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Demain est jour d’élections en Allemagne. Comme tous les 4 ans, le Bundestag sera renouvelé. Un élément marque ce rendez-vous électoral : le retrait de la vie publique d’Angela Merkel. Je ne suis pas chrétien-démocrate. Mes préférences vont à la social-démocratie, dont j’espère le succès autour d’Olaf Scholz et du SPD. Je dois reconnaître pourtant ne pas être insensible au parcours de la Chancelière. Et plus encore à sa part de mystère. Comment en effet peut-on exercer le pouvoir sans discontinuer durant 16 années et atteindre un niveau record de popularité au moment de se retirer ? Dans un pays comme la France où les courbes de popularité s’effondrent sitôt une élection présidentielle gagnée pour ne jamais se redresser, la performance de la Chancelière ne peut qu’interloquer. En 16 ans, on peut lasser un pays, faire des erreurs et en payer le prix. Il y a toute une jeunesse allemande qui n’a connu d’autre leader pour son pays qu’Angela Merkel. C’est long, 16 ans. C’est même énorme. Cette jeunesse, plus encore que le reste de la population, ne votera sans doute pas majoritairement pour la CDU demain. Mais elle regarde la Chancelière qui s’en va bien plus favorablement que le parti dont elle est membre et qu’elle a dirigé si longtemps.
Quel est le mystère d’Angela Merkel, ou plutôt l’alchimie qui a construit durablement sa popularité ? C’est un style, un leadership, une attitude. Il y a la sobriété, la simplicité, la prudence, la parole mesurée, l’écoute, le souci d’expliquer. On ne devient pas « Mutti » pour les Allemands en un jour. Angela Merkel a construit son succès et sa trace au fil de son histoire à la Chancellerie, pas à pas, à l’épreuve des faits, là où tant d’autres s’abiment par facilité ou dans l’ivresse des cimes. La Chancelière a su incarner son pays, protéger et rassurer. Protéger, rassurer, voilà des mots volontiers perçus comme frileux et que l’on balaie d’ordinaire pour imaginer que la flamboyance fait une élection. Sans doute peut-on gagner une élection sur la flamboyance, mais en aucun cas une réélection. La seule force du verbe ne fait pas illusion. Le charisme n’est pas là où on l’attend. Les temps que nous vivons depuis le début du XXIème siècle sont troublés, incertains et durs. Les citoyens attendent qu’on leur parle en confiance, clairement, justement, que l’on entende leurs craintes, leurs difficultés et leurs aspirations. Ils ont non seulement besoin de résultats, mais aussi de se sentir représentés. C’est cela qu’Angela Merkel, aux responsabilités, est parvenue à faire.
Il y a les choix politiques, que l’on peut apprécier ou non, et puis il y a l’exercice du pouvoir. Les deux sont importants. La qualité de la parole publique est essentielle. L’Allemagne n’est pas la France, les différences culturelles et historiques existent et resteront. Reconnaissons que la vie politique française est – comment dire – plus éruptive et manichéenne que la vie politique allemande. Et pourtant, il y a beaucoup à apprendre de l’exemple d’Angela Merkel et de la relation tissée par elle avec les Allemands dans l’exercice du pouvoir. Je suis convaincu que l’unité de sa parole y a été pour beaucoup. La parole publique doit être sobre, complète, juste et suffisamment rare pour être entendue. L’influence de Michel Rocard m’a conduit à donner crédit au parler vrai, au plus près des faits et des réalités. Mais le parler vrai ne suffit pas. Il faut aussi une qualité d’écoute et une sincérité d’expression, posée et directe, pour que le lien se construise, dure et qu’avec lui vienne la confiance. Si une part de cela se travaille et relève d’une méthode, la vérité est que l’essentiel repose d’abord sur la personnalité. Et la personnalité d’un leader, femme ou homme politique, est forgée par l’enfance, la formation, la relation aux autres, la capacité de se remettre en cause.
La crise démocratique que traversent de nombreux pays est une crise de confiance, dans les institutions comme aussi dans les élus qui les dirigent. Vu depuis l’étranger, c’est ainsi que je la ressens en particulier en France. Le sentiment de ne pas être écouté, de ne compter pour rien, d’être méprisé, ignoré, regardé de haut prospère dangereusement et alimente le vote vers les extrêmes, en particulier vers l’extrême-droite. La verticalité éloigne la décision, l’hétérogénéité de la parole publique dessert l’explication. D’une expression à l’autre, un pouvoir ne peut être à la fois proche et lointain, attentif et rude, bavard et sec. Il faut vouloir écouter, justifier et convaincre. En 16 ans, Angela Merkel aura travaillé avec 4 Présidents de la République française successifs. Elle aura appris à les connaître, mais eux, auront-ils appris des raisons de son succès à elle ? Une page se tournera demain pour Angela Merkel et pour les Allemands, mais aussi pour nous tant sa figure aura été familière des années durant. Des livres viendront, les siens peut-être, pour raconter le récit d’une aventure singulière, celle d’une femme de l’Est arrivée là où personne, y compris elle-même, ne l’attendait. Ce temps du témoignage sera précieux pour l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, mais aussi pour l’avenir.
