
Comme tant d’autres amoureux de la mer, de la course au large et des grands espaces, j’ai suivi avec passion l’aventure de Violette Dorange sur le Vendée Globe Challenge depuis le mois de novembre. J’ai été touché, impressionné, bouleversé par l’immense courage de Violette, sa fraicheur et sa joie de vivre. Partir seule à tout juste 23 ans pour un tour du monde à la voile sans escale sur les mers les plus lointaines et les plus agitées du globe était un défi énorme, un Everest maritime, une géniale folie. Tous les jours, le matin et le soir, je scrutais Facebook pour avoir des nouvelles de Violette. A en juger par le nombre de likes et de commentaires, des dizaines de milliers d’autres admirateurs en faisaient de même. Les vidéos de Violette étaient fortes parce qu’elles étaient authentiques, sincères et justes. Il y avait des images hallucinantes, comme celles prises tout en haut de son mat. Elle nous souriait. Derrière nos écrans, nous flippions sévère. Elle nous racontait sa vie à bord, sa course – car elle est une régatière dans l’âme – ses espoirs, ses doutes et ses craintes, dans le vent, la pluie ou un lever de soleil. Je me souviens de son passage au point Nemo, le point le plus éloigné de toute terre, quelque part dans le vaste Pacifique, et de sa peur de la tempête redoutable qui s’annonçait à l’approche du Cap Horn.
Depuis le bout du bout du monde, face à l’immensité de l’océan, qu’il soit Indien, Pacifique ou Atlantique, un sourire apparaissait, même quand c’était dur. Ce sourire valait plus que tout le reste tant il était pour nous sur la terre ferme une sacrée leçon de vie. Y croire, s’accrocher, apprécier le moment et l’énormité de l’aventure, tout s’y trouvait. Violette a su lever un enthousiasme, sans peut-être même en prendre la mesure, par sa simplicité et son sens du partage. Nous avions tous les jours le témoignage d’une jeune femme qui vivait à plein son rêve et qui nous le racontait. Elle nous donnait des nouvelles. Nous vivions la course avec elle. Pour le vieux et très modeste voileux que je suis, c’était la révolution absolue avec les temps anciens, ceux d’avant les premières balises Argos et même d’un peu après aussi, lorsque les skippers – quasiment tous des mecs – étaient plutôt taiseux ou mutiques, sur les pontons et plus encore en course. La course commençait et ils ne nous disaient plus rien. Les récits, nous les découvririons après (ou pas). Violette est née avec notre siècle, ses codes et ses réseaux sociaux. Jour après jour, elle a rassemblé une communauté impressionnante de femmes et d’hommes, d’enfants aussi, que son incroyable aventure a fédéré en France et bien plus loin.
Hier matin, j’avais la chair de poule en suivant sur mon téléphone depuis Bruxelles l’arrivée de DeVenir, son voilier, aux Sables d’Olonne. C’était la première fois que l’on revoyait Violette « live » depuis le départ du même port le 10 novembre. J’aurais voulu être là-bas, le long du mythique chenal vendéen, pour assister à sa remontée sous les vivas et les bravos d’une foule immense brassant toutes les générations. Les pancartes, les banderoles, les cornes de brume, les cris des enfants disaient une reconnaissance infinie à Violette. L’émotion était immense, la sienne bien sûr, et la nôtre aussi. Un tour du monde s’achevait et une histoire, une belle, une vraie, était en marche. Je pensais au projet sociétal qui avait nourri cette aventure, celui de venir en aide à la jeunesse en difficulté et à son insertion grâce à la Fondation Apprentis d’Auteuil. Il n’était aucun meilleur message d’espoir et d’abnégation que celui de Violette, de retour de ses 3 mois sur les mers, nous envoyait. Il y avait la volonté et le talent, mais aussi le travail d’une équipe à laquelle elle a su rendre hommage car la course au large d’aujourd’hui, même en solitaire, est désormais une histoire collective. Cela valait un joli feu d’artifice final et une arrivée unique au son de Ocean Eyes, la belle et envoutante chanson de Billie Eilish.
