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Il y a quelques jours, j’ai retrouvé ma maison de Bruxelles. Cela faisait 5 semaines que je l’avais quittée, un vendredi de la fin juillet, peu après 13 heures, pour rouler vers le sud, vers l’Espagne, vers les vacances. J’ai aimé ce temps loin de la vie quotidienne. J’en avais besoin, cette année sans doute plus que les précédentes. J’avais envie de liberté et de repos. Il me tardait de retrouver, après des mois d’engagement intense et déraisonnable, la quiétude d’esprit et la sérénité que je craignais d’avoir perdues. Depuis l’été précédent, j’avais travaillé comme jamais, dévoré par une activité sans fin, terriblement secrétariale et loin de ce que j’aime le plus : les relations humaines, les gens, les idées, les projets, l’échange. J’étais à contre-emploi. Je m’en suis sorti en m’en allant. Ce matin-là, avant de prendre la route de la Galice, j’avais rendu mon badge et mon ordinateur, saluant mes derniers collègues. Une page se tournait. J’étais libre, enfin. Ma famille était déjà en Espagne. Je partais seul pour la rejoindre. Plus de 2 000 kilomètres m’attendaient. Plus de 2 000 kilomètres d’autoroute et de petites routes, sous le soleil et parfois un peu la pluie aussi, avec la musique comme compagne. J’avais le temps de goûter les paysages, de guetter les éoliennes comme, enfant, je guettais les châteaux d’eau.
Les vacances, ce sont souvent des anecdotes croustillantes. A ma première étape à Châteauroux, une large et terrifiante banderole m’attendait à l’entrée du Centre Leclerc : « C’est la rentrée » ! J’étais parti depuis quelques heures seulement… Plus déprimant, on ne pouvait pas trouver. Je m’empressais de faire mes petites emplettes et je filais. Il y a quelque chose de tragique à vendre des cartables et des stylos au mois de juillet en mettant le moral à zéro aux enfants (et à leurs parents). La rentrée serait pour bien plus tard. La route à travers le Berry, le Limousin, le Quercy, je la connaissais depuis quelques années. Elle avait cette fois une saveur toute particulière. La pluie m’avait accompagné jusqu’en Corrèze. Le soleil prit la suite dès les premières hauteurs du Causse. J’en oubliais les quelques ralentissements, les caravanes de gens heureux comme je l’étais, roulant vers les Pyrénées et au-delà. Pau serait ma seconde étape. Une halte m’attendait dans un petit village de Haute-Garonne, Mazères-sur-Salat. Ou plutôt, un pèlerinage dans le souvenir de l’ancien député et maire du village, Jean-Louis Idiart, disparu quelques mois plus tôt, et avec qui j’avais entretenu durant des années une correspondance épistolaire. La paix de la vallée du Salat était belle et douce.
Vinrent le Béarn, un hôtel à Pau partagé avec deux équipes du Tour de France féminin, le Pays Basque, la Cantabrie, les Asturies et enfin la Galice, mes enfants et ma famille espagnole. 10 jours à visiter cette région qui me touche chaque année davantage par son dynamisme, son histoire, sa culture. 10 jours à lire, à manger, à nager et à courir le long du paseo maritimo de La Corogne. A l’évidence, cela ne sentait pas trop le record olympique, mais l’important – pour paraphraser le Baron de Coubertin – était bien de s’y mettre et d’apprécier. Courir vide la tête, soulage l’esprit, fait aimer les caps et les dunes, les falaises et les baies. Je ne connais rien de plus enivrant que de courir le matin dans l’air marin, accompagné par le vol et les cris des oiseaux de mer, autant à La Corogne que, plus tard, entre l’Ile-Tudy et Sainte-Marine, chez moi dans le Finistère. Car la Bretagne serait la suite, la route dans l’autre sens, avec un pincement au cœur à Ribadeo, lorsque la Galice s’éloigne pour un an dans le rétroviseur, puis la joyeuse remontée de la frontière espagnole vers la pointe armoricaine et la famille bretonne. Cela fait certes du chemin. Il y a quelques années, j’avais mis un soir notre auto dans un ferry entre Gijon et Saint-Nazaire. Cette ligne, tristement, n’existe plus. Elle était comme une petite croisière d’été.
