J’écris ce petit mot, assis sur le lit de ma chambre d’hôtel, un carton de pizza vide à mes pieds. Je suis à Huelgoat, dans le Finistère, dans les Monts d’Arrée. Nous sommes le 16 décembre. Dehors, il fait nuit noire. Il tombe des cordes et un froid à glacer les os s’installe. Le vent souffle en tempête. Au milieu du carrefour, un pauvre sapin de Noël décoré de quelques boules et guirlandes improbables plie sous les bourrasques Il n’y a personne dans la rue. C’est l’heure du couvre-feu. A l’hôtel, les 13 chambres sont occupées. 12 autres voyageurs comme moi, chacun avec sa pizza, sa petite bouilloire, sa télévision, sa solitude. Nous ne nous voyons pas, nous ne nous croisons pas. Il n’y a plus de dîner, de déjeuner, de petit-déjeuner. Il y a juste des bruits épars, un fond de film un peu sonore, l’écho d’un voisin ronfleur ou enrhumé. C’est la vie des voyageurs par temps de Covid et de confinement. Personne ici n’est venu visiter Huelgoat. Même en décembre pourtant, Huelgoat, c’est beau avec son lac, sa forêt, le Chaos et la Roche tremblante. Je suis là, nous sommes là car l’Hôtel du Lac est le seul établissement ouvert entre Lorient et Morlaix. Tout simplement. Et quand on bosse loin de la maison, il faut pouvoir dormir quelque part. Et manger aussi.
Je suis un petit indépendant. Mes missions de conseil, mes engagements, j’y tiens. C’est ma vie, ce sont mes revenus. Je n’ai aucun filet si tout devait s’arrêter. Ma petite entreprise, je me bats pour qu’elle passe la crise. Aussi longtemps que les règles sanitaires le permettent, je me déplace. Jusqu’à mon département natal en cette mi-décembre. Je n’ai pas voulu rester dans la maison de mon enfance, là où habite ma maman. Je vis en Belgique, où la pandémie est la plus rude en Europe. Je ne veux exposer personne au risque. C’est dur d’être loin et proche à la fois, et plus encore ici. Sur mon IPhone, je fais défiler les photos de Noël il y a un an, des visages heureux, joyeux et tranquilles. Qui aurait bien pu imaginer où nous serions en ce mois de décembre ? Le recul donne le vertige. La peur a envahi la société. On nous parle de colère. Je ne crois pas qu’il y ait colère. Il y a la crainte, l’angoisse, ce sentiment irrationnel, torturant ou taraudant, qui prend aux tripes. Et c’est bien plus redoutable. Tant de hauts, de bas, d’ordres et de contre-ordres. Au printemps dernier, j’avais écrit un papier critique sur la parole publique au défi du Covid. Elle souffre, la parole publique. Elle souffre d’être bavarde et confuse là où elle aurait dû fédérer.
Combien de mois depuis que je n’ai plus serré une main ? Je ne m’en souviens même plus. Les gestes barrières, les masques, le gel, les distances ont envahi le quotidien. Il le faut. Pourtant, je tiens mes réunions. Il y a le « on » et le « off », l’ordre du jour et les apartés. Ces moments-là sont forts et chaleureux. Ils trompent les solitudes. On se confie des choses sur la crise, des réflexions et des idées, des regrets et des espoirs, même sans se connaître. Comme le micro-trottoir de la vraie vie. Les choses sont dites, lâchées plus facilement, plus douloureusement aussi. Mises bout à bout, elles dessinent les attentes, les espoirs, les volontés, les exigences. Si certains imaginent que l’après-Covid sera « business as usual » ou plutôt « business as previously », ils se trompent lourdement. Le déni de souffrance et les propos lointains seront ravageurs. Quand des millions de gens prennent la crise, la galère, la maladie et peut-être la mort dans la figure, on ne vient pas leur parler de la réforme des retraites. A la sortie de crise, il faudra être sacrément à la hauteur. Et donner un contenu concret à la résilience. Les mots ne suffiront pas. Ce sont des actes qu’il faudra poser et des résultats qu’il faudra apporter à des sociétés en attente d’humanité.
