Comme tant d’autres, la mort de Nahel, ce jeune homme de 17 ans abattu à bout portant le 27 juin au volant d’une voiture dans une rue de Nanterre en raison d’un refus d’obtempérer, me bouleverse profondément. C’est une tragédie. La vidéo ne laisse guère de doute quant au geste fatal du policier. Il n’y avait pas de situation de légitime défense. C’est un homicide et il est volontaire. Il revient désormais à la justice d’établir les faits, leur enchaînement et les responsabilités. De là viendra la sanction pénale. Tout cela est si triste. J’ai habité Nanterre, certes il y a longtemps désormais, et je ressens sans doute pour cette raison plus encore la peine, l’accablement même, comme citoyen et comme père, face à ce drame et ses conséquences. Je pense à la maman de Nael et à tous ses amis. La perte d’une vie est une chose terrible et ce qui a pu être dit sur le fait que Nahel n’avait pas le permis de conduire et n’avait pas obtempéré – ce qui est vrai – lorsque les policiers ont arrêté sa voiture ne légitime en rien la suite tragique des évènements. Honte aux politiciens d’extrême-droite qui ont mis ceci en avant pour, comment dire, relativiser les choses. On ne relativise pas la perte d’une vie, d’aucune vie, et ici celle d’un jeune des quartiers populaires.
Mais honte aussi à d’autres politiciens, à l’extrême-gauche, que leur haine récurrente de la police républicaine conduit à récupérer sans vergogne un drame aussi terrible pour se payer les forces de l’ordre. Ce que je lis sous certaines plumes de La France Insoumise me scandalise. J’ai confiance en la police républicaine et je la soutiens. Je ne jette pas dans le même sac le policier de Nanterre qui a ôté la vie à Nahel et les dizaines de milliers de policiers qui protègent les Français chaque jour au péril de leur vie. Je ne condamne pas a priori la loi Cazeneuve de février 2017, qui s’inscrivait dans un contexte – que l’on s’est vite empresser d’oublier – de menace terroriste et de danger majeur pour les forces de l’ordre. La police, on l’a tous louée quand on avait peur en 2015-2016. Heureusement qu’elle est là. Que l’on s’interroge sur la doctrine de maintien de l’ordre, c’est utile et une commission parlementaire devrait s’y atteler. Mais hurler que la police tue à longueur de tweets, c’est un scandale et c’est d’une rare irresponsabilité. Je ne peux pas imaginer et encore moins accepter comme ancien député que des parlementaires de la République puissent en être rendus là, alimentant la révolte, le vandalisme et la peur chez des millions de Français.
La mémoire de Nahel mériterait un sursaut de dignité et d’unité nationale. Il y a dans la récupération misérable de cette tragédie le symbole de l’affaissement de bien des valeurs, à commencer par le respect du chagrin et l’éthique de responsabilité. Et le signe aussi d’une grande médiocrité d’âme. Au lieu de tout conflictualiser par idéologie, de balancer des anathèmes à tours de bras, de s’en prendre sans retenue les uns aux autres, il faudrait faire nation, plus que jamais. Nous n’avons tristement rien de cela depuis 3 jours, ni mesure, ni sang-froid. Les invectives et les insultes pleuvent sur les réseaux sociaux de la part d’individus qui ont concouru à l’élection présidentielle ou qui s’y verraient bien la prochaine fois, et qui estiment que le travail de parlementaire se résume à tweeter et hurler dans l’Hémicycle. C’est honteux. Pendant ce temps-là, un pays brûle et appelle des réponses, claires et posées, et plus encore des actes. Il y a la majorité et les oppositions, chacune dans son rôle. N’est-il donc pas possible de se maîtriser et de se réunir, dans le respect des différences politiques, pour trouver les mots justes et les décisions nécessaires ? Et envoyer au pays le message d’apaisement qui lui fait si cruellement défaut ?