Ce que Violette Dorange nous a donné à vivre est précieux et universel. C’est l’espoir et la confiance, la sincérité et la générosité. C’est un état d’esprit. Nous vivons une époque difficile et souvent sombre. Les occasions de porter un regard sur le monde autre que pessimiste ou rageux ne sont pas légions. Nous avons besoin de récits vifs, volontaires, positifs comme celui de Violette, qui nous rappellent que la force d’âme n’est pas une illusion, qu’elle existe en chacune et en chacun d’entre nous, que la puissance d’un rêve peut conduire au dépassement et qu’il faut toujours vouloir y croire. C’est cela, l’esprit Violette. Je suis sûr qu’elle nous racontera, encore et encore, ses 3 mois au cœur du Vendée Globe Challenge, la plus grande et la plus exigeante des courses à la voile au monde, et ses projets futurs lorsque le moment sera venu. Et quand viendront les beaux jours sur nos côtes françaises, j’espère bien que les écoles de voile et les classes de mer verront venir vers elles des tas de nouveaux petits marins conquis par le souffle de l’aventure et par la contagieuse joie de vivre d’une jeune femme de 23 ans dont l’histoire, au cœur de l’hiver 2025, aura rencontré la leur. Il faut que l’esprit Violette infuse en eux, en nous, et qu’il dure longtemps.

A la recherche de ma gauche perdue
J’écris ce petit billet comme on lancerait une bouteille à la mer, depuis un rivage incertain et vers des horizons lointains. Je ne sais si ma bouteille et son message arriveront. J’aimerais bien. Je suis un électeur de gauche. J’ai longtemps été un militant. J’ai passé près de 30 ans de ma vie au Parti socialiste. J’en ai dirigé une fédération. J’ai aussi été député. Mon histoire avec la gauche est celle d’une famille modeste tout au bout de la Bretagne, de générations désireuses de s’émanciper, de partager, d’écrire un récit commun qui éloigne la pauvreté et la souffrance sociale, qui construise le progrès et la paix. Je me souviens des émotions de mes parents, des souvenirs de mes grands-parents : 1936, 1968, le programme commun, le 10 mai 1981. Nous votions socialistes. Nous étions socialistes. Un idéal nous rassemblait, une folle espérance aussi : changer la vie. La génération de mes parents était attachée au rôle protecteur de l’Etat. La mienne était plus girondine, plus européenne. Je me suis reconnu dans les idées de Michel Rocard, l’action d’Edmond Maire à la CFDT, l’engagement de la société civile, des syndicats, de l’entreprise et des collectivités locales pour transformer la société. C’est cette gauche que j’ai aimée, que j’ai rejointe, à laquelle j’ai donné avec passion une belle part de ma vie.
La gauche me manque. Je ne la retrouve plus. Elle s’est égarée, elle s’est dispersée. Il y a plus de 30 ans, la lecture d’un livre, Le long Remords du pouvoir, m’avait beaucoup marqué. Alain Bergounioux et Gérard Grunberg, les auteurs, racontaient la relation ambivalente de la gauche à l’exercice des responsabilités : la crainte et peut-être même l’assurance de décevoir, l’écart immanquable avec le rêve. J’ai vécu cela comme député. S’y est rajouté le procès en trahison. François Hollande avait-il trahi la gauche ? Nous étions-nous abimés à agir au regard des contraintes de la France et du monde, en décalage, c’est vrai, avec les accents enthousiastes d’une campagne victorieuse ? J’ai pensé que non. Je le pense encore, mais je mesure la rupture latente et sincère que ce fut pour des millions de gens, avec des millions de gens. C’est parce que je ne pouvais me faire à l’idée que le Parti socialiste cesse de porter la cause du travail que je n’ai pu soutenir Benoît Hamon en 2017. J’ai voté pour Emmanuel Macron car j’ai cru, espéré voir en lui un Rocard jeune. Au fil des années, j’ai réalisé que je m’étais trompé. Il n’y avait ni Rocard, ni rocardisme. Il y avait une insensibilité sociale qui m’a peiné. Je me suis éloigné, du PS comme du macronisme, et j’ai repris ailleurs le cours de ma vie.
Un espace politique qui demeure
Suis-je condamné à une longue, vaine et peut-être définitive errance politique ? J’aimerais croire que non. L’espace politique demeure. Il n’est juste plus irrigué, renouvelé, incarné. Ma gauche est la gauche républicaine, la gauche digne, solide sur la question sociale, responsable sur l’économie, ferme sur l’égalité, impeccable sur la laïcité, engagée pour l’Europe. Elle est la gauche de Rocard et de Mendes France, elle est aussi celle de Mitterrand et de Jospin. Elle est socialiste, elle est radicale, elle est citoyenne, elle est un peu écolo également. La seule communauté qu’elle connaît – c’est tout son honneur – est la République. Pourquoi ne s’exprime-t-elle plus, pourquoi ne s’unit-elle pas ? Il y a des tas d’initiatives et de clubs qui font un travail remarquable, mais méconnu. Il faudrait les rassembler, les fédérer. L’émiettement de l’offre politique rend la gauche républicaine inaudible. Il en est même toute la faiblesse. Unir les forces, ce serait associer les diagnostics et les idées, les lectures nouvelles et nécessaires de l’évolution de l’économie et du monde, les propositions à imaginer ensemble. Il manque à la gauche républicaine un grand mouvement populaire, enraciné dans nos communes et départements, ce que fut peut-être le Parti socialiste dans ses meilleures années.
