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C’est aujourd’hui le 9 mai, jour de l’Europe. Il y a 72 ans, Robert Schuman prononçait cette déclaration dont l’histoire a retenu qu’elle est le texte fondateur de toute la construction européenne. La paix n’avait que 5 ans. Les souvenirs des horreurs de la Seconde Guerre Mondiale étaient dans tous les esprits, toutes les mémoires, toutes les familles. Les économies se reconstruisaient, le progrès revenait peu à peu, les sociétés changeaient. A l’est de l’Europe pourtant, un rideau de fer était tombé, séparant les peuples et les histoires : d’un côté la liberté, de l’autre la dictature. Il faudrait attendre 40 ans pour qu’il s’effondre et que sur les ruines du communisme naisse un cadre démocratique pour toute l’Europe. La construction de l’Europe a pris depuis divers chemins, ceux de l’Etat de droit et de la démocratie (le Conseil de l’Europe), ceux des libertés de circulation et d’une communauté économique (l’Union européenne). Dans les deux cas, ce sont des destins qui se sont unis et qui ont fait de pays divisés, affaiblis et parfois longtemps ennemis une vibrante aventure humaine, l’une des plus grandes certainement à l’échelle du temps. Des générations entières d’Européens n’ont plus connu la guerre, les souffrances, la misère. Rien pourtant n’était écrit. Ce sont les volontés qui ont mis à bas les atavismes.
Le jour se lève sur ce 9 mai 2022. Comme chaque année, je le vis avec émotion. J’ai la cause de l’Europe au cœur. C’est l’Europe qui m’a conduit à l’engagement politique. J’étais étudiant lorsque j’ai adhéré au Parti socialiste. Mon histoire familiale m’y destinait, mais plus que tout, ce parti m’était cher parce qu’il était celui de François Mitterrand, de Michel Rocard et de Jacques Delors, ces hommes dont tout le parcours, chacun à sa manière, reposait sur le combat pour l’Europe, la liberté et la justice. Le PS était pour moi le parti de l’Europe. J’y ai milité près de 30 ans. J’en ai été un adhérent, un dirigeant, un député. C’était mon parti. Je l’ai aimé, beaucoup. Je n’aurais jamais imaginé le quitter. Et pourtant, j’en suis parti un soir d’il y a 5 ans, usé, désespéré par la fuite en avant et le remords qui traversaient le groupe parlementaire auquel j’appartenais, et par cet euroscepticisme sourd que j’y sentais monter, sans que rien ne puisse l’arrêter. A ces traités qui avaient construit l’aventure européenne, il était fait désormais procès récurent de « néo-libéralisme » ou « ultra-libéralisme », autant de mots vains et d’expressions creuses pour habiller une hostilité croissante à l’économie de marché, aux libertés de circulation, à l’idée même du mouvement. Et pour déguiser la tentation inavouée du repli.
Il y a quelques jours, la gauche a fait son union. La gauche reste mon histoire, ma référence, mes valeurs. Je sais la force de l’union dans l’imaginaire de gauche. Je ne peux pas ne pas y être sensible. Et je mentirais même si je ne disais pas que cette union m’émeut quelque part. Je me souviens des années 1970 en Bretagne, de mon papa, de son attachement fervent à l’union de la gauche. L’idée d’être ensemble, malgré les divergences, les rivalités, les séparations, les chapelles, était un objectif en soi, un espoir fou, quelque chose d’exaltant avec le sentiment qu’au bout, la vie en serait changée. Ce souvenir vit en moi. Mais l’histoire n’est plus la même et une chose en particulier : l’union de la gauche d’aujourd’hui se fait autour de la radicalité et d’une formation, La France Insoumise, dont l’hostilité à l’Europe est revendiquée, assumée, clamée. J’ai beaucoup entendu Jean-Luc Mélenchon dans les réunions du Parti socialiste. Il n’aimait déjà pas l’Europe. Il l’aime encore moins aujourd’hui. Il a depuis toujours voulu larguer les amarres liant la France à la construction européenne. Sa promesse de désobéissance européenne en 2022 n’est guère autre chose que la sortie des traités de 2017. Il était seul alors. Il ne l’est plus aujourd’hui car les socialistes et les écologistes l’ont rejoint.
