C’est le dernier week-end de la Coupe du Monde féminine de football. Demain soir, la Suède et l’Angleterre s’affronteront à Nice pour la petite finale, celle de la troisième place. Et dimanche à Lyon, la finale entre les USA, championnes du monde sortantes, et les Pays-Bas, championnes d’Europe, sera à coup sûr somptueuse. J’ai adoré ce mois de compétition en France. Je me suis pris au jeu, suivant presque tous les matches et emmenant un dimanche mes enfants par surprise au Stade du Hainaut à Valenciennes pour y voir un très beau Italie-Australie. Je leur avais dit, pieux mensonge pour ménager l’effet, que nous allions faire une petite promenade le long d’un canal du côté de la frontière franco-belge. Leur bonheur en arrivant à Valenciennes, puis durant tout le match m’avait touché. Ils étaient émerveillés. C’était leur première sortie dans un grand stade de foot. Et c’était pour un match féminin. J’espère qu’ils s’en souviendront.
Moi, je me souviendrai de cette Coupe du Monde. De la joie dans les stades, des supporters, de celles et ceux qui ont tant donné pour faire de ce moment une grande compétition. Et bien sûr aussi des superbes équipes qui y ont participé. A vrai dire, et ce n’est pas une coquetterie à quelques heures du dénouement, j’en arrive même à redouter l’après-Coupe du Monde. Je ne sais si je pourrai retourner avec la même passion au foot masculin. Pourquoi ? Parce que s’est exprimé un football généreux, engagé, altruiste, sans trucage ni simulation ni violence (ou presque). Dans cette Coupe du Monde, il n’y a eu aucune version féminine de Neymar plongeant dans toutes les surfaces de réparation à la recherche désespérée d’un pénalty ou se tordant de douleur pour des fautes imaginaires. J’ai eu l’impression de retrouver un football oublié, simple et juste, celui que j’avais appris petit lorsque, poussin au Stade Quimpérois, mon premier entraineur était … une footballeuse.
J’aurais aimé que la France gagne. Les Bleues de Corinne Diacre ont donné beaucoup de joie à des millions de supporters. Elles ne soulèveront pas la Coupe dimanche soir, mais elles auront, comme cela a déjà été dit, gagné le cœur des français. Comme mes enfants, j’ai adoré Wendie Renard, ses buts, son courage et aussi sa sagesse dans et en dehors du terrain. Les matins de match, ma question pour eux était toujours : «qui va marquer ce soir ?». Et leur réponse était invariablement : «Renard». J’ai aimé les dribbles, l’énergie et les courses d’Amel Majri. Et j’ai vibré pour les exploits de Megan Rapinoe, les buts d’Alex Morgan, les arrêts hallucinants de Sari van Veenendaal dans la cage néerlandaise ou la fulgurance d’Ellen White à la pointe de l’attaque anglaise. Sans oublier l’immense classe et les larmes bouleversantes de Marta au soir de l’élimination brésilienne. Nous avons vu du beau football et il est à parier que la formidable demi-finale entre les USA et l’Angleterre de mardi dernier restera dans les annales du jeu.
Dimanche soir, mon cœur d’Européen sera avec les Pays-Bas. Mais il y a aussi quelque chose en moi qui attend un but d’anthologie de Megan Rapinoe, histoire d’écrire un peu plus la légende. Viendra l’été, puis la reprise. J’espère que ces semaines de bonheur partagé par des millions de téléspectateurs conduiront davantage d’entre eux dans les stades de foot pour les matches féminins. Pour y assister et, mieux encore, pour y jouer. Car il faut plus de licenciées, c’est la clé des succès à venir. Et plus de budget, plus de retransmissions, plus de droits télévisés. L’économie du foot féminin doit croître avec l’effet Coupe du Monde, les salaires des joueuses aussi (pour réduire les écarts insensés avec les joueurs). J’irai au stade, dûment accompagné, car la question m’a été posée, pressante, depuis l’élimination française : «Papa, c’est quand qu’on verra Renard ?». Ce sera à Lyon, là où elle joue, ou pas loin de chez nous si la Champion’s League nous amène l’OL et ses championnes d’Europe. On n’a pas fini de vibrer.
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Le Tour de France est ma madeleine de Proust
Hier, le Tour de France s’est élancé de Bruxelles. Je suis allé le voir passer près du plan incliné de Ronquières, au bord du canal de Bruxelles-Charleroi, l’une de mes sorties à vélo préférées entre Brabant et Hainaut. J’adore le Tour de France. Je me demande même ce que ma vie aurait été sans lui. Sans doute est-ce un peu étrange d’écrire cela, mais le Tour de France a pour moi cette part de magie que possède Noël. C’est de l’ordre de l’émerveillement et du mystère. A part que Noël dure une journée et que le Tour – bonheur ultime – dure 3 semaines ! Je ne sais à quoi cela tient. A beaucoup de choses sans doute. Aux récits passionnés de mon père et de ma grand-mère, contant les exploits des champions des années 1950, lorsque la télévision était balbutiante et que la légende s’écrivait autour d’un poste de radio. A mes propres émotions sur le bord des routes, petit enfant voyant passer, des étoiles plein les yeux, ces Merckx, Thévenet et Ocana que je regardais, pétri d’admiration, sur les photos en papier glacé des numéros du Miroir du Cyclisme empilés dans le salon de coiffure de village de ma grand-mère. Et enfin à ma passion pour le peuple du vélo, les gens qui pédalent, les gens qui se donnent rendez-vous au coin des chemins pour vibrer au rythme des courses, un monde populaire, un monde joyeux et simple, un monde dont je suis.
