Il y a deux semaines, j’ai accompagné mon fils de 12 ans pour une expérience à laquelle il rêvait depuis des mois : découvrir le pilotage d’un avion dans un simulateur de vol. C’était son cadeau d’anniversaire. Il était tellement heureux. Mon fils aime voler. Il aime le monde des avions, la liberté au-dessus des nuages, l’attention aux passagers. D’où lui vient cette passion ? Sans doute des voyages que nous avons effectués depuis la Belgique, où il est né et où nous vivons, vers notre famille espagnole et les grands-parents, en Galice et en Andalousie. L’avion a toujours eu pour lui un goût de bonheur parce qu’il annonce les vacances et les retrouvailles familiales. Il m’a expliqué qu’il aimerait être pilote de ligne. Je lui souhaite d’aller au bout de son rêve. Lorsque j’avais son âge, il y avait à la télévision une petite série, on appelait cela alors un feuilleton, qui s’appelait Les Faucheurs de marguerites. Cette série racontait les premiers moments de l’aviation par l’aventure et les espoirs de quelques jeunes héros. Je la lui ai racontée. Pour moi qui ne prenais jamais l’avion, suivre ce feuilleton fut vraiment fascinant. J’ai expliqué à Marcos que je ne suis monté dans un avion pour la première fois qu’à l’âge de 20 ans. L’époque n’était pas la même et ma vie n’était pas non plus comme la sienne.
Il est important de rêver, de pousser loin les limites de l’imaginaire, de vivre une vocation, de la réaliser. Aujourd’hui, voler n’a plus la même aura. C’est même mal vu. Je me souviens de la phrase de la maire de Poitiers, Léonore Moncond’huy, selon laquelle « l’avion ne doit plus faire partie des rêves d’enfants aujourd’hui ». C’était en 2021. Cette phrase m’avait choqué tant elle était empreinte d’une leçon de morale assénée sans la moindre nuance à des petits à qui il était enjoint de ne plus rêver. Demain pourtant, il y aura encore des avions. Personne n’ignore l’obligation de décarbonation qui s’impose à nous. J’ai suffisamment travaillé le sujet climatique ces dernières années pour le savoir et j’en parle souvent avec mes enfants. Ils sont conscients des limites de notre planète, de ce qu’il faut changer pour la sauver, et que cela passe notamment par la réduction de l’empreinte écologique de l’aviation. Mais cela ne veut pas dire proscrire l’avion, pointer du doigt celles et ceux qui l’empruntent, celles et ceux qui s’y consacrent professionnellement, en particulier pour inventer l’avion d’après. On ne peut interdire de rêver, de trouver comme d’autres générations inspiration dans la lecture d’Antoine de Saint-Exupéry et de Vol de nuit, en un mot de vouloir y croire.
L’époque que nous vivons est pleine d’injonctions, de propos péremptoires, de jugements sentencieux et définitifs. On en crève. Et si l’on commençait par faire confiance à la conscience de chacun, au sens de la responsabilité dont nous pouvons tous, individuellement, faire preuve ? On doit voyager mieux. Il y a quelques jours, j’ai remonté mes souvenirs pour lister les aéroports vers lesquels j’ai volé. J’ai remis la liste à mes enfants, que cela intriguait car c’était ma vie d’avant eux : 165 aéroports sur tous les continents. Ces voyages, dans leur immense majorité, étaient professionnels. Comme député, entre 2012 et 2017, j’avais émis par mes déplacements 163 tonnes de CO2, dont 150 tonnes en avion. A l’évidence, il faut faire mieux, et en l’occurrence moins. C’est possible. Si les facilités de visioconférence d’aujourd’hui avaient été disponibles alors, une bonne moitié de ces voyages aurait été inutile. Désormais, je me déplace moins et lorsque je le fais, c’est le plus souvent en train. Cependant, il y a des déplacements en avion auxquels je ne peux renoncer, pour des réunions importantes, pour des destinations lointaines vers un autre continent ou de l’autre côté de la mer. Et pour voir nos familles, parce que ces moments sont précieux dans une vie et que le temps ne s’arrête pas.
