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Pierre-Yves Le Borgn' Articles

Louis Mermaz, acteur et témoin d’une époque

Demain, pour la seconde fois sous la Vème République et la première fois depuis 62 ans, un gouvernement sera renversé par l’Assemblée nationale. C’est le jeu de la vie parlementaire. Ce sera également un moment de bascule pour la France, affaiblie par la dégradation des finances publiques et une conjoncture économique difficile. Combien de fois n’a-t-on pas écrit que la République était à la croisée des chemins, au risque de galvauder l’expression ? Mon sentiment, pourtant, est que cette expression n’aura jamais été aussi indiquée qu’en cette fin d’année 2024. Alors qu’une crise économique et peut-être financière menace, faut-il regarder le renversement du gouvernement comme un simple avatar, certes peu fréquent, dans le cours démocratique d’une nation ou l’appréhender au contraire comme une alerte sérieuse, un appel à la responsabilité et à l’union ? Je suis de ceux qui prennent cette bascule comme un signe redoutable des temps à venir si le pays et les Français ne se rassemblaient pas pour dépasser le jeu de rôle partisan et conjurer les tempêtes. On ne peut séparer la France de son économie. Aucune économie libre ne peut vivre et croître sans confiance ni lisibilité de l’action publique. Et derrière l’économie, il y a nos emplois, nos vies, le destin des nôtres.

Les années ont fait de moi un observateur à l’ancienne, doublé d’un bon (je l’espère) père de famille. J’ai besoin de plonger dans les souvenirs de ma vie politique et les livres de ma bibliothèque pour y trouver un recul historique, des repères, une inspiration, un fil. Il y a ainsi depuis l’été dernier un livre que je relis peu à peu : ce sont les Mémoires de Louis Mermaz, ancien ministre et Président de l’Assemblée nationale. Leur titre est Il faut que je vous dise. J’avais acheté ce livre à sa sortie en 2014 dans une librairie du Boulevard Saint-Germain à Paris. Je l’avais offert aussi à mon père, qui appréciait beaucoup Louis Mermaz. Sans doute l’avais-je lu trop rapidement, distrait par un emploi du temps qui laissait alors moins de temps à la réflexion qu’aujourd’hui. Louis Mermaz est décédé au mois d’août. Je me suis souvenu que j’avais échangé avec lui par mail après avoir lu son livre. L’attachement de mon père à son parcours l’avait touché et il m’avait demandé de lui transmettre ses remerciements. Je ne connaissais pas vraiment Louis Mermaz. Je garde le souvenir de son humour caustique lorsque, présidant la commission des conflits du PS, il m’avait auditionné, l’air faussement navré, sur une malheureuse histoire de cornecul portée par un adhérent procédurier de la section de Dakar.

Je crois bien que j’ai commencé la relecture des Mémoires de Louis Mermaz au moment où le gouvernement de Michel Barnier prenait ses responsabilités. Il les quittera demain alors même que je n’ai pas encore tourné la 730ème et dernière page du livre. Il faut dire que je lis à petite vitesse, comme avec gourmandise, sautant des chapitres, revenant sur d’autres, apprenant sans cesse. Ce livre m’enchante car il est une immersion absolue et passionnante dans la vie politique sur plus de 50 années. Cette immersion est bien sûr subjective : bien davantage qu’un témoin, Louis Mermaz fut un acteur de premier plan de cette vie politique auprès de François Mitterrand. Il était aussi un historien et plus que tout un écrivain au style remarquable. J’ai lu de nombreuses Mémoires, souvent trop rapidement écrites, sans que l’on y découvre réellement les clés d’une existence, d’un parcours ou d’une époque. Je trouve tout l’inverse dans les Mémoires de Louis Mermaz, à commencer par l’unité d’un homme que l’on devine pudique et qui raconte avec une grande sensibilité, au soir de sa vie, son enfance de fils caché de l’ancien ministre et député breton Louis de Chappedelaine. On ne saurait détacher les émotions et peut-être les blessures de l’enfance du reste d’une existence.