La police n’a pas en France de « permis de tuer » (LFI) ou de « présomption de légitime défense » (RN). Il n’y a rien de cela dans la loi Cazeneuve de sécurité publique de 2017. Prétendre l’inverse est faux. Les dispositions sur la légitime défense qu’elle contient sont la reprise de la jurisprudence en l’état il y a 6 ans, et notamment la référence à l’immédiateté, à la nécessité absolue quant à l’usage des armes et au respect dans ce cadre de la proportionnalité la plus stricte. Il n’en reste pas moins cependant que le drame de Nanterre et plusieurs autres survenus au cours des années écoulées pointent vers une difficulté d’interprétation ou de compréhension des règles d’engagement des forces de l’ordre et d’usage des armes qu’il faut reconnaître et dont il faut vouloir parler, sereinement, sans pointer du doigt ni voir dans les ressorts d’une tragédie comme celle de Nanterre le signe de la violence ou du racisme supposé de toute une profession. En l’occurrence, il n’y a ni l’un ni l’autre. La police mérite respect et soutien. Que la représentation nationale, Assemblée nationale et Sénat, se saisisse de cette question, aborde la formation des policiers, et ose aussi apprendre de l’expérience de nos voisins européens. C’est son rôle. A la lumière de ce que nous vivons, c’est plus encore son devoir.
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Le temps de faire
Il y a quelques jours, prenant de Bretagne la route pour Bruxelles, j’ai eu envie de traverser les monts d’Arrée. Ces paysages de l’Himalaya breton, comme les avait nommés avec une affectueuse ironie l’écrivain Nicolas Legendre, me sont chers. Une partie de ma jeunesse s’est écrite sur ces pentes, que j’ai si longtemps parcourues et gravies à vélo, chaque fois émerveillé par la vue, les étendues sauvages, la beauté rude des paysages et les légendes qui y vivent depuis des siècles. Un gigantesque incendie, l’été dernier, avait dévoré les monts d’Arrée. Il avait fallu des jours de combat aux soldats du feu pour le maîtriser. Sur des milliers d’hectares, les plus beaux, il ne restait plus qu’un paysage noirci, quelques troncs d’arbres calcinés, une désolation absolue. Le feu, les monts d’Arrée l’avaient déjà connu par le passé, mais à une telle intensité, jamais. On peut invoquer la malchance, l’imprudence peut-être pour expliquer ce qui s’est passé, mais on doit surtout y voir l’impact de la crise climatique. Une température caniculaire, des semaines durant, avaient asséché la végétation rase de l’Arrée. La suite fut dramatique. Un an plus tard, la nature a repris peu à peu ses droits, mais les traces de l’incendie demeureront longtemps, dans les paysages et dans les cœurs. La fragilité est là, la crise climatique aussi.
J’ai été le rapporteur de la loi de ratification de l’Accord de Paris sur le climat à l’Assemblée nationale. C’était en 2016. Nous sommes en 2023. Le temps qui passe voit la crise progresser avec des épisodes météorologiques aux conséquences toujours plus terribles pour la nature et l’homme. Une prise de conscience salutaire est intervenue dans la société, résultat de formidables mobilisations collectives, et il faut s’en féliciter. Ce qui est en jeu est la préservation à terme de l’habitabilité de la Terre et c’est une course contre la montre qu’il nous faut affronter. Nous en sommes déjà à 1,2° d’augmentation de la température terrestre depuis l’ère préindustrielle et nous gagnons 0,2° tous les dix ans. Or, l’objectif de l’Accord de Paris est de rester sous les 1,5° pour ne pas perdre tout contrôle sur les phénomènes climatiques. Il nous reste ainsi une dizaine d’années tout au plus pour engager l’action de manière irréversible. La tâche est immense : réduire les émissions de gaz à effet de serre de 55% en 2030, rompre avec les énergies fossiles et décarboner l’économie pour 2050. C’est un véritable mur qui se dresse devant nous. Nous pouvons le franchir, à condition de faire du climat au moins pour une génération la cause et le cœur de l’action publique, et fédérer à cette fin toutes les initiatives.
Il n’est plus temps en effet de parler, il est désormais tellement temps de faire. J’ai le sentiment que nous n’y sommes pas suffisamment en France. Le climat est une priorité, certes, mais parmi d’autres et parfois moins que d’autres. Ce sont pourtant des investissements colossaux qu’il faut susciter, qu’il faut entraîner et mobiliser, acteurs privés et acteurs publics ensemble, pour s’adapter aux défis du monde qui vient : sobriété énergétique, développement massif des énergies renouvelables, isolation thermique de tous les bâtiments, production, stockage, transport et distribution de l’électricité. Au fond, c’est une révolution industrielle majeure qu’il faut engager dans un temps court et qui nous est compté. Pour cela, il faut un pilotage déterminant de la puissance publique, à l’instar de que fut celui des choix économiques structurants des Trente Glorieuses, fondé sur l’idée de plan. Le marché, les entreprises, les technologies, l’innovation sont déterminants, mais pas suffisants à eux seuls. Il faut la puissance publique aussi, pour mettre en cohérence les objectifs et les moyens, peser dans la relation à l’Europe et à l’action climatique internationale. Une idée, pour ne citer qu’un exemple, doit devenir réalité : s’endetter pour l’adaptation climatique, sans opposition des Traités et politiques européennes.
