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Chemins d’Europe

La pause de fin d’année prendra fin dans quelques heures. Famille espagnole oblige, nous l’avons prolongée jusqu’à l’arrivée des Rois mages. Gaspard, Melchior et Balthazar sont passés avant-hier et il est temps désormais de retrouver le mois de janvier, le nord, la pluie (sûrement) et le froid (peut-être). J’ai aimé ces deux semaines loin de la vie quotidienne. J’en avais besoin, cette année plus encore que les précédentes. Un second Covid m’avait mis à plat au début décembre et je voyais dans ces fêtes de Noël comme un objectif, un Graal étrange et merveilleux pour retrouver la forme et l’énergie qui m’avaient abandonné, malgré la frénésie de la Coupe du Monde de football. Je me réjouissais aussi de lire dans les yeux de mes enfants, par-delà le temps qui passe, la magie renouvelée de Noël et des fêtes. Il y a la part de rêve qui demeure, les cadeaux et, plus que tout, les retrouvailles familiales, cette joyeuse troménie qui, d’année en année, nous conduit par la route et par les airs chez moi dans le Finistère, puis à Grenade et en Andalousie rurale, là où vit notre famille espagnole. Nous reviendrons demain à Bruxelles les valises chargées de présents, souvenirs et autres denrées culinaires, locales et utiles qui rendront les mois d’hiver à venir moins longs, moins durs et aussi plus heureux.

Je n’ai pas l’esprit religieux, mais je célèbre Noël avec tendresse et conviction. Je sais d’où je viens. Je me souviens de ma grand-mère qui me racontait avec pudeur et émotion combien l’orange reçue à Noël, seul cadeau que ses parents pouvaient lui offrir, avait pour elle une valeur immense. Son Noël n’en avait que plus de force et de sens. Ce souvenir m’est cher et, à dire vrai, il m’émeut toujours autant. Ce sont des images, des témoignages venus de loin et quelques objets, souvent modestes, qui font le caractère unique de Noël. Ce sont aussi des promenades et des marches au gré de rues illuminées et dans le silence de la campagne ou de la mer. A l’Ile-Tudy, nous avons arpenté la plage de l’été dans la lueur particulière d’un soir de décembre. Il fallait avancer vite pour retrouver notre chemin à l’approche de la nuit et de la pluie. En Andalousie, nous avons marché sous la lune au milieu des amandiers. Il faisait froid et les arbres tendaient vers le ciel leurs fines branches, comme s’ils attendaient de la pleine lune le signe fragile de la floraison à venir. La mer en Bretagne, la terre du côté de Grenade et d’Almeria, les histoires contées et partagées ont fait de ces vacances des moments doux et heureux. Nous avons parlé de nos Noëls d’avant et un peu aussi de ceux d’après.

Les paysages en hiver me touchent. Je suis un Breton rompu au vent, à la pluie et aux tempêtes. J’y suis sensible, j’en ai même presque besoin. Je crois bien qu’il me manquerait quelque chose dans un Noël sans bourrasque. A condition bien sûr que, fuyant les éléments déchaînés, je trouve par chance, miracle ou soudaine inspiration une crêperie et, derrière sa lourde porte, une joyeuse assemblée et les effluves revigorantes du froment. J’ai appris aussi à connaître et aimer les paysages andalous, les collines parsemées d’oliviers, ces espaces de terre et de vie où l’histoire est une conquête et la recherche de l’eau l’est tout autant. Dans l’oliveraie de notre famille espagnole, décembre est le temps de la récolte. Sur les petits arbres, trop jeunes encore pour être soumis aux machines, nous faisons la cueillette à la main. Mes enfants courent avec leurs petits paniers chargés d’olives. Ils grimpent parfois sur le tracteur et participent ainsi à la récolte d’un peu plus haut. Petits, ils avaient découvert aussi la récolte des amandes. Des générations ont planté et entretenu ces arbres, vivant les bonnes et les moins bonnes années, sans jamais renoncer. Tant de paysages d’Europe, dans leur diversité, sont le fruit de siècles d’abnégation à la tâche pour défricher, protéger, planter.

Les paysages européens racontent notre histoire. J’aime les coins perdus, improbables, authentiques. J’aime les moments d’échange, simples et chaleureux, que les fêtes rendent plus faciles ou spontanés. Nous avons eu la chance durant notre séjour andalou de rouler vers l’est, vers les parties les plus arides de la province d’Almeria, où je n’étais jamais allé. Le champ d’amandiers de notre famille était à plus de 1000 mètres d’altitude. Il faisait froid sous la lune. J’essaie de l’imaginer en fleurs dans quelques semaines. J’en ai vu les photos. Et plus tard aussi, sous la chaleur écrasante de l’été. Il y a tant à apprendre de la terre, à voir et à comprendre du cycle des saisons. Il y a tant aussi à faire pour défendre et promouvoir ces territoires lointains des plus grandes villes, entreprendre et faire croître une économie, défier la désertification et donner sens aux solidarités. C’est cela aussi, l’Europe : la liberté, la dignité, l’égalité, entre autres valeurs qui fondent notre identité commune. Les temps incertains et difficiles que nous traversons n’en soulignent que davantage l’actualité, l’urgence et le sens, comme un devoir pour 2023, comme une promesse aussi. Demain, en route vers Bruxelles, ces sentiments, ces images et ces espoirs m’accompagneront.

2 commentaires

  1. Hélène MASLIAH-GIKAROV

    Un très beau texte, merci ! Bonne année 2023!

  2. Un tout grand merci, chère Hélène! Bonne et heureuse année 2023!

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