Louis Mermaz devint un homme public. Il fut aussi un père qui connut le grand malheur de perdre deux de ses enfants. Une famille n’accompagne pas une vie publique, à la marge, de temps en temps. Elle en est un élément fort. De cette part de vie, intime, belle et cruelle, Louis Mermaz parle aussi. Sans doute est-ce courageux, mais c’est surtout très juste. Les anecdotes dessinent l’histoire d’un jeune agrégé à la recherche d’une terre électorale pour ses idées, de l’Orne à l’Isère en passant par la Nièvre. Elles racontent les enthousiasmes, les espoirs et les difficultés d’une épopée politique avec ses hauts et ses bas, ses déserts à traverser, ses élections gagnées ou perdues, et une résilience jamais prise à défaut. On traverse la IVème République, puis la Vème. On croise Mendès France, le Général de Gaulle, Pompidou, Giscard. Mitterrand est le grand homme, souvent cité, combatif, attentif à ses amis, mais rude de temps à autre aussi. Des idées qu’il se forgea et qui le forgèrent aussi, Louis Mermaz dit ce qu’il faut, sans rien sans doute apprendre au lecteur qu’il ne savait déjà. De l’action – et parfois jusqu’aux dialogues – il raconte par contre beaucoup. Ces développements-là sont éclairants parce qu’ils sont incarnés. Rien ne manque, jusqu’aux détails comiques de certaines situations pourtant bien sérieuses.

En 2014, lorsque j’échangeais par mail avec Louis Mermaz, j’aurais dû oser lui poser la question qui me brûle aux lèvres désormais : comment peut-on conserver une telle mémoire des faits, se souvenir de la liste des invités à un dîner il y a 43 ans, des propos des uns et des autres, et peut-être même du menu ? Louis Mermaz avait-il noirci des tas de carnets, écrivant le soir ou la nuit le récit de ses jours, comme un journal pour plus tard ? Ce sont ces détails qui font la force de la narration et l’attachement à une histoire que je ressens à la relecture de ses Mémoires. Les Mémoires ne sont pas une compilation de souvenirs, pour solde de tout compte, la retraite venue. Elles sont un exercice exigeant si l’on veut qu’un tel livre revête la dimension d’une transmission. Je crois que c’est ce que Louis Mermaz, en historien et en acteur de la gauche de gouvernement, souhaitait. Dans les années qui suivirent la publication de son livre, retiré de la vie publique à l’issue de son mandat au Sénat, il continua à dire ses convictions sur l’état de la France, l’évolution de la société et du monde, la nécessité de réunir la gauche, et celle aussi de ne rien compromettre du vivre-ensemble, du pacte républicain et de la laïcité. Il fut jusqu’au bout de sa vie le témoin d’une époque, un homme que ses Mémoires me révèlent attachant.

Il faut savoir et vouloir aimer la France. C’est aussi ce que ces cinquante années et plus de vie publique révèlent. La France est plus grande que nous. C’est tout bête d’écrire cela, mais ce n’est pas inutile en ces temps où les égos et les calculs déflorent le débat politique jusqu’à conduire au bord du précipice. La politique a mauvaise presse, quelquefois pour de bonnes raisons, mais je persiste envers et contre tout à voir en elle un exercice noble et juste. Il ne faut pas avoir peur des différences, elles sont utiles à la démocratie. La gauche et la droite existent et c’est très bien ainsi. Une opposition républicaine aujourd’hui sera la majorité demain. Mais il est aussi des temps extraordinaires et éminemment périlleux comme ceux que nous traversons depuis ces derniers mois qui commandent de savoir se dépasser, s’élever pour le bien de la République et de notre pays, sans se renier, en additionnant les volontés et les forces. De cela, entre les lignes, Louis Mermaz parle aussi dans ses Mémoires. Il faut préférer le temps à l’instant, la responsabilité à l’aventure. Il faut connaître ses adversaires et leurs idées, non pour les caricaturer, mais parce que la démocratie requiert une maturité d’échanges et un respect mutuel pour servir notre destin commun. La France ne doit jamais cesser de rassembler.