Au bord de l’Atlantique, il faisait bon. Partout ailleurs, les canicules écrasaient les vacances. Le dérèglement climatique est chaque année plus visible, plus rude et plus dangereux à vivre. Nous avons tous des petits coins qui nous sont chers et que nous sentons menacés. Pour moi, c’est l’Ile-Tudy, à un ou deux mètres seulement au-dessus du niveau de la mer. Que deviendra l’Ile-Tudy dans 30 ans, 50 ans, à la fin du siècle ? J’ai adhéré durant notre séjour à l’association R.I.A. (de « rivière, iles, acteurs ») pour prendre ma part de l’attention citoyenne à la préservation de cet espace merveilleux qu’est la rivière de Pont l’Abbé. Un soir, avec l’association, nous sommes partis pagayer sur la rivière, vers les îles, puis la mer. J’étais heureux que mes enfants et mon épouse soient dans le bateau accompagnateur et qu’ils découvrent ainsi les beautés simples et fragiles de ce petit coin de paradis qu’ils retrouvent chaque été. La crise climatique et la nécessité de la mobilisation parlent au cœur lorsque la réalité d’une géographie familière vient illustrer les périls. De cela, je crois, mes enfants ont pris pleinement conscience. Et je souris lorsque, stagiaires assidus de l’école de voile de l’Ile-Tudy croisant au large de la plage, ils me parlent avec assurance des balises et bouées aux mystérieux noms que je connaissais à leur âge.
Les vacances ont pour moi valeur de transmission. Le temps avance et l’enfance fera place bientôt à l’adolescence. J’essaie de partager, profitant d’avoir encore un peu l’oreille de mes enfants. J’espère qu’ils se construisent des souvenirs pour la vie avec nous, avec les grands-parents, avec leurs cousins, avec leurs amis du golf en Galice ou de la voile en Bretagne. Tant de mes souvenirs à moi ont le goût de l’été. Un jour un peu gris de la fin août, longeant la corniche de Penhador à Loctudy, je leur ai montré les deux petits rochers de la plage qui étaient le centre de mes mois de juillet de jeunesse . Je nageais vers eux et lorsque la marée était basse, c’est aussi vers eux que j’allais à pied avec ma petite épuisette. Il manque juste les photos. Je reviens chaque été de nos vacances avec quelques centaines de clichés. Au temps lointain des pattes d’éléphants et de mes culottes courtes, je devais en avoir une trentaine tout au plus. Question d’époque ! Les jours de cet été au bord de la mer auront été doux et animés. Les crêpes et le poisson des ports tout proches (ajouter le cidre pour les adultes) substantaient chacun. J’étais aux fourneaux et au barbecue. La lecture jouissive de quelques romans policiers locaux venait pimenter les soirées et faire dresser les cheveux sur la tête.
Ce fut un bel été, celui que je souhaitais. J’aurais aimé qu’il dure longtemps, comme le chantait Nino Ferrer dans sa sublime chanson Le Sud (« … le temps dure longtemps, et la vie sûrement, plus d’un million d’années, et toujours en été … »). L’été, pourtant, n’a qu’un temps. Il reste quelques semaines avant la suite de mes aventures professionnelles. Une autre étape est à venir. Ce n’est pas encore la retraite. Mon petit break tire peu à peu à sa fin. Je suis heureux de l’avoir pris, il le fallait. A Bruxelles, il fait chaud. Le hamac se balance doucement sur la terrasse. La maison s’est vidée, l’école a repris et le silence est venu. Les valises sont rangées. A l’année prochaine, s’est-on dit à La Corogne et à l’Ile-Tudy. Il y a pourtant encore, ici ou là, dispersées ou délicatement posées, des traces des bonheurs de juillet et d’août, comme autant de petits cailloux vers des souvenirs trop précieux pour qu’on les laisse filer trop vite. Sur la table du jardin, des coquillages de bien des couleurs ont été rassemblés par quelques petites mains. Dans le soleil du matin, je prends mon café auprès d’eux. L’esprit des vacances demeure. L’été s’en ira bientôt, mais il m’aura donné la force d’âme, l’énergie, la joie, la pêche, l’envie pour les temps qui viennent. C’était bien. Maintenant, je suis prêt.
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Ma rentrée des classes
Il y a deux mois, j’ai décidé de faire un break, à l’écart de la vie professionnelle, pour me resourcer, passer du temps avec ma famille et imaginer ce que l’étape d’après serait. J’avais envie de retrouver la vraie vie, un projet qui me ressemble et dans lequel je puisse inscrire mes idéaux et mes rêves. Je voulais retourner sur le terrain, faire œuvre de conviction, m’inscrire dans une aventure humaine. Il y a le temps d’écrire et de lire, il y a aussi celui d’agir. Lier les deux m’importait. La parole n’a de sens que lorsqu’elle est suivie d’actes, de faits et de réalisations tangibles, sources de progrès pour tous. Sans cela, elle peut être vaine. J’ai la protection de la planète, du climat et de l’environnement au cœur, mais je sais tellement – privilège ou tristesse de l’âge – que débattre, manifester ou protester à l’infini, sans s’atteler à la tâche, inventer et investir est in fine terriblement illusoire. Oui, notre planète va mal. Non, elle n’est pas foutue. Pour peu que l’on s’y colle, que l’on retrousse ses manches, que l’on crée et construise. La décarbonation de l’économie ne viendra pas de l’incantation, de doigts pointés vers tel ou tel ou bien d’interdictions, elle viendra de faits concrets, de ruptures technologiques, de coopérations innovantes. Et fondamentalement de l’entreprise.