Nous vivons en Belgique. A Bruxelles, nous n’avons personne. Les grands-parents sont en Espagne et en France. Je dénie à qui que ce soit le droit de nous juger parce que nous prenons l’avion pour aller les voir de l’autre côté des Pyrénées. Et qu’ils prennent, eux aussi, l’avion pour venir nous voir en retour. Il y a des tas de familles comme la nôtre, des millions de familles vivant dans un autre pays, qui souhaitent voir les leurs. Durant le Covid, nous avons pu mesurer par l’isolement et par la peine ce que la distance géographique et l’impossibilité de se retrouver voulaient dire. Il aura fallu le malheur d’une pandémie planétaire pour le ressentir. Je veux que mes enfants passent le plus de temps possible avec leurs grands-parents, qu’ils apprennent à leur contact, que les histoires se transmettent entre eux, que leurs souvenirs pour la vie se construisent. Pour cela, il faut voyager. Et il faut le faire heureusement, fièrement, sans affronter ni subir le jugement de certains. L’ignorance et la caricature conduisent bien souvent à des postures morales et globalisantes. Voyager, c’est mal. Voler, c’est mal. Et le progrès, c’est sans doute mal aussi. C’est dingue qu’à l’approche du second quart du XXIème siècle, on en soit rendu à un tel pessimisme ambiant et à si peu de curiosité d’esprit.
Je lisais hier la tribune publiée dans Le Figaro par une ancienne Ministre de l’Education nationale. Elle propose de rationner l’accès à Internet. Trois gigas par semaine, et puis plus rien. Tout cela est tellement à rebours de l’évolution de l’économie, de la société, des libertés. Le numérique représente l’avenir pour nos entreprises, pour la création, pour l’innovation, pour les études, pour nos emplois, pour nos familles aussi. Les travers du numérique existent, mais pourquoi, encore, toujours, aller chercher l’interdiction comme réponse ? La lecture de cette tribune de Najat Vallaud-Belkacem écrite si loin de la vraie vie m’a affligé. Pour voyager moins, il faut plus de numérique. Ou alors je peux renoncer à travailler si je ne peux ni voyager ni passer alternativement le temps nécessaire devant les écrans. Imaginons que ce rationnement d’Internet soit mis en œuvre : devrais-je expliquer à mes enfants qu’il faudra restreindre les communications sur WhatsApp et Zoom avec les grands-parents parce que Papa, par son travail dans son petit bureau sous les toits, aura consommé une large part du quota numérique auquel la famille aura le droit ? Je ne crois pas que l’avenir doive s’écrire comme dans 1984, le roman de George Orwell, dans un monde de surveillance et de suspicion généralisées.
En janvier, j’avais raconté sur ce blog combien une chanson des années 1970, So far away from L.A., avait inspiré l’enfant, bientôt adolescent, que j’étais. Elle commençait par ces quelques mots : « Quelques lueurs d’aéroport… ». Ces lueurs sont les premières images qui me viennent à l’esprit lorsque je pense aux aéroports, ceux où l’on arrive, ceux d’où l’on part. Les lueurs sont des signes de vie, mais elles sont aussi des images incertaines, que l’on devine sans les distinguer nettement. Il faut imaginer ce qui se cache derrière elles, être curieux, vouloir aller vers elles. Depuis le cockpit de simulation de vol que découvrait mon fils Marcos, il y avait quelques lueurs d’aéroport. Assis derrière, en bon passager, je le regardais, fasciné, vivre pour la première fois un petit moment de ce que pourrait être sa vie de pilote demain. Il apprenait. Il posait des questions à son instructeur, qui lui répondait et l’encourageait, et c’était cela le plus important. Il faut ne rien s’interdire, ne rien interdire. Il faut encourager l’imagination, la générosité, l’attention aux autres, l’altruisme. Je suis persuadé que c’est possible, à condition de rompre avec la tristesse de notre époque. On n’entre pas dans l’avenir à reculons, on y entre avec envie, avec ses valeurs et avec ses rêves.
