone, sur des objectifs intermédiaires à documenter et mettre régulièrement à jour, et sur l’information due aux citoyens. En clair, en lien aux droits de l’homme, la CEDH fait passer la question climatique de « nice to do » à « need to do ».
Rapporteur de l’Accord de Paris à l’Assemblée nationale, j’ai enseigné le climat et les droits fondamentaux à l’Ecole de droit de Sciences-Po Paris. Avec les étudiants, nous envisagions les manières possibles de prendre appui sur la Convention européenne des droits de l’homme pour lier le climat et la protection des droits. Nous avions pensé à l’article 2 sur le droit à la vie, à l’article 8 également. C’est par l’article 8 que le lien s’est fait. J’ai aussi été durant 3 années le rapporteur de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe sur la mise en œuvre des arrêts de la CEDH. Cette expérience m’a donné confiance dans le mécanisme de suivi opéré par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe pour veiller à ce que l’arrêt du 9 avril et ceux qui suivront soient utilement appliqués. Le non-respect des arrêts de la CEDH n’est certes pas assorti de sanctions – encore qu’il soit possible de trouver dans la Convention et ses Protocoles les moyens de rendre compliquée la vie d’un Etat partie qui voudrait jouer les prolongations – mais la caisse de résonance de l’opinion publique rend illusoire une posture de défiance de la part d’un Etat condamné. Il en va de sa crédibilité et aussi de la pérennité du lien de confiance nécessaire dans un cadre démocratique.
L’arrêt de la CEDH est fondateur également car c’est la première fois qu’une cour internationale établit un lien entre la crise climatique, la santé et la qualité de vie. Des tribunaux l’avaient établi dans quelques pays, mais nullement à l’échelle internationale. Et des affaires tenant au climat et aux obligations des Etats seront bientôt examinées par la Cour internationale de justice, le Tribunal international du droit de la mer et la Cour interaméricaine des droits de l’homme. En tout état de cause, c’est un pas remarquable que l’arrêt Verein Klimaseniorinnen Schweiz et autres contre Suisse du 9 avril permet d’accomplir. Un arrêt qui fait autorité a tellement plus d’impact par la profondeur du sillon qu’il trace que des choix politiques plus incertains. Cet arrêt consacre aussi un développement utile sur le droit des organisations, sous certaines conditions, à saisir la CEDH quand bien même elles ne seraient pas directement victimes des violations de la Convention qu’elles dénoncent. La CEDH a fait montre d’un courage que je salue. La crise climatique reste le péril le plus imminent. L’avenir de la planète se jouera dans les prochaines dix années, ce sera notre succès commun ou notre échec, commun lui aussi. L’arrêt du 9 avril de la CEDH est un puissant appel citoyen à l’action et à l’espoir.