Il y a quelques semaines, peu de temps avant Liège-Bastogne-Liège, une course cycliste que j’affectionne beaucoup, je me laissais aller à conter ma passion de la petite reine, découvrant « mon côté Mimile ». En ce début juin, quelques courses plus tard, le Mimile que je suis oscille entre incrédulité, malaise et colère.
A Liège-Bastogne-Liège s’est en effet imposé Alexandre Vinokourov, coureur de 37 ans, revenu de deux années d’interdiction de courir pour cause d’auto-transfusion sanguine durant le Tour de France 2007. Le même Vinokourov avait, quelques jours plus tôt, devancé au Tour du Trentin un autre revenant, Ricardo Ricco, suspendu quant à lui 18 mois pour utilisation d’EPO-retard (Cera) dans le Tour de France 2008. Dimanche dernier, Ivan Basso, 33 ans, suspendu deux ans pour dopage dans le cadre de l’affaire Puerto et revenu à la compétition l’an passé, a gagné le Tour d’Italie. Le lendemain, à l’issue d’une longue procédure, le Tribunal Arbitral du Sport condamnait Alejandro Valverde, vainqueur du dernier Tour d’Espagne, à deux ans de suspension suite à la découverte d’une poche de son sang chez le sulfureux docteur Fuentes.
Tout cela est lourd, très lourd. Encore plus à la lumière, il y a bientôt deux semaines, des pathétiques aveux de Floyd Landis, vainqueur déchu du Tour de France 2006 pour cause de double contrôle positif à la testostérone. Landis, qui a dépensé sans succès plus de 2 millions de dollars en frais d’avocat pour récupérer sa couronne, est aujourd’hui ruiné et abandonné de tous.
Alors, il se lâche et avoue tout ce qu’il avait réfuté durant des années : depuis 2002, date de son entrée dans l’équipe de Lance Armstrong, jusqu’à sa suspension, il a consommé de l’EPO, de l’hormone de croissance humaine, de l’insuline et a réalisé de nombreuses transfusions sanguines. Landis mouille Armstrong, Johan Bruyneel (manager des équipes successives d’Armstrong), Andy Rhis (le propriétaire de son ancienne équipe Phonak) et même l’ancien Président de l’Union Cycliste Internationale, Hein Verbruggen, qu’il accuse d’avoir été acheté financièrement pour couvrir un dopage à l’EPO d’Armstrong au Tour de Suisse 2001. Landis a adressé des tas d’e-mails ces dernières semaines aux autorités anti-dopage et institutions cyclistes internationales pour proposer son concours. Il confie aussi n’avoir aucune preuve de ce qu’il avance…
Le vélo est un sport populaire. Les grandes courses sont de magnifiques fêtes. Elles ont fait et font rêver des millions de passionnés à travers le monde. J’en suis un. Pour avoir galéré sur ma selle de nombreuses années, je sais combien le vélo est aussi un sport difficile. C’est pour cela, sans doute, que je l’ai toujours ressenti comme une école de la vie, impliquant courage, stratégie (bien s’alimenter ; attaquer au bon moment) et sens du collectif (on ne gagne jamais sans une équipe). Dans cette école de la vie, je ne pensais pas devoir ajouter l’honnêteté. Pour moi, elle allait de soi. J’avais tort.
Je suis aujourd’hui comme tous les passionnés de cyclisme, trahi dans ma passion pour ce sport par une bande d’individus malhonnêtes et autres escrocs (il n’existe pas d’autres mots), pour qui la triche et le fric justifient tout. Je mets dans le même sac les coureurs dopés, les managers véreux et les pseudo-médecins (Mabuse, Ferrari, Fuentes et autres), toujours à la recherche du produit indétectable au contrôle anti-dopage. Honte à eux. Leur place ne devrait pas être dans le peloton, mais en prison.
La gouvernance du sport cycliste doit également être mise en cause. Quoi qu’elle s’en défende, l’Union Cycliste Internationale n’a mis en place aucune politique sérieuse de répression du dopage en dépit de toutes les affaires de ces dernières années. Elle suit les évènements plus qu’elle ne cherche à les devancer. C’est l’Union Cycliste Internationale qui a ainsi accepté qu’Alejandro Valverde se présente au départ de toutes les courses alors qu’il était déjà interdit de courir en Italie par le Comité National Olympique italien.
De quoi a-t-on peur : de la fuite des sponsors, du désespoir des passionnés, de révélations en cascades qui creuseraient la tombe du sport cycliste ? Mais tout cela est déjà en route, malheureusement ! Il faut agir, durement, rudement, sans la moindre faiblesse. Le passeport biologique et les « whereabouts » (information sur la localisation du coureur) sont un minimum. Il faut faire plus, en renforçant la gravité des sanctions et en interdisant définitivement du cyclisme professionnel les tricheurs patentés. Il faut également tisser des liens institutionnels plus solides avec les gouvernements et les autorités publiques en charge de la lutte contre le dopage dans le sport.
Il n’y a pas de fatalité à ce que le cyclisme sombre dans la pourriture si une prise de conscience intervient à la faveur des développements de ce printemps. Le Tour de France s’élancera dans quelques semaines. Il faut des paroles et surtout des gestes forts. Je ne crois pas que l’on puisse gagner « sans petit coup de main » Liège-Bastogne-Liège à 37 ans, encore plus au retour d’une suspension de deux ans, ou que l’on prétende au rang de favori du Tour à 39 ans après plus de trois ans de retraite sportive…
Quid des jeunes coureurs, qui se battent sans rien gagner et voient certains sulfureux anciens freiner dans les virages lors de l’ascension de cols de première catégorie ? La dernière victoire française dans le Tour de France date de 25 ans. Cette disette d’un quart de siècle a-t-elle seulement une explication sportive ? Je ne le pense pas. Ne rien gagner à l’eau claire parce que d’autres, plus retords, trichent n’est-elle pas la première incitation à traverser la ligne rouge ? Songeons enfin aux dangers pour la santé humaine de ces pratiques qui ont coûté la vie à des coureurs. Il y urgence.
J’avais lu l’an passé l’auto-biographie de Laurent Fignon (« Nous étions jeunes et insousciants », Grasset), lucide et parfois bouleversante aussi, sur les égarements de son sport et sur ses propres erreurs aussi. Je la recommande. D’autant que sa lecture prend plus de relief encore au regard du combat que Laurent Fignon mène aujourd’hui contre le cancer. J’y ajoute le livre de Christophe Bassons (« Positif », Stock), ancien cycliste professionnel rejeté par le peloton pour avoir non seulement refusé le dopage, mais l’avoir publiquement dénoncé. Et aussi le livre d’Erwan Menthéour (« Secret défonce », Jean-Claude Lattès), dopé repenti, qui décrit sa vie hallucinante de coureur malhonnête. Tous sont des témoignages édifiants.
Il faut aussi voir le film de Philippe Harel, « Le vélo de Ghislain Lambert », histoire drôle et en même temps amère d’un coureur cycliste naïf dans le sport professionnel des années 1970. Tout cela sans doute pour prendre la mesure des travers d’un sport et de ce qu’il faudra assumer d’efforts, de courage, d’éducation, de volonté pour le rendre à sa légende et à son universalité.
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