Aujourd’hui, avant de retrouver l’hôtel, j’ai traversé ces villages finistériens chers à mon cœur, dans l’Arrée, puis dans le Léon, face à la Manche. Décembre n’est pas juillet. Il manquait la lumière, malgré les illuminations ici et là. Il manquait surtout un coin où s’arrêter. Nulle part où aller, pas de café, pas de restaurant, pas même de banc où s’asseoir, rien à emporter si ce n’est un malheureux sandwich de supermarché, avalé dans la voiture avec un Perrier tiède. Tout est fermé, rien n’est permis. C’est étrange de rouler des heures en rêvant d’un thé ou d’une tasse de café jusqu’à l’obsession. D’espérer que le maire avec qui j’avais rendez-vous aurait peut-être une petite cafetière. Et le remercier avec effusion quand elle apparaît… Dans une semaine, ce sera Noël, même derrière les masques qu’il nous faudra désormais porter entre les plats du réveillon. Puis, comme le disent les Allemands, nous glisserons vers 2021. Il faudra tenir bon, nous protéger, protéger les autres. Se préparer au vaccin, se faire vacciner. Car la solidarité, c’est accepter cette responsabilité-là. La santé, nos libertés, notre avenir en dépendent. Comme notre capacité, ensemble, à bousculer le chaos du monde en quête de cohérence, d’imaginaire et d’horizon.
Vos contributions sur votre blog, surtout celle-ci est si personnel, vous nous dites votre for intérieur qui rassemble à celui de nous tous. Vos réflexions conduisent au partage de nos sentiments et de nos réflexions. Le désarroi que vous éprouvez est celui de nous tous. Nous sommes tous dans la même situation, en France, en Allemagne, en Europe, voire dans le monde. Personne ne me serre plus la main. On ne s’embrasse plus, tout au moins on dit au téléphone ou par mail: on fait un Zoom ? On recule devant l’autre, dés que quelqu’un de notre espèce apparaît. Le confinement rassemble à ce nous appelons le “Stubenarrest” (être privé de sortie) qui a été prononcé quand j’étais jeune et quand j’avais essayé jusqu’0ù on pourrait aller. Aujourd’hui, c’est différent, apparemment, il y en a qui n’ont pas respecté les gestes de barrières, ce qui nous enferme aujourd’hui dans nos demeures. Difficile à leur faire des reproches -bien que on peut s’étonner de nos zones piétonnières bien peuplé ces derniers deux jours en Allemagne – à quelqu’un, comme il est difficile à élucider les chemins et les origines des infections qui – nos hôpitaux plein à craquer – ne sont pas à prendre à la légère. Ceux qui ont critiqué les mesures gouvernementaux en invoquant les droits fondamentaux deviennent plus silencieux.
Vers le début du mois de décembre, l’Allemagne a doublé la France en ce qui concerne les nombres des infections: Alors, cette semaine le Confinement2 a commencé pour l’Allemagne. Peut-être, un peu tard.
Maintenant, il faut garder malgré tout un esprit serein, comme vous le dites si bien en substance, en pensant comment nous pourrions sortir de cette crise si ravageuse. Or une sortie n’est pas encore, malgré les vaccin qui arrive, en vue. C’est donc l’heure de la solidarité, l’assistance aux plus démunis, au soutien des commerces, des artisans et des artistes et de bien d’autres encore qui voient toute leur existence mise en danger ou même détruite.
Avec ma réponse je voudrais souligner que cette solidarité dont on a parlé souvent même avant cette crise, prend aujourd’hui un son nouveau et tout à fait impératif. Tout le monde en difficultés attend les aides de l’État. Eh bien, notre EU doit davantage se rassembler, se rapprocher davantage, car cette bête méchante nous concerne tous. Sans doute, la solidarité modifie les enjeux de la politique européenne (voir votre dernier article sur votre blog) et extérieure. Nous avons déjà vu l’accord récent qui a été réalisé enfin à Bruxelles et qui libère les aides financières pour les États membre face à cette crise sanitaire.
Nos gouvernants appellent toujours à l’union et à la solidarité. Si tout le monde, sans exceptions respectent les règles sanitaires nous devrions bientôt passer le pic de cette crise.
Ensuite, nous sommes obligés de tirer toutes les conséquences de l’échec du premier déconfinement – cela passe par des analyses et des comparaisons des stratégies des États membres de l’UE. Il faudra à tout prix en reconnaître les erreurs et développer une stratégie qui nous sortira de la deuxième vague en évitant une troisième vague.
