Au début du mois de juillet, alors que se préparait le remaniement gouvernemental, mon nom est apparu parmi d’autres dans un article de presse qui citait d’éventuels entrants pour la nouvelle équipe. J’en ai été surpris. Cela fait trois ans désormais que j’ai quitté la vie publique. La vérité est que cela m’a aussi un peu touché. L’information se diffusant sur les réseaux sociaux, j’ai en effet reçu beaucoup de messages, le plus souvent encourageants, même s’ils s’accompagnaient parfois d’une interrogation que l’on pourrait résumer ainsi : « qu’irait bien faire un socialiste chez Macron ? ». Etais-je ou non dans une shortlist gouvernementale, je n’en sais rien. Les moments précédant les remaniements sont toujours propices aux rumeurs. Je n’ai pas voulu réagir à l’information qui courait. Qu’aurais-je bien pu dire, d’ailleurs ? De fait, j’ai traversé des journées étranges, me promettant de reprendre après cela un petit papier sur l’idéal et la fidélité que j’avais délaissé après avoir commencé à l’écrire il y a quelques mois, autant pour raconter un bout d’histoire personnelle que pour partager ce qui constitue mon unité d’homme, et répondre ainsi à l’interrogation que j’avais reçue.
J’ai été membre du Parti socialiste durant près de 30 ans. J’y étais venu à l’âge des études. Je l’ai quitté en 2017, sans démission ni fracas, simplement en ne renouvelant pas mon adhésion. Je suis parti tristement. Avais-je changé ? Non. J’étais parvenu à la conclusion que l’idéal qui m’avait conduit à passer un jour, ému, le seuil de la porte de la rue de Solférino ne pouvait plus s’y exprimer utilement. De toujours, j’ai cru en une gauche décentralisatrice et pro-européenne, ouverte au monde de l’entreprise et à la valeur travail, soucieuse d’écologie concrète et de défense active des droits fondamentaux. J’ai été marqué par les réflexions et les idées de Michel Rocard, notamment par le lien à la société civile, à la démocratie sociale et à toutes les initiatives locales qui sont la sève de notre pays. Je me suis toujours défié des emballements faciles et des postures d’opposition, quand parler fort ne coûte pas cher parce que les responsabilités sont lointaines. Je crois en le parler vrai et l’action au plus près des faits, à l’écoute sincère de la société et avec la volonté de convaincre, en rendant compte, loin de toute ambiguïté entretenue ou subie.
L’exercice du mandat de député m’a marqué, en particulier la fronde qui traversait le groupe parlementaire dont j’étais membre. Les lignes de fracture épousaient les écoles de pensée qui composaient le Parti socialiste. J’ai soutenu la politique de l’offre par pragmatisme. Je mesurais certes qu’elle s’inscrivait à rebours de ce que la gauche développait traditionnellement. Il aurait fallu la justifier. Cela n’a pas été le cas et je le regrette. François Hollande entretenait l’ambiguïté et pratiquait volontiers l’esquive. Je pressentais, nourri par 20 années de vie d’entreprise à l’étranger, qu’un choc d’offre serait nécessaire pour libérer les contraintes bridant le marché français de l’emploi et en même temps entamer la conquête émancipatrice de nouveaux droits à la formation tout au long de la vie pour faciliter l’employabilité et l’adaptation à l’évolution de l’économie et des métiers, en un mot donner sa chance à chacun. Je ne pouvais me résoudre à une société qui fasse par défaut le choix du chômage. Était-ce compatible avec un idéal de gauche ? Je le pense sincèrement. Ce n’est pas la direction qu’a suivi le Parti socialiste à l’approche de l’élection de 2017.
A cette élection, j’ai voté pour Emmanuel Macron aux deux tours. Puis la vague du printemps 2017 m’a emporté. Si j’étais resté parlementaire, j’aurais voté la confiance au gouvernement d’Edouard Philippe. La politique économique me semblait juste et l’action engagée en faveur de l’attractivité de l’investissement en France aussi. Je le pense toujours. Pour autant, je n’ai pas tout partagé des choix gouvernementaux depuis trois ans, en particulier sur l’asile et l’immigration et sur la question environnementale. Je regrette la verticalité dans l’exercice du pouvoir, la relation défiante avec les territoires, le peu de dialogue avec la société civile et les partenaires sociaux. Et tant de phrases injustes qui ont heurté là où il aurait fallu à l’inverse écouter, dialoguer et construire ensemble. En un mot, je ne retrouve plus trop Rocard. Ou Mendes France. Il ne faut pas ignorer la passion française pour l’égalité, encore moins la moquer. Aucune réforme n’est pérenne si la société ne se l’approprie pas. Pour changer, il faut toujours vouloir rassembler. La main tendue de Laurent Berger ne se refuse pas. Le départ de Nicolas Hulot fut un crève-cœur.
Je me sens parfois orphelin d’une offre politique. La jambe gauche de la majorité me manque. Le dépassement ne signifie pas l’effacement. Si l’émancipation individuelle est un progrès, l’émancipation collective l’est tout autant. Il faut lutter pied à pied contre les fractures qui déchirent la société française, nourrissent les inégalités de destin et alimentent le sentiment de relégation. J’ai la passion du développement durable. J’en ai fait le cœur de ma vie d’après. Je n’oppose pas l’économie et l’écologie, l’économie et la justice sociale car les trois vont de pair. La recherche, l’innovation et les technologies de rupture sont au cœur du combat contre la crise climatique. Tant se joue maintenant. Ce sont des questions profondes. De part et d’autre des réponses qu’on y apporte, il y a des sincérités qui, toutes, méritent d’être entendues. C’est là un autre aspect qui me tient à cœur : la vie politique et le débat public ont besoin de bienveillance. L’invective, le sectarisme, le mot de trop font mal à la démocratie. Une démocratie respectueuse des idéaux de chacun est celle qui construit plus sûrement les consensus qui fondent le vivre ensemble. Et de cela aussi, nous avons besoin.
