Je suis un amoureux du football. Dans mon enfance et à l’adolescence, j’y ai joué. C’était en club, au Stade Quimpérois. A une autre époque et sans doute aussi dans une autre vie tant le foot était alors un bonheur, qui unissait, passionnait, faisait vivre les valeurs du sport et rappelait à chaque instant, à chaque coup de sifflet, qu’il était d’abord un jeu. Cette époque-là est bien lointaine et elle me manque. Comme bien d’autres, j’ai été choqué par l’annonce en début de semaine de la création d’une « Super Ligue » européenne de football, championnat fermé, initié par 12 clubs européens et gouverné par eux. A vrai dire, c’est même plus que choqué que j’ai été, j’ai été révulsé. C’est l’alliance des riches, le cœur sec et l’âme cupide, pour mettre la main sur la manne des droits de télévision et ne surtout plus la redistribuer avec tous les gueux du foot, clubs issus de ligues nationales moins prestigieuses et plus modestes. Mais les gueux du foot, ce sont aussi les supporters, passés par pertes et profits. On s’en moque de ces gens qui chantent dans les stades, qui vivent et rêvent pour les clubs de leurs cœurs, puisque c’est désormais à la télévision que tout se passe et que le téléspectateur chinois est un meilleur consommateur que celle ou celui qui vibre dans nos villes et nos villages d’Europe.
Cette « Super Ligue » est une honte. Qu’est devenu le foot pour que l’on perde à ce point la tête ? Où sont les valeurs du sport, à commencer par sa glorieuse incertitude ? Ce sont les performances qui doivent qualifier pour jouer un championnat, européen comme national, pas un cours de bourses, les pétrodollars opaques du golfe et les roubles douteux des oligarques russes. Sur les 12 clubs à l’origine du projet, 6 sont anglais et 2 d’entre ces clubs anglais n’étaient même pas qualifiés en Ligue des Champions cette année, la faute à leur saison ratée dans les plus grandes largeurs l’an passé. Et ce sont ceux-là même pourtant qui entendent dénier à l’Ajax Amsterdam ou au FC Porto, champions dans leur pays, le droit de jouer les meilleurs matchs européens. Ce sont ces clubs-là qui mènent le combat contre l’UEFA, au nom de leur richesse (et de leur endettement…), de leur supériorité autoproclamée, loin de toute modestie. Ce sont eux qui veulent faire du foot un spectacle, une franchise, un barnum, avant sans doute de réduire la durée des matches et de prévoir plusieurs pauses au lieu d’une mi-temps, parce que le consommateur trouvera le temps long devant son poste de télévision et qu’il lui faudra sûrement un petit moment pour surfer et acheter en ligne les maillots des clubs.
J’ai envie de crier au fou (aux fous, en l’occurrence). Le sport ne peut être une activité économique comme une autre. Il doit subsister une exception sportive, reposant sur des fédérations nationales et des unions de fédérations à l’échelle continentale et mondiale. C’est à elles de bâtir l’avenir du football, pas aux autorités de la concurrence qui, si l’on suivait la pente des créateurs de la « Super Ligue » européenne, prendraient in fine le pouvoir. Oui, le football est devenu global. Oui, il doit vivre des droits de télévision, mais pas seulement de cela. Il doit d’abord vivre de passion, de péréquation entre les grandes et les petites ligues, entre les clubs professionnels et les clubs amateurs, de partage des moyens et d’attention aux autres, d’éducation populaire, de respect tout simplement. Le football doit faire rêver et mettre sur les terrains des petits garçons et petites filles par millions, tapant dans un ballon, heureux d’être ensemble. J’ai été l’un de ces enfants il y a longtemps. Je n’avais guère de talent. Mon bonheur était de jouer pour mon club de cœur. Je rêvais de beaux matches et j’attendais le mercredi soir le rendez-vous de la Coupe d’Europe, qui m’émerveillait tout autant lorsque c’était Ipswich Town qui jouait contre Saint-Etienne que le Barça ou le Bayern Munich.