Les socialistes et les écologistes sont allés à Canossa. En ralliant Jean-Luc Mélenchon, ils ont rallié ses choix anti-européens aussi. Les contorsions sémantiques visant à dire l’inverse ne font pas illusion. Pour quelques dizaines de sièges à l’Assemblée nationale, ils ont tiré un trait sur une part de leur histoire. Et ils ont mis des mots sur ce que je ressentais tristement au moment de partir il y a 5 ans : l’Europe n’est plus essentielle. Car la désobéissance européenne, c’est bien le refus d’appliquer le droit. Il paraît – c’est écrit – que la désobéissance se fera dans le respect de l’Etat de droit, en somme, ne pas appliquer le droit dans le respect du droit… Cela en dit long sur la confusion des esprits. Et de quel droit parle-t-on ? Du droit de la concurrence, de la politique agricole commune, rien moins que cela, dans un pays où un emploi sur trois dépend de l’exportation. Comme si les entreprises françaises n’avaient aucune activité en Europe et n’y étaient pas sujettes, elles aussi, au droit de la concurrence. Comme si la France n’était pas la première nation agricole européenne et que la PAC ne finançait pas nos agriculteurs, soutenant les centaines de milliers d’emplois de l’industrie agro-alimentaire. Je pense à ma Bretagne natale, région autrefois pauvre. Que serait-elle sans la PAC et sans l’Europe ?
La désobéissance européenne, c’est le rejet de la primauté du droit européen. Si la primauté du droit européen disparaissait, c’est toute l’œuvre législative européenne qui s’effondrerait. Or, c’est la primauté qui a permis, qui permet encore de mener décisivement les combats contre la discrimination fondée sur la nationalité. Comment la gauche peut-elle un instant s’écarter de cette cause ? Sans primauté, il n’existerait aucun droit européen de la sécurité sociale et les ressortissants d’un Etat membre de l’Union européenne vivant et travaillant dans un autre Etat en seraient les premiers pénalisés, tant dans le calcul et la liquidation de leurs retraites que pour l’accès aux prestations sociales. Je vis à l’étranger, j’ai été député des Français de l’étranger. Je sais combien, au quotidien, la réalité de nos vies dépend du respect absolu du droit européen. Que restera-t-il demain de la reconnaissance des diplômes si le droit européen n’est plus appliqué ? Que restera-t-il de la transition écologique si le droit européen n’est plus appliqué ? Le risque est immense si l’agenda du prochain gouvernement français devait être la désobéissance européenne. Tout cela me désole. C’est tellement, profondément l’inverse de l’histoire à laquelle je crois.
L’alliance de Jean-Luc Mélenchon ne représente pas toute la gauche. Il existe une gauche européenne qui ne peut ni ne doit plus se taire. C’est celle de la vraie vie, celle qui ne sacrifie ses causes à aucun calcul électoral, qui préfère les résultats aux illusions. Cette gauche européenne n’oublie pas d’où elle vient. Elle se sait l’héritière de beaucoup de combats, et notamment ceux de Jaurès. Il est temps pour elle de se lever, d’occuper l’espace politique qui est le sien, de rappeler combien l’Europe est la condition du progrès afin de mettre en garde contre le danger de la désobéissance européenne pour le pays, pour chacune et chacun d’entre nous, à commencer par les plus humbles. La gauche européenne doit être reconnue, entendue. En avril 2017, c’est elle qui avait conduit Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle et donc à la victoire. Le dépassement politique n’est pas l’effacement. Il n’est d’action pérenne que dans le respect de toutes les sensibilités. La paix, la démocratie, le climat, la justice sociale, l’emploi requièrent l’action européenne. Souvenons-nous que la construction de l’Europe est née du rassemblement de toutes les volontés. C’était le message de Schuman, c’était aussi celui de Mitterrand, Rocard et Delors. Et c’est là, plus que jamais, qu’est l’avenir.