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Le goût d’écrire
Mon petit blog va sur ses 15 ans. J’ai renouvelé aujourd’hui son abonnement sur le cloud. C’est fou comme le temps a passé si vite. Je me revois encore, fiévreusement, joyeusement aussi, imaginer son architecture, ses premières couleurs – qui étaient vertes et grises – et son contenu à venir. Je n’imaginais pas en 2009 que ce petit média que je m’apprêtais à lancer à l’appui de ma candidature à la désignation de mon parti pour les élections législatives de 2012 m’accompagnerait si longtemps et deviendrait un jour aussi central dans ma vie. Je voulais juste écrire pour faire connaître mes idées. Et puis, peu à peu, je me suis pris au jeu. Durant la longue campagne qui me mènerait à l’Assemblée nationale, je partageais mes réflexions, quelques coups de patte aussi. A quelques occasions, cela me valut un déchaînement de trolls. Il est vrai que je me protégeais peu. J’ai appris à le faire. Elu député, j’ai bien essayé de transformer le blog en un respectable site parlementaire, mais l’envie de raconter et d’argumenter était plus forte et le blog est resté. C’est par son adresse dédiée qu’à l’été 2014, après un débat vitaminé sur France 24 consacré à l’annexion de la Crimée par la Russie, je reçus des menaces de mort me visant, ainsi que mon épouse enceinte et nos deux petits garçons…
Quand ma vie parlementaire arriva à sa fin en juillet 2017, triste et fatigué, je pris la décision de ne plus écrire. Sans mandat, quel intérêt pourraient bien désormais présenter mes posts ? Que dire, sinon que cette décision fut singulièrement peu inspirée. Le blog n’était pas fermé, mais je n’y écrivais juste plus. Il ne me fallut que quelques mois pour la regretter. Certes, je publiais parfois des tribunes dans la presse, mais cet exercice était plus formel et contraint. La spontanéité de mon blog me manquait. De temps à autre, je le parcourais. Il s’ouvrait sur le même dernier message, intitulé « Merci », à destination des Françaises et Français de mon ancienne circonscription d’Allemagne, d’Europe centrale et des Balkans occidentaux. Etait-ce réellement la fin ? Devais-je revenir ? J’en avais envie. Un ami m’aida à changer le design, à désinstitutionnaliser le blog, à le faire ressembler à ce que ma vie d’après était devenue et, au fond, à qui je suis vraiment. Et un jour de janvier 2019, je repris l’aventure de l’écriture pour ne plus la lâcher. Le titre « L’avenir est à écrire », mis de côté durant mon mandat de député, revint avec un nouveau design, resté le même depuis. Tous les textes publiés ces quelque 15 dernières années sont accessibles aux lecteurs. Il y en a désormais des centaines.
Mon blog est une respiration. J’écris quand j’ai envie, quand je le sens. Comme je le fais en ce moment. Il m’arrive parfois de monter quatre à quatre les marches de l’escalier vers mon petit bureau sous le toit, porté par une idée, une réflexion, quelque chose à raconter toute séance tenante, de peur que file l’inspiration. Une heure après, ou parfois un peu plus, le texte est écrit. Je ne le publie pourtant pas immédiatement. Il faut dormir dessus, le peaufiner, le relire aussi. Cette sage précaution m’a évité à quelques reprises une faute d’orthographe bien embarrassante que ma maman, fidèle et attentive lectrice, n’aurait pas manqué de relever. J’aime aussi chercher la photo pour l’illustration. Au fil des années, je me suis constitué ma propre photothèque. J’écris sous mon toit, dans les trains, dans les gares, les aéroports. Et puis en vacances, face à la mer ou dans le silence de la montagne. J’ai besoin du silence pour écrire. C’est sans doute pour cela que j’écris souvent la nuit aussi, quand tout le monde dort, au risque parfois de terminer endormi à côté du clavier. C’est arrivé deux ou trois fois. Je ne fais jamais de plan. Je me lance. Je ne sais pas où me mènera le texte. Je sais simplement que je ne dois pas aller au-delà de 5 minutes de lecture si je veux conserver mon lecteur ou ma lectrice.
