Il y a quelques semaines, peu de temps après avoir reçu un message de l’école européenne indiquant que le retour en classe de mes enfants n’interviendrait pas avant la rentrée de septembre, j’avais réservé une petite maison pour une semaine en Ardenne. Quitte à faire classe à distance, autant en effet le faire en pleine nature puisque les règles belges de déconfinement le permettraient désormais. Après presque trois mois de confinement à la maison, réduits à regarder le monde par la fenêtre ou du bout de notre petit jardin de ville, mes enfants éprouvaient un besoin éperdu de respirer, de courir au grand air, de jouer et de fuir ce quotidien difficile des mois écoulés. Cette semaine ardennaise était pour eux comme une perspective nouvelle, une bouée joyeuse à laquelle se raccrocher, la dernière étape avant « les grandes vacances ». Ils en parlaient avec tant d’entrain et d’espoir que je n’eus pas le cœur de l’annuler quand, à notre plus grande surprise, l’école européenne annonça que, finalement, la classe reprendrait au début juin. A vrai dire, leurs parents avaient envie comme eux de ce moment de pause en pleine chlorophylle aussi.
Le dépaysement et le bonheur ne requièrent pas de traverser la planète. L’Ardenne, c’est à une heure et demie de route de chez nous. Et c’est déjà un autre monde. Depuis mon premier contact avec la Belgique il y a 30 ans, c’est la région vers laquelle j’ai toujours aimé aller me ressourcer. J’aime ses forêts profondes et les formes douces de son relief, ces odeurs et couleurs de la campagne qui me rappellent tant de souvenirs de mon enfance dans le Finistère rural. Entre le pays de Spa et de Stoumont et les cantons de l’Est, là où l’on parle allemand, j’ai trouvé mon point d’attache belge. Je m’y suis souvent aventuré pour de longues randonnées pédestres, terminant même un jour en Allemagne en raison d’une carte approximative. Et j’y viens aussi à chaque printemps user mes vieux mollets sur les côtes pentues de Liège-Bastogne-Liège, à moins d’emprunter la Vennbahn, cette piste cyclable de plus de 100 km en pleine campagne, construite sur les traces d’une voie de chemin de fer qui reliait le Luxembourg à l’Allemagne jusqu’au milieu du siècle écoulé. L’Ardenne est un petit paradis, un lieu calme, profond et inspirant, tellement loin du monde des villes.
J’ai eu envie de partager cela avec mes enfants. Depuis notre arrivée et pour quelques jours encore, je les vois s’émerveiller du chant des oiseaux, observer la chenille qui passe, l’imaginer devenir papillon demain, nourrir les moutons voisins. Sur la Vennbahn hier, entre Born et Saint-Vith, ils ont eux-mêmes marqué l’arrêt pour écouter, recueillis, un sublime et inédit concert de grenouilles au milieu de nulle part. Ce sont de petits citadins là où j’étais à leur âge plutôt un garçonnet des champs. Leurs réactions et questions me font sourire. Ce soir, c’était sur le bélier et son éminent rôle dans le troupeau de moutons. J’ai du bonheur à leur parler des fleurs sauvages et des animaux de la campagne, des cabanes que je construisais et de tous ces souvenirs lointains que je dois leur transmettre. Voir courir mes enfants sur les chemins de l’Ardenne me touche. J’ai entendu ces jours-ci des rires et des timbres de voix que les semaines et mois écoulés avaient fini par réduire. Le plaisir était toujours là, il ne demandait juste qu’à s’exprimer enfin. C’est dans cette redécouverte de leurs joies et de leurs jeux que j’ai mesuré combien le confinement avait été une épreuve pour eux.