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Avec Roland Gilles, mon ami cycliste
Dans quelques semaines, les Françaises et les Français éliront leurs députés. Député, je l’ai été. Je connais ce mandat. J’ai beaucoup aimé l’exercer. J’aurais aimé continuer. Avec le recul de quelques années désormais, mes meilleurs souvenirs à l’Assemblée nationale sont ceux du terrain, auprès des gens, au contact des réalités de notre pays et – s’agissant de la circonscription que je représentais – des Français à l’étranger. J’ai été touché par l’humanité des personnes rencontrées, par leurs itinéraires, leurs passions, leur unité, leur générosité. Les sujets que je portais étaient forts et je puisais dans ces rencontres une belle et nécessaire part d’énergie, forcément contagieuse, et quelque part aussi une forme d’émerveillement. J’écris tout cela ce 19 mai parce que j’ai envie de rendre hommage à quelqu’un, rencontré en Bosnie-Herzégovine. Cet homme est Roland Gilles. Il était l’Ambassadeur de France à Sarajevo. Roland est devenu un ami. Notre rencontre en 2013 reste un pic de mon mandat, politique et diplomatique bien sûr, tant la Bosnie-Herzégovine, pays fascinant, est également un pays complexe, mais plus que tout personnel et humain. J’écris ce post ce 19 mai parce que mon ami Roland Gilles, retraité depuis quelques années et élu local à Albi, est candidat aux prochaines élections législatives dans le Tarn. Et j’ai envie qu’il gagne.
Préparant mon premier voyage de député à Sarajevo en 2013, j’avais demandé à mon collaborateur Cyril Mallet de me donner quelques éléments de biographie sur l’Ambassadeur. Major de Saint-Cyr, Général d’armée, Directeur-Général de la Gendarmerie nationale, les titres et décorations étaient impressionnants. A cela, Cyril avait ajouté une petite ligne déterminante : double champion de France militaire de cyclisme. Le vélo étant une religion pour moi, la petite ligne visait juste ! Arrivé à Sarajevo, je m’aperçus que l’Ambassadeur avait fait son petit travail biographique de son côté aussi et qu’il connaissait les écrits que j’avais pu commettre sur le cyclisme, à défaut – le regret de ma vie – d’avoir un jour levé les bras sur une ligne d’arrivée. Ainsi, entre mes rendez-vous au Parlement bosnien, au Collège international français de Sarajevo, à Mostar et Banja Luka, nos échanges passèrent rapidement des choses formelles et institutionnelles aux passions personnelles. Les étages de la Résidence de France étaient pleins de coupes, de maillots tricolores et même arc-en-ciel, ceux de championne du monde de l’épouse brésilienne de Roland, Claudia Carceroni de Carvalho. Un matin, avant un rendez-vous, Roland me dit : « viens, on va voir les vélos ». Dans le garage se trouvaient les magnifiques machines sur lesquelles Claudia et lui sillonnaient la Bosnie et l’Herzégovine le week-end.
