Aujourd’hui s’ouvre à l’Assemblée nationale un débat sur l’immigration. Il fait l’objet de toutes les attentions et, malheureusement, de tous les fantasmes aussi. Comme toujours en effet, lorsqu’il est question d’immigration, les esprits s’échauffent et mille calculs sont prêtés aux uns et aux autres, au point que la posture l’emporte immanquablement sur le fond. Que dire, sinon que c’est profondément regrettable. Il y a besoin en France de parler d’immigration sereinement, loin de toutes les peurs sincères ou subies. Et cela commence par un rappel : notre pays est une terre d’immigration (et l’Europe aussi, d’ailleurs). C’est comme cela, cela ne date pas d’aujourd’hui, d’hier ou d’avant-hier, mais simplement de tout temps. La question migratoire inquiète, chaque enquête d’opinion le montre. A cette inquiétude, il faut vouloir répondre, loin de toute instrumentalisation ou démagogie, par des faits, des chiffres, des perspectives, des convictions, des règles de droit et des principes.
J’aurais aimé être dans l’Hémicycle aujourd’hui pour livrer ma part de vérité. Non qu’elle soit plus importante que d’autres, mais parce que cette question me tient à cœur. Le travail que je conduis sur les diasporas européennes est intimement lié à la question migratoire. Des images de ma vie parlementaire passée m’assaillent aussi. Je me souviens d’une triste fin de jour à Calais à l’automne 2014, sous une pluie fine et pénétrante, face aux centaines de tentes occupées par des hommes et des femmes, mais, en y regardant bien, des nourrissons également. Je me souviens du regard vide et perdu des enfants sur la route des Balkans, à la frontière entre la Macédoine du nord et la Serbie, au début 2016. Et je me souviens, quelques jours après, de la véhémence d’un collègue, ancien Ministre, s’en prenant aux députés allemands dans l’enceinte du Bundestag au motif que la Chancelière n’avait pas fermé sa frontière et qu’elle avait osé dire : « wir schaffen das ».
Le sujet de l’immigration mérite un échange apaisé. C’est peut-être une gageure à ce stade, mais rien n’interdit – et c’est le mérite du débat d’aujourd’hui – de s’y essayer car il le faut. En combattant les slogans rances et parfois contagieux de l’extrême-droite (« la France aux Français », « les immigrés dehors »), en rejetant aussi la fausse naïveté des no borders. Maîtriser les flux migratoires est une responsabilité nécessaire, un devoir, non pas pour être dur, mais bien à l’inverse par souci d’humanité et de justice. Qui peut en effet se satisfaire de ces campements insalubres dans nos grandes villes, où se massent hommes, femmes et enfants dans des conditions d’hygiène et d’indignité qui font honte à la République ? Comment accepter que le droit de séjour soit si mal appliqué et que se multiplient, se pérennisent même, les situations irrégulières, créant le péril pour tant et tant de familles, alimentant l’incompréhension pour une majorité de Français ?
Ce sont autant de questions à soulever, parmi d’autres, sans tabou ni totem. La France devient le premier pays d’Europe pour les demandes d’asile. Certes, mais n’est-ce pas l’un des plus riches et peuplés et le plus vaste aussi ? L’Allocation pour demandeur d’asile et l’Aide médicale d’Etat créent-elles une « attractivité » française ? Peut-être, mais ne sont-elles pas fondées au regard de nos engagements internationaux (protection du droit d’asile) et de ces principes d’humanité dont nous devons être fiers, qui commandent que toute personne, fut-elle en situation irrégulière, doive pouvoir être soignée ? La difficulté n’est-elle pas d’abord la lenteur coupable des instructions ? Pourquoi l’accueil des étrangers se fait-il dans de si piètres conditions, au prix d’un écart béant entre la loi, ses objectifs et la réalité ? Pourquoi ceux qui doivent être protégés le sont-ils en définitive si peu ? Et pourquoi enfin la reconduite de ceux à qui le séjour a été refusé est-elle défaillante ?