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Revoter pour mes idées

Il est tard ce dimanche soir. La nuit enveloppe le TGV qui file vers la Bretagne. L’hiver vient et avec lui son cortège de jours courts et d’incertitudes. Je n’ai jamais vraiment aimé cette période de l’année. Les fêtes sont encore lointaines. C’est la saison des budgets, ceux des entreprises, ceux de l’Etat aussi. Etablir un budget n’est jamais facile, le voter ne l’est pas davantage. J’ai le souvenir de jours et de nuits dans l’Hémicycle de l’Assemblée nationale, votant des amendements à la chaîne jusqu’aux aurores, cuit de fatigue comme la plupart de mes collègues. Je mesure la responsabilité des parlementaires en cet automne de tous les dangers face à des finances publiques lourdement dégradées et en l’absence de majorité pour le gouvernement. Sans doute cette équation budgétaire est-elle la plus difficile de la Vème République. La politique est affaire de passions et de convictions, de responsabilité et de sens de l’Etat aussi. Peut-on imaginer que la France, avec ses déficits et son endettement, termine l’année 2024 sans budget pour 2025 ? Que le gouvernement, renversé ou pas, démissionnaire ou pas, se retrouve contraint en janvier de tenter de faire appliquer – chose inédite – le budget par ordonnances, faute d’avoir pu en obtenir le vote par le Parlement ? La question peut apparaître folle et elle est pourtant désormais réelle.

J’ai le sentiment que notre pays peut partir à vau-l’eau demain. La dégradation des finances publiques est un échec politique majeur. Nous, Français, jouons très gros en ces ultimes semaines de 2024. Il en va de la croissance de notre économie, de la compétitivité de nos entreprises, de nos emplois, de nos salaires, de notre pacte social, de notre vivre-ensemble. Personne, sans doute, y compris même le Premier ministre, ne trouvera le projet de budget pour 2025 idéal. Il est le reflet des circonstances et d’une bien trop faible marge de manœuvre. Il y a des dispositions dans ce budget que je n’aime pas, autant dans les recettes que dans les dépenses d’ailleurs, et qu’en temps ordinaires, si j’étais encore parlementaire, je tenterais de corriger. Mais les temps ne sont plus ordinaires, ils sont terriblement périlleux pour la France et pour nous tous. La perspective de la censure du gouvernement et donc de son renversement par les oppositions à l’Assemblée nationale devient réelle et peut-être même probable. Elle m’effraie, par-delà l’appréciation sur le budget, car il n’existe aucune alternative en l’état de l’arithmétique à l’Assemblée nationale pour conduire une politique fondamentalement différente de celle que met en œuvre Michel Barnier. Prétendre l’inverse serait un déni de vérité.

J’espère ainsi que la censure ne sera pas votée par l’Assemblée, même si le Rassemblement national décidait de s’y rallier. Il faudrait pour cela que les députés socialistes choisissent enfin de rompre avec La France Insoumise. J’espère qu’ils auront ce courage. J’ai quitté le PS en 2017, mais l’espace politique de la gauche de gouvernement demeure le mien. La famille socialiste a pour elle d’avoir exercé les plus éminentes responsabilités de l’Etat, d’avoir affronté des situations de crise, d’avoir tenu bon pour protéger la France et les Français, d’avoir su se dépasser lorsque les circonstances l’exigeaient. Elles l’exigent aujourd’hui à nouveau. Il est urgent d’éviter à la France une crise financière et une crise de régime, dont les plus fragiles et les plus humbles de nos compatriotes seraient les premières victimes. La France doit être gouvernée, elle doit être prémunie d’une envolée funeste des taux d’intérêts, elle doit conserver à l’échelle européenne et internationale une voix écoutée et influente. Tout cela, elle le perdrait si demain, sans budget ni gouvernement, 2025 devenait pour notre pays un saut dans l’inconnu. La censure ne se vote pas au bénéfice du vide, sans autre alternative que l’incantation ou le calcul. Et encore moins pour organiser l’empêchement du Président de la République et forcer sa démission.