La France a eu ainsi pendant 3 ans à Sarajevo un Ambassadeur cycliste. Nombre d’habitants sur les hauteurs de la ville avaient pris l’habitude de le voir passer avec Claudia, tous deux vêtus de tricolore, enchaînant les kilomètres sur un relief redoutable et des pentes aux pourcentages alpins. Je crois volontiers à la force du sport, à sa capacité de rassemblement, de dépassement, d’apaisement aussi. Et cela n’est pas sans sens profond dans un pays aussi marqué par la guerre et les souffrances que la Bosnie-Herzégovine. Avec Roland, à Sarajevo, par mail et par téléphone aussi, nous parlions de paix, de stabilisation, de développement économique et humain. C’est d’ailleurs à la Bosnie que je consacrerai mon dernier rapport parlementaire. Dans la conversation vint un jour une annonce : « avec la société du Tour de France, j’organise une course cycliste internationale en juin 2014 pour les 100 ans du début de la Grande Guerre à Sarajevo. Ce sera symbolique. La course sera au calendrier de l’UCI. Tu viendras et tu seras sur un vélo ». J’étais intrigué, surpris, enthousiasmé certainement aussi. Et prêt à m’engager. Le but était pour cette course d’emprunter les routes de la République serbe de Bosnie, de la Fédération croato-bosniaque et même la fameuse « Sniper Alley » de Sarajevo. Et derrière les pros pédaleraient tous les enfants de Sarajevo, vêtus de jaune et filmés depuis le ciel par un hélicoptère.
Ce jour vint. J’étais au rendez-vous. A ma plus grande surprise, d’anciens vainqueurs du Tour comme Bernard Thévenet, Joop Zoetemelk et Stephen Roche aussi. Je devais me pincer pour y croire. Il y avait le directeur du Tour, Christian Prudhomme, dans sa fameuse voiture rouge et, en guest star, le Ministre de la Défense d’alors, Jean-Yves Le Drian, venu de Paris avec son vélo à lui. Suivant les anciens champions, Roland, Claudia et la voiture du Tour, chacun d’entre nous revêtu d’un maillot jaune, nous avions pédalé sur la « Sniper Alley », la route neutralisée par la police bosnienne, pour rejoindre le peloton des pros à Sarajevo-Est. Là-bas, nous avions échangé avec la Présidence collégiale de la Bosnie-Herzégovine, les Français en jaune d’un côté, les Bosniens en costume de l’autre. Et nous avions ensuite pris le départ avec les pros, roulant en peloton jusqu’au centre historique de Sarajevo, notre Ministre en tête. Je garde un souvenir ébloui de ce moment. Et une conviction : l’homme qui était parvenu à mettre une telle organisation sur pied, Roland Gilles, mériterait bien d’autres étapes, sur la route et dans la vie. Quelques semaines après, Roland et Claudia remettaient la clé de la Résidence de France et rentraient chez eux dans le Tarn … à vélo, escortés jusqu’à la frontière croate par la police bosnienne. A leur arrivée dans leur village les attendaient les écoliers sur leurs petits vélos.
Quelques années ont filé depuis. Avec Roland, nous n’avons pas perdu le contact. Je l’aurais volontiers imaginé rejoindre la société du Tour de France. C’est dans la politique, localement, qu’il s’est investi. Je n’en ai pas été vraiment surpris. Roland a le goût des gens, le sens de l’humain, la volonté et plus encore la capacité d’agir. J’ai été heureux de son élection au conseil municipal d’Albi en 2020. Et sa candidature aux élections législatives m’a fait très plaisir. Si j’étais encore député, nous ne ferions pas le choix du même groupe parlementaire, mais là au fond n’est pas le plus important. Le plus important, c’est l’humanité du candidat, son engagement, son empathie et sa capacité de rassemblement pour changer les choses. Roland Gilles a tout cela. J’ai vu, sur le terrain qui était le mien, comment il parvenait à fédérer les idées et les gens. Je suis sur les réseaux sociaux sa campagne, active et pleine de rendez-vous, d’étapes dirait-on en jargon cycliste. Je ne doute pas d’ailleurs que le candidat, soucieux de rester en forme, trouve le temps encore de pédaler avec Claudia. J’espère de tout cœur que Roland Gilles l’emportera en juin dans le Tarn. Il le mérite. Le 12 juin, j’attendrai les résultats, comme pour un prologue. Et le 19 juin, c’est vers la ligne d’arrivée que se portera mon regard, espérant voir Roland Gilles, au sprint ou en solitaire, venir la couper le premier.