Là est tout l’enjeu de demain : trouver les sous. L’endettement est devenu tabou, plus encore après le « quoi qu’il en coûte ». La dette de la France dépasse les 3.000 milliards d’Euros. Mais il y a les mauvaises dettes et les bonnes. Si s’endetter pour finir les fins de mois n’est pas de la meilleure politique, le faire pour financer des dépenses immédiates avec un retour sur le long terme l’est clairement en revanche. Le récent rapport de l’économiste Jean Pisani-Ferry sur les incidences économiques de l’action pour le climat établit le coût de l’adaptation pour la France à quelque 300 milliards d’Euros de dettes en plus en cumulé jusque 2030 et 34 milliards d’Euros d’investissements publics supplémentaires par an. C’est énorme, mais c’est jouable. Avons-nous d’ailleurs le choix, sauf à renoncer ? Le gouvernement ne peut s’abriter derrière les totems d’une politique de l’offre qui a certes fait les preuves de son succès, mais dont certains paramètres, en particulier sur l’endettement et la fiscalité, doivent pouvoir évoluer pour financer l’action climatique, car il n’existe aucune autre solution. L’endettement climatique est nécessaire, compréhensible et appréciable par les institutions financières au regard de la valeur de la parole d’un pays. Et la parole de la France, heureusement, est sûre.
Mais pour réussir, il faut aussi emporter le soutien de la population, de toute la population dans sa diversité, et notamment des catégories populaires. Il faut convaincre, s’engager, faire de l’action climatique cette cause nationale qui rassemble, et donc prendre en compte le sentiment d’injustice à l’œuvre dans la société française. Rien n’est pire que d’ignorer l’injustice, de ne pas la voir ou de l’accepter. Nous ne sommes pas égaux face à la crise climatique. Les dépenses d’énergie pèsent bien plus sur les foyers modestes. Demain, il faudra passer à la voiture électrique. Comment faire lorsqu’elle coûte deux années de salaire ? Cette vérité-là doit être affrontée en des termes et par des actes qui parlent à chacun. L’acceptabilité de l’action climatique et de l’effort demandé est à ce prix. Jamais le combat du climat ne sera gagné hors de la justice sociale. La crise des gilets jaunes nous l’a appris. Il faut placer le monde rural et périphérique ainsi que les banlieues des grandes villes au premier rang des priorités de l’adaptation. Et mettre en place une fiscalité sur le patrimoine des Français les plus aisés dont le produit sera dédié au financement de l’adaptation à la crise climatique. Ce symbole et ce signe-là sont nécessaires pour réaffirmer le sens de la solidarité nationale.
La peur de l’avenir apparaît dans chaque enquête d’opinion, et en particulier chez les plus jeunes. Eux verront la fin du siècle. Ils ont raison de juger sévèrement l’inaction, la faiblesse des moyens, les atermoiements, le déni de réalité et d’angoisse. A horizon de leur vie, si nous échouons dans les années à venir à agir décisivement pour décarboner l’économie de notre planète, cette planète que nous chérissons deviendra pour une part inhabitable, notamment en Afrique, là où se trouvera quelque 40% de la population mondiale. Derrière l’accès à l’eau et à l’alimentation se posera alors directement la question de la paix. A la jeunesse, il faut apporter la réponse qu’elle attend, ne pas moquer ses emportements et son idéalisme, tracer au contraire avec elle un chemin d’engagement pour que le climat soit pour elle une reconquête, un projet pour chacun et pour tous, créer de la richesse pour sauver la planète. C’est maintenant qu’il faut agir, pas dans un an, pas en 2027, pas en calculant. Cela commence par la volonté politique, le sens du rassemblement, celui du dépassement aussi. Un jour, dans longtemps, j’espère que mes enfants, leurs enfants, leurs petits-enfants pédaleront comme je l’ai fait sur les routes des monts d’Arrée. Parce que nous aurons réussi ensemble. Donnons-nous, donnons leur cette chance.
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