Depuis près de quatre ans, je sillonne la France au gré de missions de conseil et de conférences. Le plus souvent, c’est sur les énergies renouvelables que j’interviens. Je les connais bien. J’ai travaillé pour un fabricant de panneaux solaires durant des années. Et à l’Assemblée nationale, je suivais le budget de l’écologie et du développement durable, en plus des questions climatiques. Dans cette nouvelle étape de vie, je m’étais dit que je mettrais en pratique concrètement, sur le terrain, les idées et projets que je défendais auparavant. Histoire de valider ces convictions qui me portaient et me portent toujours. J’aime l’environnement, la nature, la beauté des choses. Je redoute que le changement climatique, si nous n’arrivons pas à le maîtriser, change à jamais la vie telle que nous la connaissons et condamne les générations futures, celles de mes enfants et de leurs enfants, à un avenir redoutable. Suis-je écologiste ? Pas par la carte, puisque je n’appartiens à aucun parti vert. C’est la cause qui m’importe, celle qui me conduit à un compagnonnage de plus de 20 ans avec le WWF, celle qui m’amène à parcourir la Bretagne pour y développer l’énergie solaire. Et celle aussi qui, aujourd’hui, me tracasse tant est grand l’écart entre la vraie vie et l’incantation.
La vraie vie, c’est que derrière les panneaux solaires ou les éoliennes, il y a des dizaines d’années et des milliards d’Euros de recherche acharnée. L’incantation, c’est l’appel régulier à la décroissance et le procès récurrent fait à l’économie de marché. A l’évidence, revendiquer la croissance n’arrangera pas mes affaires du côté des tenants de la « verditude ». C’est un peu triste, mais j’assume. Mieux vaut faire que dire, en l’occurrence. Lorsque je travaillais dans l’industrie solaire au début des années 2000, nous avions un objectif aussi lointain qu’ambitieux : atteindre la parité réseau, ce moment rêvé où l’énergie solaire deviendrait compétitive sans subvention d’aucune sorte, devançant les énergies fossiles et, suprême Graal, l’énergie nucléaire. Nous y sommes. Il est possible désormais de construire de grands parcs solaires et de vendre leur électricité au prix du marché, moins cher que toutes les autres sources d’énergie. Rien de cela n’est arrivé par hasard. Les tarifs d’achat et appels d’offre ont assuré aux industriels les débouchés nécessaires pour faire d’immenses investissements et développer des capacités de production conséquentes. C’est ce qui a permis l’effondrement des coûts de fabrication des panneaux et assis la compétitivité de l’énergie solaire.
Investir, chercher, produire, installer, ce sont autant de termes qui évoquent à juste titre la croissance. Je mesure sur le terrain et les réseaux sociaux que cela n’est pas toujours partagé, voire compris. Il faut l’expliquer et je m’y attèle autant que possible dans les rencontres et débats auxquels je prends part. Je ne fantasme pas la croissance. J’en connais et admets volontiers les travers. La croissance doit être vertueuse, frugale, propre, inclusive et … verte. La société, qui a tant évolué, l’exige, comme le législateur et, de plus en plus aussi, les investisseurs eux-mêmes. Le pli de la lutte pour la préservation de la planète a été pris, même si cela reste encore imparfait. C’est à ce titre qu’il faut débattre utilement des propositions de la Convention citoyenne sur le climat et soutenir l’inclusion de l’objectif climatique dans la Constitution. Le reste relève de la liberté, liberté de recherche, liberté d’alliances industrielles, liberté d’échanges. Et de la souveraineté européenne à incarner et construire, c’est-à-dire de l’attention stratégique de la puissance publique. La décroissance ne conduirait à rien de cela, pas davantage que les logiques prescriptives, les interdictions, la planification impérative d’un autre âge ou l’opposition de la précaution à la science.
