J’écris ces lignes dans une chambre d’hôtel de Pau. Pas loin de moi, une petite télévision diffuse les images des Jeux Olympiques de Paris. Il y a une heure, nos rugbymen bleus ont remporté la première médaille d’or pour la France. De la terrasse de l’hôtel un étage plus bas monte une rumeur gourmande, celle qui attend l’exploit, celle qui révèle le bonheur tout simplement aussi. Hier soir, j’étais dans un petit hôtel au bord de la Creuse. J’étais arrivé pile pour la cérémonie d’ouverture des Jeux. Je n’avais pas fait exprès, mais ça tombait quand même bien. Je mourais de faim et ne pouvais me résoudre à jeuner dans ma chambre pour ne pas rater la cérémonie. Manger ou célébrer, je ne pouvais choisir. Une petite table me fut prestement dressée dans le bar, face à un grand écran. C’était un privilège. Au départ, j’étais tout seul, mais quand Zizou remit la flamme à Rafael Nadal deux ou trois heures plus tard, il n’y avait plus une chaise de libre. Et quand Céline Dion reprit l’Hymne à l’amour depuis la Tour Eiffel, il n’y avait plus un œil de sec. Le patron en oubliait de servir les clients, la patronne ne bougeait plus. Le moment était immense. Il tombait des trombes d’eau comme à Paris, mais l’émotion était indescriptible. Tout était sublime, juste, surprenant aussi. C’était la France. C’est la France.
Je suis dans ma transhumance estivale, celle qui me conduit chaque fin de mois de juillet de Bruxelles en Galice. 2 300 kilomètres de route pour retrouver ma famille, installée depuis quelques semaines déjà à La Corogne. J’aime cette longue route que j’accomplis en solitaire. Je la fais en 3 jours, sans me presser, prenant parfois des chemins de traverse pour m’arrêter là où bon me semble. Cela me rappelle mes vacances d’enfant lorsque, assis à l’arrière de la voiture familiale, je voyais défiler avec bonheur les paysages changeants de notre pays, petit Breton à la recherche du premier toit en tuile, comptant les châteaux d’eau en attendant les premiers reliefs. Il y avait moins d’autoroutes qu’aujourd’hui. Et mon père aimait s’arrêter déjeuner, prendre le temps, sentir les régions que nous traversions. J’ai hérité de tout cela. J’ai à jamais dans la tête une géographie de la France par département et la carte des sous-préfectures. Je crois bien que si je m’écoutais, ce ne sont pas trois jours qu’il me faudrait pour rejoindre La Corogne, mais une bonne semaine. Chaque été, je me dis que la France est belle. Je le sais bien pourtant, mais cette vérité me rattrape sous le soleil et parfois la pluie, face à une montagne ou un clocher, dans un petit bistrot ou sur un banc. Notre pays est une source inépuisable d’émotions.
Les Jeux Olympiques lui feront, nous feront du bien. La joie d’hier et celle des semaines à venir rassembleront des millions de personnes. On laissera de côté les angoisses et les colères, l’interrogation sourde et taraudante sur l’avenir, le temps d’une longue fête, le temps de se retrouver. Pensant à ma longue route vers cet autre Finistère, j’imaginais il y a quelques jours que l’esprit des Jeux agirait peut-être comme un baume et que je le ressentirais sur ma route. Je le souhaitais bien sûr. Nous sortons de semaines et de mois suffocants. A l’évidence, le baume est efficace et il est tellement bienvenu. Mon épouse espagnole me dit souvent que les Français sont grognons, râleurs et chauvins. Ce n’est objectivement pas très faux. Mais nous sommes capables aussi d’enthousiasmes indescriptibles, de joies nationales qui rassemblent celles et ceux qui d’ordinaire voient plutôt le ciel tout gris que très bleu. Cela nous dit une chose : non seulement il n’est pas interdit d’être heureux, mais c’est même possible. Je me suis autorisé à l’écrire entre hier soir et ce matin à quelques pisse-vinaigres et autres peine-à-jouir que le bonheur français fait chroniquement enrager. La sinistrose n’est pas ma tasse de thé. Et s’il est un grand remplacement auquel je crois, c’est celui de la déprime par la ferveur collective.