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Défendre la primauté du droit européen
L’Union européenne est une communauté de droit, une communauté de valeurs, une communauté de destins. Y adhérer n’est pas simple et c’est tant mieux. Pour entrer, il y a des critères à respecter, des engagements à prendre. Ils ne valent pas seulement pour le jour de l’examen, ils valent aussi et surtout pour l’après. Adhérer à l’Union, c’est en accepter le fonctionnement, les règles et l’ordre juridique. C’est se conformer aux principes fondateurs, à l’architecture institutionnelle et à toutes les dispositions des Traités. La primauté du droit européen sur le droit national fait partie de ces obligations qui lient tout Etat membre. Respecter la primauté n’est pas une suggestion, c’est un devoir et il ne souffre aucune exception. Si demain un Etat membre décide d’inverser la perspective et considère qu’il appliquera désormais le droit européen seulement lorsqu’il sera en accord avec lui et que cela lui profitera, alors s’en sera fini de l’Union européenne. La primauté du droit européen et le rôle éminent de la Cour de Justice de l’Union européenne s’imposent. Aucun Etat membre n’est forcé d’adhérer à l’Union européenne. Si on le fait, on ne saurait dès lors opposer à l’ordre juridique que l’on a choisi librement et souverainement de rejoindre une norme ultérieure issue du droit national.
Hier, jeudi 7 octobre, le tribunal constitutionnel polonais a jugé incompatible avec la Constitution du pays une partie des Traités européens. Ce faisant, elle a affirmé que si primauté il y a, elle est celle du droit polonais. Appelons un chat un chat : c’est une agression à l’égard de l’ordre juridique de l’Union européenne et de l’Union elle-même. A ce jugement, la présidente du tribunal a ajouté ses commentaires, dénonçant pêle-mêle « l’ingérence de la Cour de Justice de l’Union européenne dans le système juridique polonais » et assurant que « des organes européens agissent au-delà de leur compétences », propos bruyamment acclamés dans la foulée par le gouvernement polonais, tout à sa bataille de plusieurs années contre l’indépendance de la justice et la capacité des juges polonais d’appliquer le droit européen. C’est précisément de cette réforme judiciaire controversée, à l’encontre de la séparation des pouvoir, que ce jugement traite. Tant d’efforts pour mettre le tribunal constitutionnel sous coupe réglée devait nécessairement y conduire. Exit donc la primauté du droit européen en Pologne. Et après, business as usual ? Un versement de 57 milliards d’Euros au titre du plan de relance, payés par les pays et citoyens qui, eux, respectent la règle du jeu ?
Il est temps d’arrêter la comédie. On ne peut faire un gigantesque bras d’honneur à l’Union européenne comme hier à Varsovie et lui demander cependant de passer à la caisse au nom de la solidarité qui serait due à la Pologne, comme s’il n’existait plus pour elle que des droits et aucun devoir. C’est insupportable. Il est de la responsabilité des institutions européennes et des autres Etats membres de défendre la primauté du droit de l’Union et de le faire savoir à la Pologne de la manière la plus directe, en refusant de lui verser le moindre Euro. L’Union européenne ne peut se montrer indécise ou faible face à ce qui est une attaque frontale et préparée à l’égard même de sa raison d’être. La Commission doit tenir bon et sentir derrière elle le soutien résolu du Parlement européen et du Conseil. Elle a eu raison le mois passé de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne pour que des amendes quotidiennes soient infligées à la Pologne jusqu’au retrait des réformes judiciaires au centre du jugement du tribunal constitutionnel hier. Dans le bras de fer engagé avec le gouvernement polonais, parce qu’il porte sur des questions essentielles de droits et de valeurs, il est indispensable que l’Union européenne se défende et mobilise toutes les voies de droit possibles.
La Pologne est au cœur de l’Europe. Elle a toute sa place dans l’Union, à condition cependant de la respecter. Aucun pays candidat ne serait admis dans l’Union européenne si sa législation permettait sous couvert d’une chambre disciplinaire un contrôle politique effectif sur les juges, leurs nominations, leur avancement et leur carrière. Que dire alors d’un Etat membre qui s’autorise un tel pas en arrière en matière d’Etat de droit ? Il est difficile de prétendre durablement rester membre de l’Union européenne en mettant ainsi la justice au pas, en ignorant les arrêts et ordonnances provisoires de la Cour de Justice de l’Union et en rejetant désormais la primauté du droit européen. In fine, sans même quitter l’Union, le jugement d’hier a déjà un triste parfum de sortie car il exprime le rejet des règles les plus fondamentales. Dans un pays où l’appartenance à l’Union européenne est soutenue par quelque 80% de la population, cette situation est surréaliste et politiquement confondante. Personne ne souhaite de mal à la Pologne, tout le monde la veut dans l’Union, à la hauteur de sa grande et belle histoire. Mais pas au prix de la déconstruction de l’œuvre communautaire et d’une épreuve de force insensée au regard de ce que fut le choix du peuple polonais de rejoindre l’Union en 2003.
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