Sur ce blog, j’ai explicité mon vote en 2017 et 2022 pour Emmanuel Macron. En 2017, j’ai voulu voir en lui l’héritier des idées de Michel Rocard qui avaient tant influencé mon cheminement politique. Je me suis trompé. Macron n’est pas Rocard. En 2022, j’ai à nouveau voté pour lui car le « quoi qu’il en coûte », en réponse à la pandémie, avait été pour moi un temps social-démocrate. Aux autres élections, j’ai voté pour la gauche de gouvernement, la gauche républicaine, la gauche laïque, celle que porte par exemple Loïg Chesnais-Girard en Bretagne, ma région. Ma gauche n’est pas celle de LFI. Elle en est même rigoureusement aux antipodes. Que le PS en soit réduit à l’état de vassalisation par rapport à Jean-Luc Mélenchon m’afflige. Comment peut-on partager un quelconque combat avec LFI, qui vote pour la suppression de la contribution financière de la France à l’Union européenne ? Ou qui dépose une proposition de loi à l’Assemblée nationale pour abroger le délit d’apologie du terrorisme ? Je suis orphelin d’une offre politique qui placerait le progrès social, la croissance décarbonée et l’ordre public au cœur de l’action. Je ne peux me résoudre à ce que l’avenir soit dans un second tour mortifère entre Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, garantie de l’élection haut la main de cette dernière.

J’ai envie de revoter pour mes idées, de militer pour elles, de construire avec d’autres cette offre politique dont je rêve. J’en ai assez de faire barrage. Je comprends pourquoi des millions de gens se sentent floués par les résultats des élections législatives de l’été dernier. Personne n’a gagné et ce n’est pas normal. Une élection doit désigner des vainqueurs. Or, il n’y en a pas eu. A toujours voter utile et donc pour d’autres pour préserver la République, c’est la lisibilité des scrutins et leur acceptabilité qui disparaissent. C’est un poison pour la démocratie. Il faut que cela change. On pourrait disserter à l’infini sur l’immaturité du débat politique français, l’absence de culture de coalition, les calculs communautaristes de Jean-Luc Mélenchon et la xénophobie du Rassemblement national. Tout cela est juste, mais vain tant il y a le feu. Ce n’est pas être grand clerc que de prédire que l’actuelle législature n’a pas d’avenir. Elle pourrait approuver deux textes : le budget pour 2025 bien sûr, et une réforme du mode de scrutin pour les élections législatives. Je plaide pour une représentation proportionnelle à l’échelle départementale, qui permette de redistribuer les cartes, de voter pour ses idées et de forger ensuite, en transparence et responsabilité, un contrat de gouvernement au service des Français.

On a beaucoup moqué le soi-disant « vieux monde ». C’était injuste et hors de propos. La crise des gilets jaunes a montré, s’il le fallait, que l’avenir de la France ne se décrétait pas d’en haut avec toute l’humanité d’un tableur Excel. Il faut connaître la France et sa diversité, territoriale, générationnelle, économique, humaine pour prétendre la changer. On ne réforme pas la France contre les Français, sans vouloir les convaincre, sans accepter d’être convaincu par eux aussi. Le déni de galère et l’indifférence sociale sont, à raison, ressentis durement et injustement. J’aime la formule de François Ruffin sur les bourgs et les tours. C’est la réalité de la France, de ses richesses et de ses peines, de ses attentes et de ses colères. On ne peut opposer une France à une autre, on ne peut en écarter une pour l’autre, par mépris, calcul ou haine. Il faut des tripes et de l’émotion pour écrire une nouvelle page du récit national, une page qui rassemble et qui engage. La politique n’est pas un situationnisme. Elle doit retrouver valeur d’idéal. J’ouvre souvent les livres un peu jaunis de ma bibliothèque. Il y a Rocard, Mendès France, Delors aussi. J’ai retrouvé il y a peu un petit mot manuscrit de Pierre Mauroy. Ce temps-là avait de l’allure. Il ne reviendra pas, mais les idées demeurent pour demain. Il n’en tient qu’à nous.