Au temps de mes châteaux d’eau, il y avait une chanson d’été indémodable, Une belle histoire, interprétée par Michel Fugain. « C’est un beau roman, c’est une belle histoire, c’est une romance d’aujourd’hui… », l’histoire d’un type qui rentrait chez lui là-haut vers le brouillard et d’une femme qui descendait dans le Midi. Ils s’étaient trouvés au bord du chemin, sur l’autoroute des vacances, c’était sans doute un jour de chance, ils avaient le ciel à portée de main. Cette chanson s’échappait du petit transistor rouge de mon père, été après été. Je l’attendais. Elle avait pour moi les saveurs des beaux jours, l’odeur des foins et les images des routes de France. Elle annonçait le soleil et l’insouciance. Cinquante ans ou presque après, je me surprends chaque fois à la fredonner durant ma transhumance estivale, comme pour retrouver ce temps lointain. C’est une belle chanson, largement intemporelle. Elle a toujours sens aujourd’hui. J’aime l’été parce que l’air est léger. Je l’aime aussi parce qu’il appelle le rêve et l’espérance. Et comme le chantait Nino Ferrer dans Le Sud, une autre chanson du temps de mes châteaux d’eau, « le temps dure longtemps, et la vie sûrement, plus d’un million d’années et toujours en été ». Je retrouve l’esprit de l’été dans la beauté des paysages de France.
Je n’avais pas envie de finir dans un bouchon ce matin. J’ai traversé la Corrèze par les routes départementales. C’était génial. J’ai pensé à Jacques Chirac. Et à François Hollande aussi. Tulle, Brive-la-Gaillarde, Collonges-la-Rouge. La pluie avait cessé. A la radio, on parlait avec émotion de la cérémonie d’ouverture des Jeux. Je me suis retrouvé sur le Causse. C’était le début du sud. J’avais de l’avance. Pourquoi arriver trop tôt à Pau ? Avant d’aller acheter mon Jurançon, je suis allé voir le col du Tourmalet. Je ne le connaissais que de la télévision. Il me manquait juste le vélo. Il y a une semaine, j’escaladais les cols des Vosges. La fièvre des ascensions me gagne en fin de cinquantaine. Il faudra que je revienne sur ces pentes pyrénéennes. A Sainte-Marie-de-Campan, j’ai aperçu la statue d’Eugène Christophe et sa fameuse fourche réparée chez le forgeron durant le Tour de France de 1913. Mon père connaissait l’histoire par cœur et il me l’avait apprise. Tout en haut du col, la profondeur du ciel était immense. Je me suis arrêté longtemps, comme pour en faire provision. Des cyclistes passionnés grimpaient. Quelques moutons leur disputaient la chaussée. C’était calme et doux. Dans ces paysages, il y avait cette beauté et cette force d’âme qui ne cesseront jamais de m’émouvoir et de me rappeler combien j’aime la France.
Très beau texte, Pierre-Yves mais tu parles à un convaincu.
Je n’ai pas encore grimpé le Tourmalet on lz fait au printemps prochain ?
Chiche
Magnifique voyage à travers la France que j’aime. Merci cher Pierre-Yves. Avez-vous pensé à rassembler ces chroniques pour les publier?
Si tu es partant, ce serait une bonne idée. J’ai trouvé la montée par Barèges plus terrifiante que celle par Sainte-Marie-de-Campan car il y a de longues lignes droite à pas loin de 10%. Et le col tout en haut, à près de 1200 mètres au-dessus! Vive le vélo!
Merci, chère Monique. Je pense en effet à réunir certaines chroniques et les appeler “Sur ma route”.