L’idéal et la fidélité sont des valeurs précieuses, cardinales même. Je ne peux imaginer vivre sans l’une et l’autre. Peu de temps après mon échec in extremis à l’élection du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe en janvier 2018, un chasseur de tête britannique m’avait dit plutôt brutalement : « vous n’avez plus de cause et il faut vous en inventer une autre ». Cet échange m’avait ébranlé. Je n’étais guère vaillant, comme l’on peut l’être après une grande peine, et cela devait se voir. Sans doute avais-je beaucoup à réinventer, mais mes causes et l’idéal qui les incarne n’avaient pas disparu, au contraire. Rien ne s’abandonne ni ne s’oublie, des combats pour l’Europe à ceux pour la planète. Il faut les poursuivre là où on se trouve, du mieux qu’il soit possible et toujours avec d’autres, en communauté d’idées, avec le souci de les mettre en œuvre. Voilà l’histoire que je souhaitais partager : ne jamais renoncer à ses idéaux, surtout lorsqu’ils viennent de loin, et les vivre en fidélité. Fidélité à qui ? A soi-même d’abord, et puis à tous ceux qui agissent pour changer la vie, humblement, passionnément, souvent près de chez nous ou bien un peu plus loin. Et parfois plus haut aussi.
On te reconnaît bien. Amities
Merci, chère Martine.
Je n’ai pas, ni jamais eu de responsabilité politique, mais je partage cette analyse à 100%, cher Pierre-Yves. Je me reconnais dans l’analyse de ce texte. Très amicalement
Merci pour ce très beau texte.
Oui être fidèle à soi-même
C’est le Pierre-Yves que je reconnais et que j’apprécie
Amitiés
En phase avec toi. Amitiés. André
Moi la première fois que je suis entré à Solferino l’émotion m’a saisi. Je t’y ai rencontré avec plaisir et une indicible confiance. Mais il est temps aujourd’hui de se saisir de le problématique écologique fermement pour juguler et motiver toute l’economie, l’entreprenariat autour de cette problématique seule permettant une objectivité dans l’exercice politique.
Je suis Docteur-Ingenieur, Artiste de rue et travailleur social. Mais je ne suis par contre pas aguerri dans le jeu politique.
Un changement radical de société nous tend les bras, les politiques étant devancé en cela et de très loin par la société civile. Et c’est celle-ci qu’il faut ecouter.
Merci PY, cher camarade, pour ton texte qui m’a beaucoup touché.
Salut à toi oh mon frère !
Merci, cher Olivier. Ravi de te retrouver ainsi!
Merci, cher André!
Ton message me touche et m’honore, cher Jean-Pierre. Un très grand merci!
Merci, chère Annick!
Ce chasseur de têtes qui vous disait « vous n’avez plus de cause et il faut vous en inventer une autre » avait tort. Votre cause, c’est tout cet article, ce sont tous vos amis qui ont partagé votre combat pour la cause de l’Europe, cette cause est la nôtre, ne croyez pas que vos idées sont vouées à l’abandon. Elles venaient trop tôt ? Qui a publié une brochure pareille > https://www.france-blog.info/pierre-yves-le-borgn-leurope-doit-retrouver-le-lien-citoyen ? Je relis avec émotion le titre de votre blog. Rien n’est perdu. Chaque voix compte. Que vous continuez à vous exprimer par la plume surtout dans une époque où avons un grand besoin des défenseurs de l’Europe, des visionnaires, restons dans le jeu, actuellement, nous écrivons un chapitre important de L’UE.
Merci, cher Heiner. Je suis très touché par ce que vous écrivez. Il y a tant de combats que nous partageons en effet et lire un commentaire comme le vôtre donne envie de reprendre la route. Hit the road again!
Bjr
J’ai également été au PS 40 ans avec des fonctions. Je me retrouve parfaitement dans la politique de Macron ! Dites moi, à part Jospin ( et on sait ce qu’il en est advenu), quel socialiste au pouvoir à appliquer une politique de gauche ? Mitterrand après deux ans d’exercice à changer complètement de politique pour s’engouffrer dans la rigueur( parce qu’il savait que son programme était inadapté, même les communistes n’ont rien dit , Hollande à tromper tout le monde avec son ” mon ennemi c’est la finance “! beau programme! Je crois que la politique de Macron, dans le contexte actuel est adaptée . Je suis même surpris par le langage de Le Maire . C’est quoi aujourd’hui une politique de gauche ! dire que l’on va raser gratis, que l’on va augmenter les fonctionnaires ( aucun socialiste au pouvoir ne l’a fait) régulariser tous les migrants ( et bien non on peut être de gauche et être réaliste) , s’engouffrer derrière Jado pour faire plus vert que vert, que diable non ! je crois fermement à la sociale démocratie mais il faut regarder autour de nous, la vie est globalisée et mondialisée, et il faut faire avec nos “amis” européen !