J’ai lu entre hier et aujourd’hui le livre de Manuel Valls, Pas une goutte de sang français. J’en ai aimé le sens, les idées, le recul et le regard. J’attendais ce livre. J’espérais qu’un jour, Manuel Valls, depuis Barcelone ou ailleurs, prenne la plume, si ce n’est pour revenir, à tout le moins pour éclairer le débat sur l’avenir de la France et en prendre sa part. Car Manuel Valls est une voix particulière, une voix qui demeure, une voix précieuse. Ecrivant ceci, je verrai certainement se déchaîner contre moi ceux qui, depuis 2017 et même avant, le vouent aux gémonies. Il se trouve que je n’ai jamais aimé les ambiances de curée, les procès en trahison, l’hystérie et les haines recuites. Je l’écris d’autant plus librement que je n’ai pas tout partagé des combats ou des choix de Manuel Valls. J’ai pu être rudoyé une ou deux fois aussi. C’est la vie politique. Rien de personnel, Manuel est sanguin et je suis du genre résilient. Je m’en suis remis. J’ai été intéressé par le parcours de Manuel Valls, son itinéraire et ses idées. Sans doute cela vient-il d’un lointain fond rocardien. Et aussi de l’espoir – tristement déçu – de pouvoir changer le Parti socialiste, gagné par la torpeur et une paresse d’analyse alors que le monde et la société changeaient si vite sous nos yeux.
En 2017, Manuel Valls s’est battu, dos au mur, seul ou presque, pour conserver son siège de député. Puis en 2018, il est parti à la conquête de la mairie de Barcelone, sa ville natale. Lutter, partir. Pour ne pas crever, comme il l’écrit lui-même. Et pour renaître aussi, ailleurs. Ces pages-là, au début du livre, m’ont impressionné. Elles ont résonné en moi. Quelque part, en 2017, j’avais eu ce sentiment également. Je revois la violence de ce qui m’était dit ou écrit. Et la solitude qui s’en suivit, subie et sans doute recherchée aussi. Comme le solde d’un quinquennat manqué, faute de leadership assumé, de choix expliqués. Un quinquennat marqué par les tragédies et par des erreurs, au point d’en éclipser les belles réalisations et il y en eut pourtant. Plus que le discours de politique générale de Manuel Valls en avril 2014, c’est son expression improvisée, impressionnante, bouleversante à la tribune de l’Assemblée nationale au lendemain des massacres de Charlie Hebdo et de l’Hyper Cacher qui reste au cœur de ma mémoire. C’était l’expression d’une passion pour notre pays, pour la République. Ce discours avait une puissance folle, une capacité inédite de susciter l’union nationale et il aurait été heureux que cette union voit le jour. Le moment le voulait.
Au fond, que savais-je de Manuel Valls après ces années de compagnonnage partisan ? Beaucoup sans doute au plan politique, mais si peu finalement au plan personnel. Quelques bribes d’histoire, tout au plus. Son livre donne enfin des clés pour le connaître, comme pour fendre l’armure. Il le fallait. C’est pour cela aussi qu’il est bienvenu. Comprendre l’appel de Barcelone, la passion de la littérature et des arts, celle de la République et de la laïcité, celle des paysages français par l’itinérance avec ses parents et sa sœur sur les routes, l’été, de la Catalogne. Pas une goutte de sang français met des images, des souvenirs, un Panthéon personnel, des émotions sur l’amour de la France dont Manuel Valls parlait volontiers, mais qu’il n’avait jamais livré aussi librement. Devenir français à 20 ans, être nommé Premier ministre à 50 ans, l’histoire est saisissante. Rien n’est plus fort que de se sentir français de toute son âme, d’où que l’on vienne, d’ici ou de loin. La France est un héritage, un état d’esprit, pas une affaire de sang. Elle n’est pas ce qu’Eric Zemmour raconte, entre haine et mensonges. Elle doit être protégée de tous les communautarismes qui s’en prennent à elle, à la République et à ses valeurs, aux droits qui sont les nôtres, citoyens français.
