Hier, le temps des vacances a pris fin. Nous avons bouclé les valises, le cœur lourd et pourtant plein de reconnaissance. Comme chaque été, au moment de partir, il faisait beau à l’Ile-Tudy. Une belle arrière-saison s’annonce, malheureusement sans nous. C’est le temps de la rentrée, des classes pour les enfants, des bureaux pour les parents. Nous avons fait la plus grande provision possible de souvenirs. Il le faut. Lorsque le temps deviendra froid et que les jours seront courts, là-bas dans notre lointaine et parfois pluvieuse Belgique, nous penserons plus intensément encore au bonheur des jours d’été, à la lumière unique des rivages bigoudens et aux joies sans fin d’un mois d’août îlien. Signe du temps, là où apparaissait auparavant une trentaine de clichés précieusement développés chez le photographe, ce sont désormais des centaines de photos qui finissent sur le cloud, témoins à foison de moments heureux. Ces clichés racontent une histoire, que les années rendront sûrement plus forte encore. Je les ai regardés ce matin au moment de partir. Il y avait des tas d’images sur la plage, de parties acharnées de foot et de rugby, de châteaux de sable impressionnants que la mer emporterait pourtant et de courses olympiques de petits crabes pêchés à l’épuisette, puis prestement rendus à la vie marine.
Il y avait surtout des enfants. Les miens et bien d’autres aussi. C’est le miracle de l’été, celui des amis que l’on rencontre, que l’on retrouve et que l’on garde. Au club de voile, sur le sable de la plage, au hasard un jour d’un voisinage, des copains apparaissent et s’agrègent, chaque été un peu plus forts, un plus grands, toujours heureux, avec tellement d’histoires nouvelles à partager, celles du temps qui marque le passage à venir de l’enfance à l’adolescence. Dans mon cloud, je suis passé ainsi en quelques années des pelles et seaux des premiers pas au natathlon, au rugby et aux catamarans. Le ballon ovale acheté au sortir de la Coupe du Monde est devenu le héros de l’été. Le terrain tracé à la va-vite sur l’étendue de sable libérée par la marée ressemblait chaque soir au Stade de France un soir de légende. Les joueurs étaient exténués, peu présentables et irrésistiblement acharnés à l’emporter. L’essai était-il donc valable ? Les commentaires allaient bon train et l’arbitre – merci, Simon – avait fort à faire pour maintenir la paix des braves et les amitiés joyeuses dans leur quête d’avenir. Parfois, les matchs s’éternisaient jusqu’à plus d’heure. Une partie de molkky venait prestement sceller la réconciliation, là où les choses paraissaient mal embarquées après un essai ou un en-avant douteux.
Je me souviens de mes étés d’enfance. A une génération d’écart, ils avaient cette saveur aussi. Lorsque venait le mois de juillet, nous arrivions à Loctudy, dans un petit verger, pour y planter nos tentes canadiennes. Les amis de l’été d’avant étaient là. Ils nous attendaient. Nous reprenions les jeux, les plaisanteries, les bêtises aussi, là où nous les avions laissées. Courir dans le blé, se promener la nuit en cachette des parents, attacher des boîtes de conserve à l’arrière des voitures, nous ne rations rien. J’ai le souvenir de fous rires, d’espiègleries et de quelques aventures foireuses pieusement pardonnées puisque c’était les beaux jours. Nous avons grandi ainsi, amis d’été, que quelques semaines chaque année rassemblaient intensément. C’était juillet ou c’était août. Ce n’était jamais un autre mois. Le reste de l’année, nous étions loin. Une ou deux fois, j’avais vu l’hiver un ou deux copains d’été. Ils avaient des manteaux et des bonnets. Quelque chose n’allait pas. Les souvenirs, c’est en maillot et en t-shirt que nous les construisions. Nous étions les amis des jours longs et des nuits claires. Le froid ne faisait pas partie de notre histoire. Le soleil rendait tant de choses possibles. Le reste de l’année, c’est à l’été d’après que nous rêvions, comme mes enfants hier au moment de dire « à l’année prochaine ».
Rien n’est plus précieux que ces moments-là. Ils sont des repères pour toute une vie. L’enfance est une fabrique formidable de souvenirs. J’ai longtemps gardé les miens pour moi, je ne sais trop pourquoi. Ils étaient bien présents pourtant. Et puis, devenu père, titillé par des enfants aussi curieux que tenaces, j’ai commencé à les raconter. Il m’arrive encore de me remémorer des histoires lointaines et enfouies, qu’un échange, une anecdote, une image, une musique font ressurgir là où je ne les attendais plus. Mes étés d’un autre siècle ne sont pas récents, mais ils ont beaucoup compté dans mon parcours de vie. On ne dit jamais assez merci aux amis d’été. Sans doute parce que l’on n’y pense pas dans l’instant, parce qu’un été en appellera nécessairement un autre et que l’on se retrouvera forcément. Un jour pourtant, le temps s’espace. Il reste malgré tout une fidélité, une affection, une tendresse à jamais. Et sans doute, vertu de ce nouveau siècle, des adresses et des réseaux qui préservent du risque de l’oubli, pour que vivent les souvenirs des seaux, des pelles, des vélos, des voiliers et des ballons aux côtés des visages des amis d’été et des aventures partagées. Le temps de ce bonheur n’est jamais de trop. Il faut le chérir, le faire vivre et ne jamais cesser de vouloir le transmettre.
A la mémoire de mon ami R., pour les faits et méfaits de nos étés bigoudens, et nos fous-rires à jamais dans mon cœur.
J aime vos écrits.
Celui-là, il resemble au dernier coucher du soleil sur la mer.
Cette lumiere dorée absorbant toute nôtre concentration pour finir à jamais dans notre mémoire.
Je vous souhaite une bonne rentrée.
Un grand merci, cher Bruno. C’est vraiment cela, comme un dernier coucher de soleil sur l’océan qui nous faisait face, en rêvant déjà du retour sur la plage fétiche de l’été.