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Saurai-je un jour être sage ?

Bréhat, novembre 2024

Je suis entré hier dans une nouvelle décennie. Il n’y avait plus assez de place sur le gâteau pour les nombreuses bougies désormais nécessaires et le pâtissier de l’île de Bréhat ne m’en avait finalement donné qu’une seule, belle et symbolique. C’était mieux. C’est l’âge de la sagesse, paraît-il. Mais saurai-je un jour être sage ? Si c’est ne plus oser, vivre précautionneusement, sans âme ni sel, ce ne sera pas moi. Si c’est en revanche ne jamais cesser d’avoir envie, d’agir et d’aimer, alors ce sera moi. Je n’ai jamais eu peur de voir les années défiler. En 2020, dans la nuit d’un autre 4 novembre, au bord de l’océan à l’Ile-Tudy, j’avais écrit un petit texte pour mon blog que j’avais intitulé Le temps qui reste. Là est en effet le sujet : il y a tant de choses que je souhaite faire qu’il faudra que ce temps-là soit vraiment long. Je compte bien m’y employer. Il faut avoir la forme, bouger, ne jamais manquer d’idées, de projets, d’enthousiasme et de rêves. Il faut surtout ne rien s’interdire, et notamment d’être heureux. Au commencement, il y avait certainement la joie de vivre. Elle m’habite depuis le premier jour. Je la tiens d’une enfance simple et tendre, de l’éducation reçue de mes parents, et d’une grand-mère qui avait su dépasser toutes les misères de la vie pour en voir et, plus encore, en vivre le meilleur.

La vie est une succession d’époques. Il y a 10 ans, j’ai eu 50 ans. Je revois encore la photo, dans la cour de l’Assemblée nationale. J’avais connu des années de conquête, professionnelle, politique, familiale. Celles qui suivirent furent différentes. J’ai eu le chagrin de perdre mon père. J’ai quitté la vie publique, ou, plutôt, elle m’a échappé. J’ai vécu la solitude des revers de fortune, quand le téléphone ne sonne plus guère, que la boîte mail reste vide, et que certaines amitiés – ou relations que je croyais telles – s’évaporent. Dans le succès, on est toujours entouré. Dans l’infortune, on est bien seul. Ce fut pour moi une rude et utile leçon de vie. La cinquantaine fut ainsi un parcours de résilience. J’ai fait le dos rond. Je me suis reconstruit. Je me suis occupé de mes enfants. J’ai appris à cuisiner. Je suis devenu un pro du spinning dans ma salle de sport. J’ai créé mon entreprise et je suis reparti humblement sur la route. J’ai enseigné. J’ai écrit. J’ai crapahuté dans des coins aussi perdus que magnifiques, de vie et de générosité d’âme, et j’ai surtout rencontré des femmes et hommes dont l’humanité, la personnalité et les passions m’ont marqué. Je me suis rendu compte à quel point, finalement, j’aimais les gens. On ne vit pas sans chaleur, sans communion de pensée et de projets, sans les autres ou contre les autres.