Je ne veux pas au printemps 2027 d’un match entre Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon. Parce qu’il serait l’assurance de l’élection de Marine Le Pen. Je ne vois pas la gauche dans La France Insoumise, j’y vois le chaos, l’irresponsabilité, l’autoritarisme, le communautarisme et désormais même l’antisémitisme. C’est l’honneur de la gauche républicaine de résister à une telle dérive, dans les partis politiques existants et plus souvent en dehors. Ce le serait davantage encore si cette résistance s’organisait pour construire une offre, loin de Mélenchon et pour notre pays. La gauche républicaine doit aborder toutes les questions que se posent les Français, sans totem ni tabou. Cela vaut pour les comptes publics, pour l’insécurité, pour l’immigration, pour tous les sujets si longtemps esquivés car perçus comme « de droite ». La gauche républicaine doit entendre les craintes des Français, à commencer par celles des catégories populaires, et savoir y répondre concrètement et courageusement. Le déni de réalité ou de colère ne peut être la réponse. L’avenir de notre pays n’est pas dans toujours plus de dépense publique, il est dans la qualité de celle-ci. Il n’est pas dans toujours plus d’impôts, il est dans la justice fiscale et la mise en mouvement de l’économie.
Le compromis au service du progrès
Créer de la valeur n’est pas un vilain mot, même si cela peut vouloir dire travailler plus. Il le faut pour renforcer notre protection sociale et nos services publics, si chers à la gauche. Comment le faire ? Pas par le haut, pas par la décision imposée, le conflit et l’humiliation. Par le dialogue social, la démocratie participative, l’intelligence collective. La gauche républicaine doit assumer le meilleur de la social-démocratie : la recherche sincère et constante du compromis. Il n’est plus temps d’entendre que la division syndicale et toute une série de particularismes surjoués feraient de la France une terre incompatible avec la social-démocratie, de même qu’il faut cesser de voir dans l’entreprise un lieu obligé de conflit pour y reconnaître à l’inverse un acteur essentiel de la création de richesses et un partenaire avec lequel travailler. C’est cette dynamique-là que la gauche républicaine doit encourager, impulser et faire vivre. D’évidence, la France Insoumise ne le fera pas, la droite non plus. Ce ne sont ni la révolution, ni la réaction qui feront avancer notre pays, mais un mouvement de la société que la gauche républicaine doit proposer et défendre. Ces convictions lui sont propres, elles la distinguent même, et il lui faut les affirmer dans le combat politique pour l’avenir de la France.
Il y aura 2027 bien sûr, mais 2026 et les municipales, et 2028 et les régionales aussi. La présidentielle étouffe le débat. C’est à un long sillon que la gauche républicaine devrait s’atteler, rassemblée sur ses valeurs et ses propositions, non pour faire l’appoint dans un second tour dont elle ne serait pas, mais pour s’y qualifier et pour gagner. Il y a dans notre pays des talents qui portent ses combats. Je pense à Mickaël Delafosse à Montpellier, à Carole Delga en Occitanie, à Loïg Chesnais-Girard en Bretagne, à Juliette Méadel au gouvernement, et bien d’autres. Je pense à Bernard Cazeneuve et à Raphaël Glucksmann, dont l’engagement et la force de conviction touchent durablement l’opinion nationale. Je voudrais imaginer que ces talents s’unissent, que les différences de personnalité ou de parcours non seulement ne freinent pas le mouvement, mais le renforcent, et que la porte ne soit pas fermée aux partis existants non plus. Il faut y aller parce qu’il est temps. C’est l’espoir que je caresse dans la quête de ma gauche perdue. J’ai toujours envie d’y croire. Cela fait finalement un long billet pour une bouteille à la mer. Qui que ce soit qui le recevra, de l’autre côté de l’océan ou d’une mer plus petite, aura une longue lecture. S’il peut être utile pour que la gauche renaisse, j’en serai heureux.
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