Il y a quelques mois, j’ai rejoint le monde de la normalisation. J’occupe à Bruxelles la fonction de directeur au sein de la structure commune au CEN (Comité européen de normalisation) et au CENELEC (Comité européen de normalisation électrotechnique). Mes responsabilités couvrent la gouvernance, les affaires juridiques, la stratégie et les relations avec les 34 organisations nationales membres. Il existe 3 organisations européennes de normalisation : le CEN, le CENELEC et l’ETSI (European Telecommunications Standards Institute). Le monde de la normalisation est relativement méconnu du grand public et cela peut paraître surprenant au regard de son impact tant la normalisation est finalement tout autour de nous. La page au format A4, c’est une norme. Le format des cartes de crédit et documents d’identité, c’est une autre norme. Des normes, il y en a dans tous les domaines, pour les marchandises et les services. Certaines sont récentes, d’autres très anciennes. Ces normes peuvent être nationales, européennes ou internationales. Cela fait des décennies que la normalisation est à l’œuvre et on le sait assez peu. En Autriche, où je me suis rendu en début de semaine, cette année 2021 est celle du centenaire d’Austrian Standards, l’organisation nationale de normalisation.
Pourquoi normaliser ? Pour améliorer la qualité et la sécurité d’un produit ou d’un service, pour encourager la productivité et l’innovation dans l’économie, pour créer de la valeur et de l’emploi, pour diffuser le progrès et en assurer le partage, pour asseoir la compréhension et la confiance des consommateurs et des citoyens que nous sommes tous. J’ai choisi de rejoindre le monde de la normalisation car je le crois plus que jamais essentiel pour répondre aux périls et défis de notre temps. C’est l’identification d’un besoin qui entraine la définition d’une norme, non par les pouvoirs publics, mais par tous les acteurs économiques concernés eux-mêmes. Je crois aussi en la méthode : c’est au consensus et en lien étroit avec la société civile (organisations de protection de l’environnement, des consommateurs et de protection des travailleurs) que les normes voient le jour. Ce travail est considérable et continu. Chaque jour, des milliers d’experts de la normalisation se réunissent, échangent, écrivent, co-construisent dans nos capitales, à l’échelle européenne ou à celle du monde. Une norme européenne, lorsqu’elle voit le jour, vient ainsi se substituer aux normes nationales et le marché unique en bénéficie. C’est du progrès concret, tangible, mesurable et réel.
J’ai été un législateur, j’ai travaillé au contact d’exécutifs nationaux et internationaux durant des années. J’ai depuis longtemps la conviction que la loi et le pouvoir réglementaire n’ont pas réponse à tout et que beaucoup repose aussi sur la responsabilité des entreprises et autres acteurs de l’économie de marché, société civile incluse. La normalisation en est l’une des expressions. L’objectif de neutralité carbone pour 2050 requiert un effort considérable de normalisation et donc l’appropriation par les entreprises de cet objectif pour lequel elles possèdent une bonne part des réponses. Dans des domaines aussi divers que l’isolation thermique des bâtiments, la construction et l’équipement, la production d’énergies vertes, l’agriculture, les transports ou la qualité et la performance environnementale, il y a un champ considérable de domaines à explorer et investir par la normalisation au bénéfice de la mise en œuvre de l’Accord de Paris sur le climat. Il en est de même de la digitalisation de l’économie et de notre société pour en accélérer le mouvement et le sécuriser, pour en assurer la diffusion sur chaque territoire et au bénéfice de tous. Cette dimension concrète, seule une action de normalisation, utilement articulée avec les autorités publiques, peut y conduire.
Lorsque j’ai pris mes fonctions dans le courant de l’été, une expression m’a surpris. Je la cite en anglais car elle est moins spontanée en français : « Welcome to the standardization family ! ». Il y a en effet un réel sens de communauté au sein du monde de la normalisation. J’y rencontre des femmes et hommes passionnés, qui en ont fait non seulement leur carrière, mais au fond l’une des causes aussi de leur vie. Je l’ai vu durant les trois jours que j’ai passés à Vienne pour la célébration des 30 ans de l’Accord de Vienne entre le CEN et l’ISO (International Organization for Standardization) et la session du comité présidentiel du CEN et du CENELEC. C’est affaire d’engagement, de conviction, d’enthousiasme aussi. Il s’agit de fédérer des gens et des organisations, des histoires industrielles et des projets. Je le ressens également avec les nombreux jeunes talents avec lesquels je travaille à Bruxelles. J’ai une génération de plus qu’eux, un parcours de juriste là où les ingénieurs sont plus nombreux. J’apprends d’eux autant que j’essaie de transmettre de mon propre itinéraire dans l’industrie, puis dans la vie publique, nourri par la solidarité, le progrès partagé et la liberté. Il y a tant à faire, tant à entreprendre pour construire un avenir meilleur et la normalisation européenne, par son travail, prend toute sa part de l’effort à venir.
Très intéressant!!! C’est un métier et une passion à la fois et je vous en félicite. Là ou le juriste manque, il y a l’ingénieur qui prend le relais et vice-versa. C’est une véritable opportunité ou on apprend la complémentarité des différentes disciplines et sciences et là ou les sciences dures et humaines se croisent pour rendre le vécu et le quotidien plus subtile et plus viable, sans que la plupart des gens ne s’en rendent compte de la complexité du travail déjà effectué.
Votre expérience et votre savoir sera une autre valeur ajoutée à cette équipe et l’institution. Très bon vent et bon courage pour la suite.
Ne pas oublier la portée géopolitique et économique de la normalisation. La mise aux normes a un coût qui peut être élevé et représenter une vraie barrière à l’entrée sur certains marchés (Protectionnisme masqué?). C’est également une munition économique lorsque la norme d’un pays devient la norme plus large entrainant des investissements de mise à niveau pour les autres. Au niveau européen il est important de converger pour simplifier la vie des entreprises à travers le marché unique. Je garde un souvenir cher de débat entre ingénieurs ferroviaires allemands (DIN) et français (NF) sur l’épaisseur et le nombre de couches de peinture à appliquer sous une tête de vis pour qu’elle ne risque pas de se desserrer en service. Bonne chance dans cette nouvelle aventure.
Un tout grand merci. C’est une activité passionnante et tellement essentielle pour l’avenir.
Tout à fait d’accord, la géopolitique de la normalisation est un enjeu considérable, à l’échelle européenne bien sûr, mais certainement davantage encore à l’échelle planétaire (ISO).