Toutes ces questions doivent obtenir réponse. A l’échelle européenne, la réforme des accords de Dublin est urgente, pour éviter la multiplication des demandes d’asile dans plusieurs pays, pour venir en aide aux pays européens riverains de la Méditerranée aussi et ne pas les laisser seuls face à la difficulté comme cela a pu être le cas, reconnaissons-le, en Italie et en Grèce. Il faut être bien plus exigeant que nous ne le sommes avec les pays considérés comme sûrs, dont certains sont d’ailleurs candidats à l’adhésion à l’Union européenne, en leur indiquant qu’entrer dans l’Union européenne ne se fera pas sans résultats sur ce front-là. Il faut combattre les filières d’immigration clandestine, qui prospèrent telles de véritables mafias sur la misère humaine. Il faut renouer le lien avec les ONG, les respecter et les traiter comme les partenaires qu’elles sont. Enfin, il faut penser, construire et mettre en œuvre une politique de développement, de paix et justice avec l’Afrique et le Moyen-Orient.
En ces temps où le droit d’asile est battu en brèche dans le débat public, il faut en rappeler l’intangibilité absolue, la valeur constitutionnelle et oser le défendre sans détour. C’est la meilleure réponse au discours de haine et à la tentation xénophobe. Les périls évoluent et je voudrais imaginer que les conventions internationales sur l’asile s’ouvrent aux réfugiés climatiques. Ce serait l’honneur de la France, dans le droit fil de l’accord de Paris de décembre 2015, de prendre une initiative en ce sens et d’y donner sens dès à présent sur son territoire. Il serait utile aussi d’aborder de front l’organisation des migrations économiques, en lien avec les perspectives de l’économie française et du marché du travail. Enfin, dans le respect des engagements internationaux et européens de la France, la reconduite des personnes à qui le droit de séjour a été refusé doit être organisée et concrètement réalisée, avec un souci de dignité, d’humanité et de fermeté.
Puisse le débat d’aujourd’hui à l’Assemblée nationale être utile et dépasser les clichés et postures. Ce qui se joue est le vivre-ensemble et l’avenir de la société française. Ce débat doit apaiser et rassembler. J’ai la conviction que c’est possible, que la confiance et la sérénité pourront peu à peu l’emporter sur l’émotion et les peurs. Pourquoi ne pas institutionnaliser un débat annuel sur la question migratoire, qui parle d’immigration, d’émigration aussi et, j’y reviens, de diasporas ? Parler, confronter les idées et projets, c’est ce qu’il faut opposer aux populismes, à tous les bateleurs d’estrade et autres messagers de haine plutôt que de les craindre au point de les fuir ou, pire, de laisser infuser de guerre lasse leur rhétorique mortifère dans la société. Assumons ce que nous sommes, un peuple épris de paix et de liberté, respectueux du droit et des droits, conscient et fier que les migrations aient contribué à l’histoire de la France, conscient et fier qu’elles fassent partie aussi de son avenir.
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Où va l’Amérique ?
J’aime profondément les Etats-Unis. J’ai eu la chance d’y vivre deux belles années au sortir des études. Je garde de cette vie californienne un souvenir heureux et fondateur. J’y ai tant appris. Je sais aussi ce que la France, mon pays, et l’Europe doivent au peuple américain: leur liberté. Les plages et les cimetières de Normandie le rappellent. Sur le chemin de la Bretagne, ma région natale, je m’y arrête parfois. J’en ai besoin. Dans le silence de Colleville-sur-Mer, face à la Manche, est écrite pour l’éternité la force du lien entre la France et les Etats-Unis. Cette histoire de sacrifice et de sang mêlé, lorsque le monde s’en allait vers l’abîme, est imprescriptible. C’est pour tout cela que les Etats-Unis ne seront jamais pour moi un pays comme les autres, encore moins un pays lointain ou, pire, un pays hostile. Un jour, lorsqu’ils seront un peu plus grands, j’emmènerai mes enfants sur les routes américaines, à la découverte de ces espaces uniques, d’une société diverse et fascinante, pour transmettre cette reconnaissance que je ressens.
