Je suis un gars de Quimper. C’est banal d’écrire cela, et cela doit l’être d’ailleurs. Car des gars de Quimper, il y en a beaucoup. Le gars de Quimper que je suis, cela fait longtemps qu’il n’y vit plus. La vie, les études, les jobs m’ont conduit ailleurs, à l’étranger. Je me sens pourtant toujours, profondément de Quimper. Quimper sonne comme une émotion, quand j’en entends le nom, quand j’aperçois les flèches de la cathédrale dans le soleil qui se couche au bout d’une trop longue route, quand je descends du train, heureux, et que je lis le panneau sur le quai qui me dit que oui, enfin, je suis arrivé. J’ai dans la ville mes souvenirs, une identité, une part de mes rêves certainement aussi. On ne se refait pas, Quimper fut ma meilleure jeunesse. J’ai l’impression d’en être à jamais, malgré les années qui ont passé, l’éloignement. Je suis tellement d’ici. Je suis né à Quimper, à la clinique du Sacré-Cœur, entre la route de Douarnenez et la route de Locronan, il y a maintenant longtemps. Ce matin de novembre, j’avais pris un peu d’avance et mon père, quittant derechef ses potaches du Lycée La Tour d’Auvergne pour le sprint de sa vie par la rue Kéréon et celle du Chapeau-Rouge, avait pu mesurer à l’arrivée que son fils était pressé de voir le jour et de voir sa ville.
J’aime Quimper. Quand j’y suis, quand je n’y suis pas aussi. Si les réseaux sociaux n’existaient pas, notre ville, je la verrais moins. Je la retrouverais dans la presse ou par les vieux articles, comme ce journal du jour de ma naissance consulté un jour aux archives départementales à Ty Nay et qui m’avait appris que ce mercredi-là, une voiture avait fini dans un platane le long de l’Aulne à Châteaulin … et que Lyndon Johnson avait été réélu Président des Etats-Unis. Mais les réseaux sociaux ont tout changé. Il y a sur Facebook un groupe de bientôt 13 000 abonnés, intitulé « Quimper, photos d’antan et d’aujourd’hui », qui nous raconte Quimper chaque jour. J’adore ce groupe, créé et animé par Lili Rose Prigent à qui, comme certainement bien d’autres abonnés, je voue une reconnaissance infinie. On n’imagine pas le bonheur que c’est, à distance, de lire un commentaire et des souvenirs, de voir des photos, d’échanger tout simplement sur Quimper, qui nous réunit virtuellement et passionnément. Se retrouver, faire connaissance, mettre des noms sur des visages, sourire, rire peut-être, évoquer des souvenirs et des peines parfois aussi, parce qu’ainsi vont les choses de la vie. Quimper est un creuset, un état d’esprit, une joie. Notre ville a une belle âme.
J’aime l’Odet, le Frugy, les rues pavées et pentues, notre vieux théâtre. Mais j’aime aussi Kermoysan et la ZUP, la gare et l’Eau blanche. Quimper ne se divise pas, Quimper s’aime entièrement. J’ai vécu rue Vis, avenue de la Libération, rue Henri-Barbusse. Je me souviens, rue Vis, des agriculteurs … et des cochons réunis la nuit devant la permanence de Marc Bécam. Je n’étais pas bien grand alors. Je me souviens aussi, ce matin de février 1969, de la tribune dressée sur la Place de la Résistance pour le Général de Gaulle, pour ce qui serait – mais on ne le savait pas encore – son dernier discours aux Françaises et Français. Je me souviens – j’avais grandi – des halles en feu à l’été 1976, des arbres couchés par l’ouragan en octobre 1987, des inondations terribles de décembre 2000 et d’une ville sous les eaux. Je me souviens des lumières du Stade de Penvillers au-dessus de la ville les soirs de grands matches, de la visite de la Reine-mère d’Angleterre à notre Santig Du et de sa Bentley garée devant la cathédrale. Je me souviens des cinémas au bord de l’Odet, des thés fumés au Café de l’Epée partagés jusqu’au bout de la nuit avec une amie qui m’est chère et qui se reconnaîtra sûrement. Je me souviens du Canard bleu, des musiques et des fêtes, des binious et des bombardes en action.