En cette mi-juin, nous allons vers les beaux jours. Ici en Ardenne, les fleurs, les fruits et les couleurs nous le rappellent. La chaleur, le soleil, la vie, nous en avons besoin. Nous traversons une année particulière, redoutable et rude. L’on voudrait imaginer que les beaux jours soient aussi les jours heureux. La vérité est que c’est improbable. Certes, la pandémie recule, mais elle n’est pas éradiquée et nous devrons apprendre à vivre différemment du monde d’avant aussi longtemps qu’un vaccin ne sera pas disponible. Surtout, la crise économique et sociale consécutive à la crise sanitaire risque de heurter nos sociétés de plein fouet à l’issue de l’été. Beaucoup d’entreprises ne survivront pas, en particulier les petites. Des centaines de milliers de personnes connaîtront le chômage. J’ai l’impression d’un temps suspendu, d’un calme trompeur avant l’orage, quand tout devient un peu irréel parce que le péril est à venir et que chacun le sait. Il y a l’envie irrésistible de profiter de ces beaux jours – il le faut – et le besoin aussi de se préparer à ce qui vient. Nous nous souviendrons de ce printemps 2020, de ce moment de bascule d’un monde à l’autre car demain devra être différent.
Je suis devenu père sur le tard après une vie d’entreprise, puis une vie politique. J’ai longtemps couru sans prendre le temps de me poser. Les circonstances ont fait que ce temps est venu. Depuis trois ans, c’est auprès de mes enfants et pour eux que j’ai vécu. Rien n’est plus beau que de les voir grandir. Le quotidien d’un père au foyer est sans doute de se soucier à chaque instant, de glisser de la préoccupation du moment aux plus lointaines perspectives d’avenir, pour les redouter un peu et s’en réjouir beaucoup aussi. Les jours heureux que je souhaite pour mes enfants ne seront pas différents des jours heureux pour tous. La société n’est pas une collection d’individus et d’égoïsmes. Elle requiert un destin commun dans lequel chacun doit trouver sa place. Le monde ne peut vivre sur un fil, au-dessus d’un abyme, sans solidarité. Si la pandémie et la crise économique et sociale qui arrive doivent nous apprendre quelque chose, c’est l’immense fragilité de notre planète. Il y a tant à apprendre en effet de la période que nous traversons pour vouloir changer les choses, protéger la vie et la Terre, construire un avenir dont les petits bonheurs comme ceux de l’Ardenne seront les meilleures boussoles.
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L’écologie par la preuve
En ces premiers jours de l’été, les températures au nord du cercle polaire arctique approchent les 40 degrés. Cette situation est inédite et pleine de périls. Comme l’est la crise économique et sociale à venir, consécutive à la pandémie de Covid-19. La France verra son PIB reculer de 12% en 2020 par rapport à 2019 et près d’un million de chômeurs supplémentaires rejoindront Pôle Emploi à la fin de cette année. Pour faire face au marasme, le gouvernement prépare un plan de relance économique massif. L’Union européenne a mis sur la table des sommes gigantesques et inégalées. S’il n’existait pas d’argent « magique » il y a quelques mois, il y en a désormais beaucoup et c’est très bien tant ce qui nous attend est redoutable : l’aggravation du dérèglement climatique et une récession économique sans précédent. Dans l’adversité, une opportunité, qu’il faut prendre comme une chance, se détache cependant : la mise à profit de la relance française et européenne pour placer la transition écologique décisivement au centre de la reconstruction de l’économie et de sa résilience.
Tant en effet se joue maintenant. A l’échelle d’une vie, le recul de la biodiversité est tristement visible et les ravages causés à la nature sont souvent irrémédiables. J’ai un peu plus de 50 ans et je mesure combien certaines réalités de mon enfance, comme le retour au printemps des oiseaux des champs, ne le sont plus autant. Je me surprends à m’émerveiller de choses toutes simples, comme le vol gracieux d’un papillon, si commun pourtant. La perte de la biodiversité émeut de plus en plus de citoyens. Elle les bouleverse et les révolte parfois aussi. Car la crise climatique et les atteintes à la nature se conjuguent avec une explosion insupportable des inégalités, des injustices et des souffrances sociales. Il y a dans nos sociétés une progression des peurs, un climat irrésistiblement anxiogène qu’il serait vain de nier ou de regarder de haut. Il faut vouloir y répondre par les actes, pas par les discours. Manier les mots est un exercice facile. Faire des choix structurants, les financer et aller chercher les résultats, c’est tout l’inverse. C’est pourtant ce qu’il faut : l’écologie par la preuve.