Est-ce le Tour qui annonce l’été ou l’été qui annonce le Tour ? Je pense que c’est les deux. Aussi longtemps que je puisse me souvenir, le Tour a pour moi les couleurs des beaux jours, l’odeur des foins et ce sentiment fugace de liberté que procurait la fin des classes. L’école s’éloignait, le Tour arrivait. Je découpais la carte des étapes et la liste des engagés dans le journal et les collais sur la porte de notre caravane. L’été pouvait commencer et les vacances avec lui. Chaque jour, je dévorais Le Télégramme de Brest et Ouest-France, les deux quotidiens bretons, à la recherche des anecdotes et de tous les classements. C’est le Tour qui m’a appris la géographie des cols des montagnes françaises. Jusqu’à leur altitude (et leur catégorie). Toutes les heures, sur un transistor grésillant, j’attendais le flash d’information donnant les nouvelles de «la route du Tour», sponsorisées par «Urgo est plein de trous». Car les directs somptueux d’aujourd’hui à la télévision n’existaient pas. La prise d’antenne n’intervenait au mieux qu’à une ou deux heures de l’arrivée. Je prenais mon mal en patience. J’écoutais les récits homériques des radio-reporters racontant l’ascension d’une modeste côte de 4ème catégorie comme s’il s’était agi de l’Izoard ou du Tourmalet. Puis je filais avec mon père sur ma petite reine partager les images de l’arrivée chez un vieil oncle que j’adorais et dont le vélo, aussi, était toute la vie.
Tout cela a un irrésistible parfum d’enfance. Le Tour est ma madeleine de Proust. J’étais fasciné par les maillots colorés de mes champions, l’orange et le noir de Molteni et de Merckx, le bleu dégradé de Gan-Mercier et de Poulidor, l’orange de Bic et d’Ocana, le bleu clair de la Bianchi et de Gimondi, le damier noir et blanc de Peugeot et de Thévenet. Et bien sûr le jaune de celui qui, dominant les montagnes et les plaines, irait cueillir la victoire à Paris en fin de mois de juillet. J’ai au fond de mon armoire un maillot jaune, un vrai. Il m’a été offert en juin 2014 par le patron du Tour de France, Christian Prudhomme, à l’occasion d’une course de professionnels organisée à Sarajevo. J’avais fait une quinzaine de kilomètres dans le peloton avec les pros, recouvert de cette tunique. Il y avait aussi Jean-Yves Le Drian, vêtu de jaune également, et l’Ambassadeur de France, champion de France militaire de cyclisme. J’en garde un souvenir ébloui. Pourtant, je n’ai plus jamais osé remettre mon maillot depuis. Car le jaune est l’expression d’épopées formidables, insensées, mythiques … que je n’ai jamais accomplies. Le porter serait de l’ordre du blasphème. Le regarder suffit à mon bonheur. Durant mon mandat de député, j’ai rencontré Bernard Thévenet. Nous avions parlé de ses exploits. J’étais émerveillé. Quelque temps après, je m’étais retrouvé assis près d’Eddy Merckx dans un aéroport. Je crevais d’envie de lui dire mon admiration. Je n’avais pas osé.
Le Tour, c’est tout cela, c’est un truc que l’on attrape petit et qui ne s’en va plus, c’est une passion pour la vie. Le temps a passé. Mon père n’est plus là. Il me manque. Aujourd’hui encore, je ne peux vivre une étape du Tour sans penser à lui, à ce qu’il dirait, au bonheur que ces moments lui procureraient, aux échanges que nous aurions sûrement. Pourquoi untel n’attaque donc pas maintenant ? Attention aux virages ! Mais qu’est-ce que c’est que cette course d’équipe ! Mon père aimait les courses instinctives, les coureurs qui mêlaient le talent et la générosité, les types qui pédalaient sans trop calculer, en un mot les champions populaires. Moi aussi. Il empilait des tas de magazines, notait les temps de passage lors des contre-la-montre dans la marge de ses journaux et faisait ses propres pointages chronométriques à partir des images de la télévision. Je ne suis pas loin de cela également. Le cyclisme contemporain est sans doute plus rationnel, plus scientifique, plus inquiétant aussi (le dopage a fait tant de mal au vélo), mais la passion reste la plus forte. La magie du Tour également. Du bonheur pour 3 semaines, le plus grand évènement sportif gratuit du monde. Le Tour est un partage. Et un brassage aussi. Suivre le Tour, c’est faire société. Hier, sur le passage des champions, il faisait beau. Le soleil brillait. L’été est là. Le Tour peut commencer.
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