Après la lecture de “La peste” d’Albert Camus, j’ai interrogé les étudiants, quand est-ce que le fléau à Oran a été terminé ? Silence. Ils réfléchissent. Quelques-uns feuillettent leur livre. Une étudiante lève le doigt et dit “L’espoir.. La peste était terminée quand les habitants de l’Oran ont repris de l’espoir.” Oui, bien, c’est ce que Camus écrit, c’est à ce moment que le virus a perdu sa virulence. L’espoir se conjugue avec action, solidarité et clairvoyance.
Merci pour ce beau texte tellement humain.
Bonjour Pierre Yves
Je ne réagis pas toujours à tes textes, que je lis avec beaucoup d’intérêt. Tu exprimes si bien ce que nous sommes pas mal à ressentir. Ce message est particulièrement émouvant. Il prend aux tripes. J’ai la chance d’avoir ma vie professionnelle dans le rétro; un retraité actif comme je m’efforce de l’être, ne vit pas la même tension qu’un entrepreneur comme toi. J’ai laissé tomber mes activités bénévoles bordelaises, comme une deuxième retraite. Je me concentre sur la vie villageoise où mes fonctions de maire adjoint à la communication consistent souvent à remonter le moral des troupes.
Pas de Noël familial pour ma femme et moi. Nos fils, belles filles et petits enfants se retrouveront sans nous, car c’est nous les grands parents en risque.
L’expérience des épidémies antérieures me laisse penser que ça dure deux ans. Pas de retour à la vie « normale » avant 2022 dans ce cas. Après ce sera comme un « après guerre » peut-être. Effectivement on n’en sortira pas indemne. Mais tout refleurira, je veux le croire en tout cas. Bien amicalement. André
Merci, cher André. Il y aura un avant et un après cette crise tant elle remet en cause les idées, les organisations, les modes de vie. Je crois comme toi que tout refleurira. Il nous faut être vigilants, patients et imaginatifs d’ici là. Joyeuses fêtes à toi et aux tiens!
Un tout grand merci, chère Monique. Joyeuses fêtes à vous et à votre famille!
Un immense merci, cher Heiner. J’ai écrit ce texte comme j’en aurais raconté l’histoire à un ami. C’est venu tout seul. Ces journées passées à travailler et à ne pas pouvoir s’arrêter étaient éreintantes. Il faut vouloir dire que c’est dur. Nos sociétés, nos vies, chacune et chacun d’entre nous sont mis au défi. En France, les interdictions, recommandations et conseils appuyés se multiplient, au risque de perdre tout sens et de tendre à l’infantilisation. J’ai dit au couple d’hôteliers qui avait gardé son hôtel ouvert combien leur engagement était important. Ne pas renoncer, se battre et attendre aussi que, demain, les choses changent. Il y a tant à faire. Joyeuses fêtes à vous et à votre famille!
Hallo Pierre Yves
nachträglich noch alles gute zum Geburtstag – wir sind ja wenige Monate auseinander… Ich liebe es Deine Texte zu lesen…
Du warst schon immer ein ausgezeichneter Schreiber.
Herzlichen Dank, lieber Markus! Wir leben in einer sehr seltsamen Zeit. Ich war in meiner Heimatgegend und konnte nicht aufhören, etwas im Restaurant zu essen oder Kaffee in einem Bar zu trinken, denn es ist verboten. Ich konnte nur nachts alleine in meinem Hotelzimmer arbeiten und einschlafen, nachdem ich Pizza gegessen hatte. Das kann keine Zukunft sein.
Bonjour Pierre-Yves,
Je ne peux que répéter ce que Heiner Wittmann vient d’écrire sur tes pensées toujours exprimées d’un ton si profond et émotif. Merci pour ce cadeau de Noël et espérons que nous « glissons » toutes et tous vers un avenir plus paisible et plein de merveilles.
Joyeuses fêtes et une excellente année 2021.
Un immense merci, cher Horst. Ce que tu écris me touche beaucoup. Ce texte m’est venu tout seul. La pizza était finie. Tout était si triste. Il tombait des cordes au dehors. J’avais passé une journée misérable à ne pas pouvoir m’arrêter pour manger ou boire un petit café. Alors que j’étais chez moi. On vit une période redoutable. Elle requiert plus que tout que nous sachions imaginer ensemble un demain différent. Joyeuses fêtes à toi et à ta famille !