J’ai repris il y a quelques jours mon enseignement à l’Ecole de droit de l’Institut d’études politiques de Paris sur la crise climatique et les droits de l’homme. C’est un atelier juridique que j’avais imaginé en 2018 pour approfondir les liens entre la crise climatique et la mise à mal des droits fondamentaux. Dans les échanges à l’Assemblée nationale et au Conseil de l’Europe, il m’arrivait régulièrement de croiser ces sujets, de souligner auprès de collègues parlementaires et de personnes rencontrées l’importance des droits de l’homme au regard des nouveaux périls pour la planète, sans jamais cependant trouver le temps de le formaliser et d’écrire. Hors de la vie publique, ce petit atelier juridique m’en a finalement donné l’occasion. Je l’ai imaginé comme un échange avec les étudiants. Je ne suis pas professeur de droit, mais j’ai été législateur et dans une vie antérieure un cadre de service juridique d’entreprise. Sans doute est-ce cette expérience-là que je leur apporte lorsqu’eux m’apportent leurs interrogations, leur volonté d’agir, la fougue de leur jeunesse. J’aime cet échange parce que je ressens comme un partage la passion que je nourris pour le droit.
Il m’est arrivé parfois d’être taxé de « droit de l’hommiste », expression derrière laquelle il faut, pour ceux qui l’emploient, entendre naïveté, faiblesse de jugement et autre béatitude. Ce n’est guère flatteur. Je ne suis rien de cela. Je me souviens d’un débat vitaminé à l’Assemblée nationale sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui m’avait valu, parce que je ne partageais pas le point de vue de ceux de mes collègues qui souhaitaient que la France dénonce la Convention européenne des droits de l’homme, d’être accusé de préférer les terroristes à leurs victimes. Dans des moments tels, il faut rester calme et serrer les poings. Et argumenter, encore et toujours, sur le sens des droits fondamentaux dans nos sociétés, en particulier à l’échelle européenne et internationale. Mon atelier juridique est né sur la question climatique et je l’ai élargi cette année à la crise sanitaire. Cette pandémie qui ravage le monde est un drame et un défi. Comme je parle de justice climatique et de préjudice écologique, je devais parler également du respect de l’Etat de droit et de la démocratie dans le contexte de lutte contre le Covid-19.
La vérité est que nous ne sommes pas égaux face à la crise climatique, face à la crise sanitaire et face à bien d’autres développements comme par exemple le big data. Ces défis nouveaux sont sources d’inégalités, d’injustices criantes et insupportables. Les populations qui souffrent le plus du réchauffement climatique dans le monde sont aussi celles qui en sont le moins à l’origine. Ce n’est pas par hasard si les premières initiatives sur le lien avec les droits de l’homme et la justice climatique sont venues de l’Arctique et des micro-Etats insulaires du Pacifique. Mais les choix faits pour s’attaquer à la crise climatique peuvent également conduire à d’autres inégalités. Ainsi, augmenter la fiscalité des carburants sans en redistribuer le produit au bénéfice de ceux qui en sont les plus dépendants conduit à la crise des gilets jaunes, à l’expression éperdue de la souffrance sociale et in fine aux limites de ce qu’une société démocratique peut tolérer en termes d’inégalités. Tout cela pousse à revisiter les droits de l’homme et leur brûlante actualité, droits civils et politiques bien sûr, mais aussi droits économiques, sociaux et culturels. Ils sont plus que jamais notre patrimoine commun.
Les droits de l’homme sont autant de garanties protégeant les individus, les groupes et les peuples de l’action ou de l’absence d’action menaçant les libertés fondamentales. Ils sont universels. Des cours et des juges courageux ont su les défendre et les interpréter comme une protection face à l’évolution, heureuse ou malheureuse, de la société. Je pense en particulier au combat formidable de la juge Ruth Bader Ginsburg, toute une vie durant, pour le droit des femmes et des minorités aux Etats-Unis. Ou, en Europe, à celui des juges de la Cour suprême polonaise que le pouvoir actuel à Varsovie entend réduire au silence, précisément parce qu’ils sont libres, au mépris du principe essentiel de séparation des pouvoirs. Avec mes étudiants, je reviens aussi sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, intéressante et parfois hardie, en matière d’environnement alors même que l’environnement n’apparaît pas dans la Convention européenne des droits de l’homme. Ces parcours, ces arrêts, ces volontés nous rappellent que la résilience et le progrès pour nos sociétés passent par les droits de l’homme, les mécanismes internationaux de surveillance et les cours.
Lorsque j’étais candidat au mandat de Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, un Ambassadeur d’Etat membre que je visitais m’avait demandé, baissant soudainement la voix, si, élu, je pourrais privilégier certains droits plutôt que d’autres et, pour parler clair, me faire plutôt discret sur le droit à l’avortement, les droits reproductifs et les droits LGBTI. Ma réponse n’avait guère été diplomatique. J’y avais laissé le soutien de son pays et de quelques autres sans doute aussi. Les droits de l’homme ne se découpent pas, ne se hiérarchisent pas, ne s’aliènent pas. Ce moment m’a marqué tant il symbolise pour moi la preuve que le combat reste toujours à livrer, que chaque victoire est un tout petit pas et que le progrès se construit sur la durée. Il y a tant à faire, il y a surtout tant en jeu. Dans le contexte de crise que nous traversons, y compris de crise morale et de confiance qui met la démocratie à l’épreuve, j’ai la conviction profonde que les droits de l’homme et leur universalité sont les môles auxquels se rattacher et sur lesquels demain doit être construit. Il faut pour cela les faire connaître, les défendre, les enrichir et toujours plus les transmettre.
On ne peut qu’adhérer à ces propos. Il faudrait toutefois pouvoir les relayer au delà des cercles universitaires. Une idée?
Merci, chère Claude. J’ai voulu partager cette expérience et ces idées sur mon propre blog, précisément pour ne pas rester seulement dans un cerle de juristes initiés. J’ai relayé ce post via Facebook, LinkedIn et Twitter. Je pense sincèrement qu’il faut démystifier l’idée (ou la perception) selon laquelle le droit est par nature complexe et inaccessible. Je conçois le droit comme un partage et c’est le titre que j’ai donné à dessein à mon post. Je crois qu’il faudrait conduire par les canaux d’éducation populaire une initiation au droit et à ses principes généraux ouverte à tous. Si mon petit post pouvait contribuer à cela, j’en serais heureux.