La gouvernance du football est bien malade. Si un coup d’Etat tel que celui de la « Super Ligue » européenne a pu être monté, c’est que l’opacité, la méfiance et l’absence de checks and balances suffisants règnent à l’UEFA comme sans doute aussi à la FIFA. Ce qui s’est passé est un rude désaveu pour l’UEFA et son Président, humiliés par l’annonce du début de semaine. Ceux, du Président du Real Madrid et à celui de la Juventus de Turin, qui lui assuraient que les rumeurs entendues çà et là étaient infondées complotaient allègrement dans son dos. Cela aussi, ce n’est plus tolérable. Le foot crève de toutes ces carences de gouvernance et d’une culture récurrente mêlant l’intouchabilité et l’irresponsabilité. Or, ce sont les fédérations nationales qui fondent la légitimité des unions comme l’UEFA et ces fédérations sont, en France notamment, des délégataires au nom de missions de service public. Il faut pouvoir le rappeler, c’est le rôle de la puissance publique. Les unions internationales de fédérations sportives comme l’UEFA doivent être exemplaires, transparentes et responsables. Elles doivent être le lieu de débats et de prises de décision, dans l’intérêt de leur sport et de ses valeurs, pas dans celui du spectacle, du business, du fric et du retour sur investissement.
Lorsque j’étais membre de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, j’ai suivi des rapports et auditions sur la gouvernance internationale du sport et en particulier du football. Des dirigeants prestigieux sont venus devant nous. Nous n’étions pas là pour les ennuyer et pourtant, l’on sentait souvent comme une lassitude, un effort démesuré dans le fait qu’il fallait bien qu’ils s’adressent à nous, parlementaires. En gros, qui étions-nous donc pour oser poser des questions et pour nous permettre de faire des recommandations ? Cette attitude-là était tristement révélatrice d’une forme d’aristocratie. Nous étions pourtant dans notre rôle. Y compris lorsque nous demandions des comptes sur l’attribution de la Coupe du Monde de football au Qatar, quand nous prononcions le mot de « corruption » et parlions de transparence. Ce matin, j’ai entendu à la radio espagnole que de moindres contraintes sur le fair-play financier auraient été promises par l’UEFA à certains des 12 clubs fondateurs de la « Super Ligue » s’ils décidaient de s’en détacher. Mais c’est tout l’inverse qu’il faut faire ! L’avenir du foot et du sport ne peut être une longue dérive. Il faut faire échouer la « Super Ligue » européenne, puis retrouver l’âme du sport, sa simplicité, son universalité.
Je rêve la mise en faillite du Barça et du Réal avec relegation en DH. Il est grand temps de mettre en place un système de plafond financier similaire à celui de la NFL où la NBA pour arrêter le surenchérissement salarial et des primes de transfer.
Je n’ai aucun plaisir à suivre le club de mon enfance – celui qui perdait tout le temps et m’apprenait la patience – le PSG du temps des Rai, Ronaldinho ou Vincent Guerin. J’ai arrêté de suivre Arsenal – non pas parce qu’ils perdent – à cause de leur masse salariale délirante.
Ma plus grande satisfaction au cours des dernières années aura été la victoire de Leicester dans le championnat anglais. J’adore les voir cette année – tout comme West Ham – potentiellement « prendre la place » en Champions League des Chelsea, Liverpool, Tottenham ou Arsenal.
Il est temps de voir ces propriétaires, ces dirigeants, ces agents et ces joueurs à l’ego démesuré prendre un dose d’humilité.
Merci, cher Benoît. Je ne veux pas de mal aux grands clubs, dont certains me fascinent toujours autant, mais je ne suis pas loin cependant de penser comme toi tant cette inflation des salaires (et des égos) que tu décris fait du mal au sport qui nous rassemble et à son modèle (sportif et économique).