Mon blog est un hobby. C’est un modeste, mais fier travail d’amateur. Je n’ai jamais voulu le professionnaliser. Je ne suis pas un influenceur, Dieu merci ! Et je ne suis pas non plus un journaliste, même si je crois que je garderai toute ma vie le regret de ne pas l’être devenu. Ce sont mes maîtres d’école qui m’ont donné le goût d’écrire. J’aime toujours autant ce moment où la page toute blanche attend les premiers mots. Durant mes années d’études, j’ai eu la chance de pouvoir travailler l’été pour Le Télégramme de Brest. Après les maîtres d’école, mes directeurs de rédaction m’ont appris à préparer mes textes, à aller à l’essentiel pour capter l’attention et la conserver. Je leur dois beaucoup. Je voudrais aujourd’hui leur dire merci, s’ils étaient encore là. « Tu dois pouvoir écrire sur tout », me répétaient-ils. Je n’en étais pas trop convaincu. Jeté dans le bain, je m’y fis pourtant. S’occuper de la page des faits divers oblige à la précision et sans doute aussi à une forme de second degré protecteur. Je me souviens d’un touriste qui avait passé la nuit à l’hôpital de Quimper après s’être fait casser la figure au distributeur de billets. A peine sorti de l’hôpital, se promenant avec sa famille le long de l’Odet, il fut cette fois jeté – par d’autres – dans la rivière. Vraiment pas de chance. Il fallait l’écrire.
Mon blog est un journal. La différence est qu’il n’est guère secret car il a des lecteurs. Il est éminemment subjectif et les réactions, les idées, les critiques sont les bienvenues. J’en reçois et cela m’aide. Ma maman me dit à raison que mes papiers fouillés et argumentés sur le climat fichent plutôt la frousse et la déprime. Il faut aussi être léger, heureux, donner envie, rire. Cela tombe bien, c’est ma pente naturelle. Je suis plutôt de Funès que Delon, joyeux que sérieux. Depuis quelques mois, mes enfants se sont mis à explorer le blog à la recherche de souvenirs, les miens et les leurs. Ils en trouvent. Je me suis aperçu par leurs réactions et leurs questions que j’écrivais aussi pour eux sans le savoir. Ce blog est la mémoire que je leur transmets. Ils m’y retrouveront demain et bien plus tard, quand ils le voudront. J’aimerais écrire encore très longtemps. Le moment viendra de passer aussi à un premier livre. Ecrire est un partage. Le goût d’écrire que des aînés attentifs m’ont donné, je voudrais le passer à d’autres, comme un témoin que j’ai reçu et qui doit continuer son chemin. Voilà, j’avais envie de raconter tout cela aujourd’hui. Et pour l’illustrer, ce ne sera pas la photo d’une page fébrilement raturée, mais celle du printemps à l’Ile-Tudy parce qu’il n’y a rien de plus inspirant pour écrire que la beauté du monde.
Je dédie ce post à Yvonne Le Borgn’, ma maman et institutrice de cours préparatoire. A Robert Palud, Marcel Signor et Albert Quéfellec, mes instituteurs de CE2, CM1 et CM2 à l’école primaire publique de Kervilien à Quimper. A Jean Bléas et Claude Péridy, mes patrons et mentors à la rédaction de Quimper du Télégramme de Brest. Et à Danielle Seignot, Cyrille Mallet et Thomas di Luccio, pour leur soutien dans cette belle aventure de « L’avenir est à écrire ».
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