La décroissance ne concourt pas au développement durable. Il n’y a pas de défi environnemental qui se tienne sans, en parallèle, une action sociale efficace et un soutien ajusté à l’économie et à ses réalités. La violence de la crise des gilets jaunes doit pouvoir nous le rappeler, si l’on en doutait. La France est percluse d’inégalités criantes, que la crise sanitaire rend plus insupportables encore. Il y a les inégalités sociales, générationnelles, territoriales. Et les inégalités de destins. Comment les réduire si on n’investit plus, ne cherche plus, ne produit plus, n’emploie plus ? Sur ma route, je traverse parfois des zones blanches. Elles sont bien plus nombreuses que l’on croit dans nos régions. Or, comment vivre, travailler, entreprendre loin du haut débit, voire même de tout débit ? Plus que d’impératifs, il s’agit là fondamentalement de droits auxquels un contenu doit être donné et seule une démarche de croissance y mènera, tant par la création de valeur que par les recettes fiscales qui y seront associées. C’est un exemple parmi d’autres, mais un exemple qui ne cesse pourtant de me frapper. Ce n’est pas en la mettant à l’arrêt que l’on décarbonera l’économie, c’est en la mettant en mouvement, en travaillant différemment et sans doute aussi davantage.
Ecrire ceci me ramène à ce que furent mes interrogations, puis mes choix à l’Assemblée nationale dans la précédente législature. Devais-je, député et homme de gauche, soutenir une politique économique faisant une part inédite à l’offre ? Je mesurais l’écart de ces choix par rapport aux attentes et aussi à la tradition d’une politique économique de gauche, fondée sur la demande. Je les fis cependant en conscience, dans une démarche de dépassement, sans doute parce que j’avais mesuré les contraintes de l’économie française dans ma vie d’avant. L’investissement repartit. A la sortie de la crise actuelle, il faudra poursuivre dans cette voie de soutien aux entreprises et prendre soin en particulier de réformer l’outil de formation, qui reste un maillon faible. Le monde d’avant ne reviendra pas. Dans l’épreuve, le plan de relance offre des volumes de crédits insoupçonnés. On a coutume, un peu trivialement, de dire que l’histoire ne repasse pas les plats. J’ai ce sentiment-là en ce moment. C’est de la capacité de faire usage du plan de relance, d’investir stratégiquement dans des secteurs décisifs et de renforcer la compétitivité de l’économie française que dépendront largement le combat pour l’environnement, la résilience à la crise climatique et l’avenir de notre société.
Certes, mais le croissance du PIB est nourrie par la consommation de biens totalement inutiles achetés par les plus riches d’entre nous, mais pas seulement. Des logis de grandes tailles, secondaires, tertiaires, chauffés et climatisés, des voitures qui roulent à 200 à l’heure, des voyages intercontinentaux sans nécessité, des ordis sur dimensionnés et périmés en quelques années, des vêtements jetés au bout d’une saison,
La surconsommation est une condition impérative de la croissance du PIB. Autrefois c’était la jouissance pour certains sans autre conséquence que la fabrication de l’envie chez d’autres qui alimentait le mécanisme. Depuis que la question du climat est posée, cette surconsommation est reconnue comme néfaste. Alors la croissance de quoi est-elle possible ? La croissance de la consommasse de quels produits sans impact sur le climat est-elle souhaitable ?
Comme souvent sur ce thème vous n’avez pas de réponse à ces questions.
il va falloir y répondre cependant.
Cher Yvon, merci pour ton commentaire. Je te rejoins totalement sur la surconsommation. Je pense sincèrement que la crise climatique fait évoluer les comportements, certes trop lentement encore. Il y a une qualité de la croissance à rechercher. La défense de la croissance que j’esquisse épouse la recherche d’équipements et engagements collectifs structurants et durables, comme la construction du canal Seine-Nord, qui contribuerait considérablement la circulation routière dans le nord-est de la France et le Bénélux, l’isolation thermique de tous les logements ou bien encore le développement du stockage de l’énergie.