C’est fort de cette histoire que j’aborde le temps qui vient. Il y a tant de belles causes à rallier. Mes ultimes années professionnelles sont pour la planète, pour réussir la transition énergétique et écologique, sans sacrifier la croissance ni la justice sociale. J’aime ce que je fais, en Savoie, à Bruxelles, en Bretagne et ailleurs. Dans quelques jours, je partirai pour les Açores, imaginer et agir pour des îles laboratoires du monde décarboné de demain. C’est possible. Il faut y croire, ne jamais cesser d’inventer, d’innover, d’investir, de travailler et de convaincre. Le pire n’est probable que si l’on renonce. Il m’arrive de regretter ce temps où les réseaux sociaux n’existaient pas et que les prophètes de malheur et autres porte-paroles de la sinistrose étaient réduits à une vie groupusculaire. Aujourd’hui, ils ont un boulevard pour la désinformation et la haine de l’autre. Ils ont leur rond de serviette sur des chaînes de télévision abrutissantes et des réseaux planétaires devenus toxiques. L’avenir ne peut être cela. La connerie ambiante n’est pas fatale. C’est par l’exemple qu’il faut s’y attaquer, par les valeurs, par les projets, par les succès concrets et surtout partagés. Cette dimension de partage et d’inclusion m’est chère. Notre société n’est pas une somme d’individualités, elle est un destin commun qu’il nous faut faire vivre.

J’aime la liberté. Et la solidarité. Je n’oublie pas que je suis né le jour de l’élection de Lyndon Johnson à la Présidence des Etats-Unis. C’était il y a 60 ans, un grand mandat, des réformes pour tous les Américains. Aujourd’hui, une autre élection se tient. J’espère la victoire de Kamala Harris, d’abord pour la démocratie américaine. Que l’on puisse, comme le fait Donald Trump, menacer de saper les fondements de la constitution de son pays si le suffrage ne lui souriait pas est effrayant. J’ai peur pour nos démocraties, là-bas et chez nous. La violence verbale gangrène le débat public. Les insultes tiennent lieu d’arguments. Essentialiser un adversaire – le juif, l’arabe, le chrétien – devient normal. Le communautarisme prospère. Que reste-t-il donc de l’universalisme ? Je tiens à la République, à la laïcité et j’ai envie de me battre pour cela. L’Etat de droit, la démocratie, la liberté sont un héritage formidable qu’il faut protéger, développer et transmettre. Au regard des défis de nos sociétés et du monde, ce n’est pas de moins de démocratie dont nous avons besoin, mais de bien plus. En inventant des formes nouvelles d’échanges et de décisions collectives, en sécurisant nos processus électoraux contre les menaces étrangères et la pression des intérêts particuliers, en formant la jeunesse à la citoyenneté.

Tout cela, au fond, n’est guère sage. Ma vie de sexagénaire ne se voudra pas reposante, mais entreprenante. Et elle sera drôle aussi. Je revendique de rire et peut-être également de faire rire. Se marrer est recommandé. On ne vit pas longtemps sans joie. Et puis il y aura du sport. Un jour, je partirai grimper les cols mythiques du Tour de France à vélo. Je ferai le Tourmalet, le Ventoux, le Galibier, l’Izoard. Quand les enfants auront grandi, je prendrai le chemin de Saint-Jacques de Compostelle au départ de Vézelay et je leur raconterai tous les soirs mon aventure. Mais avant qu’ils ne grandissent de trop, nous retournerons ensemble en Amérique et la traverserons d’est en ouest, vers la Californie et mes souvenirs de jeunesse au bord du Pacifique. Peut-être bien aussi que nous irons voir les ours – ma secrète passion – au Canada ou dans les Carpates. Il y aura des grands matches de la Ligue des Champions dans des stades mythiques, des séjours émus sur les traces provençales de Pagnol, des tas de bouquins à lire et quelques-uns à écrire aussi. Avoir 60 ans, c’est avoir envie de tout cela et se préparer à l’accomplir. Et il y aura toujours ce petit blog sur lequel je continuerai de confier mon histoire, pour que la mémoire demeure, que vivent les idées et les rêves, et que l’avenir reste plus que jamais à écrire.