C’est cette réflexion qui me conduit aujourd’hui à rejoindre Energy Pool et son président-fondateur Olivier Baud. Energy Pool est une entreprise savoyarde, créée en 2009. Pour ses clients, elle conçoit, développe et opère des solutions d’optimisation de la consommation d’énergie. Réussir à décarboner le mix énergétique requiert de travailler au contact des entreprises électro-intensives pour les conduire à la flexibilité et à l’adaptation dans leur consommation, en mobilisant les mécanismes de marché et les nouvelles technologies, et en valorisant l’effacement électrique. C’est aussi faciliter l’intégration des énergies renouvelables et intermittentes sur le réseau, c’est aider les économies émergentes à développer des réseaux intelligents de petites tailles alimentés par des productions locales d’électricité par opposition à de grands réseaux centralisés. Cet engagement conceptuel et opérationnel porté par Energy Pool en France, en Europe et plus loin m’a convaincu. C’est du concret et les résultats sont là. Je me suis dit que le couteau suisse que je suis pouvait utilement rallier le monde des ingénieurs et prendre sa part de l’aventure, au carrefour des relations industrielles, gouvernementales et extérieures, pour le développement de l’entreprise et le bien de la planète.
Mon parcours de vie m’a conduit à pratiquer le droit et à l’écrire aussi. Je sais combien, en amont de la loi, le rassemblement des volontés et la solidité d’un projet peuvent être fondateurs. Il s’agit de donner confiance, de convaincre, de fédérer les idées et les gens, d’imaginer pour demain toutes les possibilités de développement industriel et humain. C’est de l’ordre de la réflexion initiale comme de celui du détail, en ne négligeant rien ni personne, en agissant toujours en équipe. Je crois au rôle de l’entreprise dans la création de richesses et la construction du progrès. Préparant mon rapport en faveur de la ratification de l’Accord de Paris sur le climat au printemps 2016 à l’Assemblée nationale, j’avais tenu à mettre ce rôle en valeur. Je l’avais présenté aussi dans mes discours en commission et dans l’Hémicycle. Cela avait alors pu surprendre. Ce serait sans doute moins le cas aujourd’hui. Mon expression était fondée sur l’expérience et j’avais souhaité la partager. J’y croyais et j’y crois plus encore. L’industrie n’est pas un obstacle à la décarbonation de l’économie, elle est un élément important de la solution, en lien avec les autres acteurs, et notamment les acteurs publics locaux, nationaux et internationaux. Ces convictions-là, je vais désormais les mettre en œuvre.
Je suis heureux de faire ce saut. Je le vis comme une chance. Je suis un quinqua avancé ou – version plus heureuse et politiquement correcte – expérimenté et joyeux. L’enthousiasme est la clé, l’optimisme quelque part aussi. Le monde de demain est à inventer vite au regard des périls qui le guettent et aucune compétence n’est de trop. Je me réjouis de rejoindre un groupe passionné, de me faire l’étudiant des plus jeunes, d’apprendre humblement à leur contact et de leur transmettre ce que je connais pour la réussite de notre aventure commune. Je vais retrouver avec bonheur les voyages en train, depuis chez moi à Bruxelles où je travaillerai vers Le Bourget-du-Lac et vers Paris. Je serai en mouvement. Depuis quelques jours, j’ai préparé mon petit sac. Mes enfants s’en amusent. C’est ta rentrée des classes, me disent-ils. Il y a beaucoup de cela en effet : un cahier, un crayon, quelques bouquins (… et un ordinateur, quand même). Dimanche prochain, avant mon départ pour la Savoie, ils feront sûrement une photo de moi comme j’ai fait une photo d’eux le jour de leur rentrée. Et peut-être se souviendront-ils dans très longtemps que c’était une étape – modeste et familiale – sur la route d’un monde meilleur, celui que je leur souhaite et que je veux construire, un monde juste, sûr et humain.
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