C’est certainement parce que j’aime l’Amérique que la situation présente à Washington me peine (et le mot est faible). L’histoire politique américaine s’est structurée autour de l’alternance entre démocrates et républicains. Si j’étais citoyen américain, je serais un électeur démocrate. Mais je n’ignore rien de l’apport déterminant des républicains à l’histoire de leur pays. Il fut une période où j’avalais les biographies et livres d’histoire achetés à Barnes & Noble. Il m’en reste une belle collection. C’était la période BC (pas « before Christ », mais « before children »), lorsque, voyageant vers les deux côtes pour le travail, je trouvais le temps de visiter un musée (National Museum of American History à Washington) ou une librairie présidentielle (Reagan à Simi Valley, Kennedy à Boston). J’apprenais aussi au contact de mes amis américains, démocrates et républicains. Aujourd’hui, je me demande avec effarement ce qu’il reste du parti d’Abraham Lincoln, mais aussi de Ronald Reagan ou de George H. W. Bush au regard de ce qu’est devenue la présidence de Donald Trump.
Le chaos, la fureur, les insultes et l’usage compulsif de Twitter comme mode de gouvernance sont la marque de cette présidence. Sans doute avais-je fini, comme bien d’autres, par m’y habituer. Je n’attendais cependant pas le degré absolu de cynisme révélé par l’abandon soudain des Kurdes après leur combat courageux, héroïque et décisif pour nous (et donc aussi pour les Etats-Unis) contre l’organisation Etat islamique. Je ne pensais pas que l’ingratitude et l’égoïsme puissent atteindre pareil niveau et que Donald Trump, tout à ses obsessions et à son idée de « America first », sacrifie non seulement les populations kurdes, désormais livrées à l’offensive turque, mais aussi les idéaux et la morale de l’Amérique. Car l’annonce du retrait unilatéral des forces américaines du nord-est de la Syrie n’est simplement pas digne de l’histoire américaine et des valeurs qui l’ont faite telles la confiance, le sens de la parole et l’honneur. Le retrait américain ouvre la voie à la Russie et à l’Iran, remet en selle Bashar al-Assad et redonne une chance, malgré ses défaites, à l’organisation Etat islamique. C’est un désastre et c’est une faute.
Hier soir, regardant CNN, j’ai suivi la conférence de presse improvisée par les leaders démocrates du Congrès au sortir – prématuré – d’une réunion à l’évidence vitaminée avec Donald Trump à la Maison Blanche sur la situation dans le nord-est de la Syrie. Quelques propos bien sentis avaient, semble-t-il, été échangés à l’occasion de cette rencontre et il était même question en conclusion de prier pour la santé mentale du Président… Où va-t-on? Au même moment, la Chambre des représentants, par un vote remarquablement bipartisan, condamnait à une très large majorité la décision présidentielle de retrait des troupes de Syrie. Rien n’y fait cependant. Donald Trump, dans une folle fuite en avant, trace son chemin, s’affranchissant de tous les conseils, de toutes les oppositions, de toutes les règles constitutionnelles de son pays pour livrer, halluciné et obsessif, sa bataille présidentielle, dans la haine et l’hystérie, tentant même de corrompre un chef d’Etat étranger pour qu’il enquête sur l’un de ses adversaires politiques.
L’Amérique, ce n’est pas cela. C’est même tout l’inverse. C’est une grande nation démocratique. C’est un pays de droit. Et c’est un pays où la morale a un sens. Certes, l’impeachment ne passera pas l’obstacle du Sénat. Trop près des élections et des réflexes partisans, même si la démocratie américaine est sacrément et sans doute aussi durablement secouée. Qu’espérer, que souhaiter ? Que l’Amérique redevienne l’Amérique et que le peuple américain tourne la page en novembre 2020. Pour lui, et aussi pour nous, du côté européen de l’Atlantique. Que Donald Trump, malheureusement sans challenger dans les rangs républicains, trouve sur sa route un candidat ou une candidate démocrate qui puisse rassembler une large majorité d’électeurs et de grands électeurs au-delà des logiques partisanes. C’est nécessaire. Je veux y croire. Il y a tant de défis dans le monde, à commencer par ceux de la paix et du climat, qui requièrent le retour de l’Amérique. Comme pour donner un tout autre sens à ce slogan : « Make America great again ».
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