4 novembre 1966

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Ces séries que j’ai aimées

O sabor das margaridas, une série galicienne qui m’a passionné

Les longues semaines de confinement il y a bientôt 5 ans ont fait de moi un amateur de séries. J’avais mes livres – et j’en lis toujours beaucoup – mais j’avais besoin, pour tromper ces journées si particulières qui allaient marquer durablement le cours de nos vies, de voir de l’action, des images, des intrigues. Nous étions à résidence dans nos maisons, réduits à observer l’extérieur, à rêver d’y sortir sans crainte, et les séries étaient comme une bouée, une petite lucarne sur la vie soudainement devenue lointaine. Avant cela, j’avais regardé comme beaucoup quelques titres iconiques, parmi lesquels House of Cards et Borgen, sans cependant m’attacher au format ou au rendez-vous du soir, lorsque la maison s’endort et que le jingle de Netflix peut retentir presque mystérieusement. J’y suis venu de loin en loin, au fil de l’eau dira-t-on, captivé par une histoire ou des personnages, la force d’un scénario ou la puissance insoupçonnée de dialogues. Ainsi, sans en prendre réelle conscience, j’ai reporté peu à peu une part de mon besoin d’imaginaire sur le catalogue des plates-formes, là où le grand écran et les salles obscures avaient longtemps été inégalés. J’avais injustement l’idée que les séries étaient une création de moindre niveau et l’expérience, en vérité, m’a donné tort.

Toutes les séries ne sont certes pas géniales. Il y a pas mal de trucs décevants, voire nuls, mais j’ai vu des séries surprenantes qui m’ont réellement touché. Au mois de mai, j’avais écrit sur ce blog un petit post sur le moment que j’avais passé dans un bar tout simple de Madrid, lieu du tournage de la série Entrevias. J’avais adoré ma petite demi-heure devant un cafe solo, entouré d’habitués du quartier comme dans la série elle-même. J’avais eu envie de voir cet endroit qui m’était familier depuis mon salon à Bruxelles. J’ai l’impression aussi que cette découverte des séries m’a fait faire un tour d’Europe. Je fuis la violence et les scénarios par trop hollywoodiens. Cela m’a conduit vers des séries moins spectaculaires et tellement plus profondes en Finlande, en Suède, au Danemark, en Pologne, en Belgique, au Luxembourg, au Royaume-Uni, en Irlande et en Espagne, toujours regardées en version originale. Et au fond, de séries françaises, je n’en ai vu guère. Il y avait Marseille avec Depardieu et une autre, Le Chalet, que j’ai revue deux fois tant le scénario m’avait bluffé. Pourquoi la France est-elle moins profilée pour les séries que les pays scandinaves ou l’Espagne, par exemple ? Je ne le sais pas vraiment. A l’inverse, la création de certains pays ou de certaines régions comme la Galice m’impressionne.

On croise parfois dans les séries des actrices et acteurs venus du cinéma, mais la plupart des comédiens sont plus fréquents à la télévision. Je me souviens il y a quelques années qu’Alvaro Morte, l’interprète du personnage connu comme El Profesor, le cerveau de La Casa de Papel, ne faisait plus trois pas dans la rue sans déclencher des scènes d’hystérie collective. J’ai adoré La Casa de Papel. Je crois bien que je n’avais jamais vu un tel scénario et une mise en scène aussi impressionnante. Mais cette histoire m’a fait toucher du doigt aussi une interrogation à laquelle je n’ai pas de réponse : comment finir une série ? Les premiers moments de La Casa de Papel sur Antena 3 en Espagne n’avaient pas frappé l’opinion. Le succès national, puis planétaire n’est venu qu’après. Il fallait s’accrocher, se laisser emporter par une intrigue a priori incertaine. La série doit-elle être un filon que l’on exploite jusqu’à l’épuisement ? Je pense que non. La mort de Nairobi, puis celle de Tokyo dans La Casa de Papel ont choqué et peiné, comme si les scénaristes avaient fini par manquer d’idées et décider que pour durer, la violence devait nécessairement s’imposer ou le caractère des personnages changer du tout au tout, jusqu’à l’invraisemblance. Une série est tellement meilleure lorsqu’elle se termine sans suite ni retour.