Il n’est plus temps de se payer de mots. L’incantation est un travers et une posture confortable. L’écologie n’appartient à personne, elle est l’expression et la volonté d’agir de tous ceux qui ont en partage une sensibilité à la nature, à sa beauté et sa fragilité. A l’utopie, lorsque l’horloge tourne, il faut préférer le concret. J’ai trouvé remarquable le travail accompli ces derniers mois par la convention citoyenne sur le climat. Un diagnostic a été posé et, sur cette base, plus de 150 propositions précises, tangibles et réelles ont été développées avec un objectif : réduire de 40% les émissions de gaz à effet de serre d’ici à 2030 dans un souci de justice sociale. La France n’a pas la culture de la démocratie participative. C’est un tort. Dans la vie parlementaire qui fut mienne, la participation citoyenne était souvent regardée avec méfiance, si ce n’est même hostilité. Or, la démocratie participative est un aiguillon décisif de la démocratie représentative, plus encore lorsque la vie parlementaire s’écarte des attentes de la société, prisonnière des jeux partisans.
La contribution de la convention citoyenne appelle du Président de la République une réponse à la hauteur des attentes des conventionnels. Un tiers des 150 propositions ont été rédigées de telle manière qu’elles pourraient dès à présent intégrer un projet de loi, de décret ou d’arrêté. J’aime l’idée d’une obligation de rénovation thermique des bâtiments et d’un soutien aux ménages les plus modestes pour y parvenir, celle d’introduire deux repas végétariens par semaine à l’école, celle aussi de mobiliser la commande publique pour développer les circuits courts. Le Président de la République avait promis une reprise sans filtre des propositions de la convention ? Chiche, allons-y. Rien ne serait plus terrible que de décevoir. J’ai le souvenir du Grenelle de l’environnement, que j’avais suivi en son temps comme acteur de l’énergie solaire. Nous avions démarré tout feu tout flamme, avant d’entendre Nicolas Sarkozy fermer le ban un an après au motif que « l’environnement, cela commence à bien faire ». Et la sortie de la crise de 2008 s’était traduite par un pic d’émissions de gaz à effet de serre…
Cette époque est révolue. L’opinion publique a profondément changé. Il n’y a plus de place ni de tolérance pour la duplicité et les espoirs déçus. Faut-il entendre la recommandation de la convention citoyenne d’organiser un référendum pour inscrire dans la Constitution que les droits, libertés et principes consacrés par son préambule ne sauraient compromettre la préservation de l’environnement et ajouter à la charge de la République le devoir de protéger la biodiversité et lutter contre le dérèglement climatique ? Tout à fait. Ceci ancrera le devoir d’action publique environnementale dans notre loi fondamentale, lui donnant ainsi une légitimité et exigence supplémentaire. Il faut poser un acte fort qui fonde juridiquement et politiquement les choix à venir. D’autant que la convention n’a pas tout traité, en particulier l’avenir de la taxe carbone. Comme elle est restée également trop en dedans sur le financement des mesures proposées. C’est à la démocratie parlementaire de prendre le relais avec la même volonté et une ambition équivalente.
Il est grand temps d’oser, de construire l’écologie concrète, de bâtir les consensus derrière les décisions d’avenir, y compris les plus engageantes ou révolutionnaires. De faire confiance à l’industrie et à la recherche pour inventer les technologies de rupture. L’écologie et l’économie vont de pair. Et la finance aussi. Des changements majeurs de comportement contribueront à la transition écologique et nous les saurons les intégrer dans nos vies de citoyens, de consommateurs ou de voyageurs. Mais la transition écologique ne se fera pas non plus sans ou contre l’entreprise, qui en est un acteur-clé. L’écologie est une cause qui doit rassembler. Là est certainement aussi l’une des leçons de la convention citoyenne, du temps pris par ces 150 citoyens tirés au sort pour auditionner qui ils souhaitaient, se nourrir librement d’idées et de réflexions sans a priori ni pressions et pour construire des majorités solides derrière chacune de leurs propositions. C’est d’une méthode autant que de courage dont il est besoin pour faire l’écologie par la preuve, bâtir le progrès et changer le monde.
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