Dans les rues de Quimper, j’ai tant couru aussi. C’était la Fête de la Jeunesse, le rendez-vous des écoles publiques à l’approche de l’été, les courses de relais depuis la Place de la Tour d’Auvergne jusqu’à la Salle Omnisport, où le maire Léon Goraguer nous féliciterait d’avoir participé. Je courus également, certes un peu plus tard, pour échapper aux CRS qui chargeaient les manifestants contre la centrale nucléaire de Plogoff, parmi lesquels des lycéens chevelus dont j’étais. Les rues de Quimper, je les ai arpentées aussi sur mon beau demi-course Arrow – jusqu’à la “garenne casse-cou” et ses 15% à faire exploser les rotules – puis sur une belle mobylette Motobécane 51 Super. Années d’adolescence et d’insouciance, premières années de l’âge adulte aussi, quand, par la chance de stages au Télégramme de Brest, j’appris à vivre notre ville par les histoires à écrire, les témoignages à recueillir, la bienveillance de mes rédacteurs Jean Bléas et Claude Péridy. Il y avait tant à raconter, même les jours où la page menaçait d’être blanche. Quimper ne manquait pas de traces. J’aimais celles de Max Jacob, là-bas, sur le chemin de halage, non loin de mon école, à Kervilien. J’avais un instituteur qui, tout petit, le croisait lors de ses promenades. Il nous avait fait lire ses poèmes. Je fus conquis. Je le reste pour toujours.
Voilà, tout cela, c’est Quimper. C’est cette émotion qui traverse une vie. C’est une reconnaissance, une fierté aussi, celle d’aimer une ville particulière. Ce sont des souvenirs, un peu de nostalgie sûrement, et c’est l’avenir. J’aime l’idée que notre ville change, qu’elle bouge, qu’elle vive avec son temps. J’ai eu un petit coup de blues quand les tribunes du stade de Penvillers ont disparu, même si cela faisait bien longtemps que le Stade Quimpérois de mon enfance n’y jouait plus non plus. Ce sont d’autres temps, l’université est arrivée, le théâtre de Cornouaille a ouvert, une nouvelle salle de sport viendra bientôt, comme la passerelle toute jaune de la gare. Je scrute chaque jour les nouvelles de Lili Rose et des milliers d’abonnés du groupe de Quimper. Une photo fait mon bonheur. Ma maman me découpe les bons articles de presse. Et puis je m’en remets, grâce à Bernard Lahrant, aux trépidantes aventures quimpéroises de Paul Capitaine et, grâce à Jean Failler, à celles non moins enlevées de Mary Lester. De la rue Théodore-Le-Hars à la venelle du Pain-Cuit, il se passe décidément beaucoup de choses chez nous. De ma petite pièce sous les toits à Bruxelles, au milieu des livres et des souvenirs, Quimper n’a pas fini d’occuper ma vie et mes rêves.
Très beau texte qui ravive la Madeleine de Proust. Expatrié sur plusieurs continents depuis 28 années, j’y reviens toujours chaque été avec grand plaisir. Mais je dois avouer que je la quitte aussi avec soulagement… pour pouvoir l’apprécier l’année suivante.
Bravo et merci pour ces belles phrases… Je ne suis pas natif de Quimper mais je suis un voisin de Carnoët, un petit Bourg des Montagnes Noires dans les Cotes du Nord débaptisée Côtes d’Armor puis exilé par la suite à Ernée dans la Mayenne puis à Digne dans les Basses Alpes débaptisées également Alpes de Haute Provence… Malgré son ciel toujours bleu et ses 365 jours de soleil annuels j’ai quitté Digne où j’étais heureux de vivre pour retrouver un coin de ciel breton et j’ai atterri dans votre belle Ville de Quimper en 1970… J’ai lu votre prose avec une avidité jalouse mais nous avons toutefois un point commun : celui d’être tombé amoureux de Lili Rose et de son site rassembleur de la vie Quimpéroise d’antan et celle d’aujourd’hui..
Merci, Hervé. Votre message me touche beaucoup. Avoir Quimper en commun ne requiert pas d’y être né, mais bien d’aimer cette ville unique, son histoire, les femmes et les hommes qui la font vivre, et puis son avenir aussi. Des gens comme Lili Rose, par exemple!
Merci, Max. Quimper est comme un aimant, on y revient toujours. C’est une ville qu’on ne quitte jamais vraiment.