Voilà pourquoi j’ai aimé le livre de Manuel Valls. C’est un témoignage qui esquisse l’unité d’un homme. Des questions demeurent sûrement. J’ai encore à comprendre l’épisode de la déchéance de nationalité en 2016, qui laisse dans ma mémoire le souvenir d’une déchirure personnelle et politique. J’aimerais aussi découvrir l’engagement de Manuel Valls à Barcelone, citoyenneté européenne par la preuve, convaincu que ce qui se joue en Catalogne n’est pas sans conséquence pour l’Europe tant les nationalismes menacent et les replis identitaires avec eux. Il y a dans tout parcours des choix, des erreurs, des moments de grâce et de peine. Personne n’en est exempt. Aucun chemin politique n’est linéaire et sans encombre. Et aucune histoire n’est close sauf à ce que la vie en décide autrement. J’aime l’idée des rebonds, pas forcément pour faire ce que l’on faisait avant, mais simplement, sincèrement pour être utile. Chacun doit pouvoir venir avec ses convictions, son idéal, ses causes, Manuel Valls comme d’autres. En ces temps rudes de crise sanitaire, économique, morale et politique, qui mettent au défi l’action publique, les combats pour la démocratie, la justice, le progrès, la liberté, la solidarité requièrent plus que jamais le rassemblement de toutes les volontés.
Bonjour Pierre-Yves. Je te trouve bien indulgent envers Vals qui n’a pas été élu député en 2017 “en se battant dos au mur, seul ou presque”, mais grâce au soutien explicite de Macron. Les dernières années de Vals sont l’histoire d’un opportuniste qui va d’échec en échec avec un cynisme affirmé. L’extraordinaire résonnance médiatique de son livre (dont il emprunte le titre à Romain Gary sans se préoccuper d’y mettre des guillemets) me laisse croire à une campagne orchestrée pour faire de Vals l’aile gauche de la campagne présidentielle de Macron en 2022. Est-ce également ton sentiment ? Daniel Guéguen
Je n’ai pas encore lu le livre de Manuel Valls.Ce que je sais par conviction ,c’est que pour vive mieux notre démocratie il est sain que celles et ceux qui ont joué un grand rôle dans notre République s’expriment.Leur expérience,leurs points de vue ne peuvent que nous enrichir..Personnellement je me suis rarement abstenu de commenter ou d’apprécier diversement l’action des uns et des autres mais j’ai toujours eu beaucoup d’intérêt pour leurs écrits , leurs mémoires. Ils m’ont toujours enrichi de gauche ou de droite ,parce que les propos ou leurs appréciations sont exprimés ou reçus avec moins de passion et donc plus forts plus enrichissants.
La réalité n’est pas noire ou blanche, cher Daniel. Manuel Valls a commis des erreurs et il en parle dans le livre. Il n’a pas non plus été servi par les circonstances. La faiblesse de leadership de François Hollande l’a conduit à être au four et au moulin à mesure que le quinquennat s’abimait. Comme je l’écris dans mon post, je n’ai pas tout partagé des positions de Manuel Valls et il m’est arrivé parfois d’être recadré par lui. Je ne suis pas suspect d’une proximité qui m’aveuglerait. Je pense que le recul de bientôt 4 ans permet de regarder avec plus d’objectivité ce que furent ces années et le rôle qu’il assuma. En juin 2017, il avait contre lui toute la gauche à Evry et si LaREM n’a pas présenté de candidat en effet, elle ne l’a pas réellement soutenu non plus. Enfin, sur la citation de Romain Gary, elle apparaît dans son entièreté derrière la page de couverture avec l’attribution au romancier. Je ne sais pas ce que sera le rôle de Manuel Valls à l’avenir. Je ne l’imagine pas dans la campagne de l’an prochain. Je le vois davantage comme un témoin engagé.
J’ai le même regard que toi, cher Jean-Louis. Ces livres sont utiles pour comprendre une époque. Sans doute résonnent-ils davantage encore lorsque l’on a été partie de l’aventure, d’une manière ou d’une autre. J’attendais ce livre de Manuel Valls et j’en ai apprécié la lecture.
J’ai milité 2 ans avec Manuel Valls de 1998 à 2000 à Evry, lorqu’il s’y est implanté pour être élu député. Je suis social-libéral comme lui. Certaines de ses opinions ou actions m’ont choqué, notamment ses proopos sur les Roms. Mais je lui reconnais des vraies convictions et un vrai engagement pour la solidarité.
Merci, cher Bertrand. Je te rejoins volontiers. Je suis attaché à l’économie de marché et je désespère que la gauche, où je puise mon histoire et mes références, évite cette question, particulièrement depuis ces dernières années. Sur la question économique, j’ai soutenu sincèrement les choix des gouvernements de Manuel Valls, même si j’aurais préféré que cette politique épouse plus fidèlement les recommandations du rapport Gallois. Sur l’autorité, les droits et les libertés publiques, j’ai eu mes désaccords avec Manuel Valls, en particulier sur les Roms durant ses 2 ans au Ministère de l’Intérieur et sur la déchéance de nationalité des binationaux.