C’est une ambiance, une atmosphère particulière que je recherche et que j’aime dans une série. Je pense au côté glacé et sombre de Deadwind, une série finlandaise qui m’avait captivé il y a un an ou deux. Ou à l’incertitude crispante qui règne dans Quicksand, une série suédoise adaptée du roman de Malin Persson Giolito, une amie de Bruxelles. J’ai besoin de me sentir pris, captivé par l’atmosphère. Peut-être est-ce là l’une des forces des séries. L’atmosphère s’y crée mieux par la longueur que dans un film. Un moment décisif peut aussi donner corps à une création. Il y a peu, j’allais abandonner la série espagnole La Sagrada Familia, que je trouvais poussive, lorsque deux scènes d’amour parallèles, inattendues et magnifiquement filmées sur la musique du tube Voyage, Voyage de Desireless m’ont maintenu devant l’écran et convaincu d’aller au bout. Ces 3 ou 4 minutes hallucinantes et surprenantes renversent un scénario improbable. Rien au fond ne doit être prévisible, ni des rythmes d’une histoire, ni de son déroulé. Et c’est peut-être là que les séries sont des créations encore jeunes, des champs entiers de réflexion à investiguer quant à l’art et la diversité des récits, les nombreuses manières de les faire vivre, la diversité formidable des styles, entre auteurs et scénaristes.

Ces sujets-là me passionnent. Notre monde est divers, nos sociétés sont diverses. Les séries doivent l’être aussi. Je suis depuis 5 ans l’un des administrateurs du Groupe Ouest, le laboratoire européen du récit pour la création audiovisuelle. J’adore cette aventure dans le monde de la fiction. Tout au bout de la Bretagne, sur la Côtes des Légendes, près de cet entrepôt d’échalotes rénové de Plounéour-Brignogan-Plages qui est notre repaire, souffle un vent d’aventure et d’imagination sans limite. Nous avons inscrit les séries dans la vie du Groupe Ouest, travaillant avec les meilleurs scénaristes d’Europe. L’art du récit et du scénario permet de toucher à des tas d’histoires et de sujets, en lien avec les mouvements de nos sociétés. Cela relève autant de la découverte des cultures qui font la richesse de l’Europe que des questions contemporaines touchant à la vie, à la liberté, à l’égalité, à la justice, à l’environnement et bien sûr aux belles et ravageuses passions de l’âme humaine. Je ne veux pas opposer le cinéma et les séries, j’ai besoin des deux. Il y a des histoires à écrire et à raconter qui peuvent emprunter bien des chemins. Il y a surtout tant à inventer. Le monde des séries est là pour durer, nous distraire, nous challenger et nous convaincre aussi.

Dans le désordre, mon top 20 des meilleures séries :

La Casa de Papel (Espagne)

Entrevias (Espagne)

O sabor das margaridas (Espagne / Galice)

Vivir sin permiso (Espagne)

Toy Boy (Espagne)

Deadwind (Finlande)

Quicksand (Suède)

Borgen (Danemark)

Bodkin (Irlande)

Capitani (Luxembourg)

Knokke off (Belgique / Flandre)

La Trêve (Belgique / Wallonie)

Le Chalet (France)

La Forêt (France)

Sans un mot (Pologne)

The Crown (Royaume-Uni)

The Queen’s Gambit (USA)

Unorthodox (USA)

House of Cards (USA)

The Perfect Couple (USA)

¿Quién mató a Sara? (Mexique)

Et la vidéo de cette scène de La Sagrada Familia que je trouve très belle :

https://www.facebook.com/watch/?v=1099755377346186

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