Passer au contenu

C’était Monique

Il y a quelques jours, j’ai perdu une amie. Elle s’appelait Monique. Je la connaissais depuis 30 ans. Souffrante, elle avait abordé ces derniers mois avec lucidité et un immense courage. En fin d’hiver, nous nous étions parlés par téléphone. Elle m’avait dit avoir eu une belle vie. Je la sentais fatiguée, mais la vivacité d’expression au détour des phrases lui ressemblait toujours autant. Je ne pouvais l’imaginer s’en aller, sans doute parce que, depuis notre première rencontre, je l’avais toujours connue forte, conquérante, jamais intimidée, désireuse de forcer le destin. Monique avait le verbe clair. La professeure de français qu’elle était restée dans l’âme jusque sur les bancs du Sénat savait dire les choses directement, sans noyer dans le baratin politique les passions et les causes qu’elle avait à cœur. Monique n’avait pas attendu Twitter pour savoir exprimer en quelques mots des vérités que d’autres auraient développé à l’infini. Elle parlait librement, elle agissait librement, sans calculer, portée par ses convictions. Sans doute est-ce pour cela qu’elle n’était pas une politique classique. Monique était d’abord elle-même et elle revendiquait bien haut son indépendance. Et c’est pour cela qu’elle fut pour moi durant ces 30 ans une inspiration en même temps qu’une amie chère.

Elle s’appelait Cerisier-ben Guiga. Cerisier, c’était son nom de jeune fille. En 2001, elle m’annonça, enjouée et l’œil malicieux, qu’elle venait d’acheter un appartement à Paris et que Madame Cerisier vivrait désormais Villa Poirier, sa nouvelle adresse. Avant d’ajouter sur un ton sépulcral qu’il s’agirait là de sa dernière demeure. Je me souviens du fou rire qui s’en suivit. Nous étions assis face à la mer, sur la terrasse de l’hôtel Ti al Lannec à Trébeurden. Il y avait aussi mes parents et sa sœur Edith. J’avais été touché que Monique souhaite les rencontrer. Ils appartenaient à la même génération. Et ils avaient en commun aussi d’avoir été enseignants. Nous avions échangé sur la vie, ses bonheurs, ses misères, le destin. Guiga, c’était le nom de son mari Habib, médecin avec qui elle avait vécu en Tunisie, à Grombalia, Habib qui décéda quelques jours seulement après l’élection de Monique au Sénat à l’automne 1992. De leur union étaient nés trois enfants, une belle famille. Monique savait parler des familles, de leur valeur, de leurs secrets aussi. Un soir, nous avions discuté des heures sur les familles de province, de François Mauriac à Hervé Bazin, entre Le nœud de vipères et Vipère au poing. Lorsque j’y repense, mes plus beaux souvenirs avec Monique, c’est quand nous ne parlions pas de politique.

C’est pourtant la politique qui nous avait mis l’un face à l’autre. C’était au printemps 1992, dans le salon d’un hôtel quelconque à la gare de Luxembourg. Une autre époque, sans mail, ni portable. J’avais reçu, comme adhérent de la section locale du Parti socialiste, une lettre de Monique ben Guiga, candidate à l’élection primaire pour désigner les candidats au Sénat, m’informant qu’elle serait à Luxembourg et qu’à défaut de pouvoir rencontrer la section locale du PS, elle serait heureuse de voir ceux de ses membres qui souhaiteraient la rencontrer. J’y étais allé. Je n’avais aucune idée préconçue en sa faveur ou contre elle. J’étais tout jeune dans l’organisation et j’avais tout à découvrir. C’était une fin d’après-midi. Je fus son seul visiteur et quelques jours après, son seul électeur aussi. Je pensais rester un petit quart d’heure. Deux heures après, j’étais toujours là. Et au dîner, j’étais encore là. La force de caractère, les idées, la générosité de Monique m’avaient subjugué. En la quittant, j’étais porté par l’espoir qu’elle aille au bout de sa campagne sénatoriale, jusqu’à la victoire. Quelques mois plus tard, j’étais allé à Paris le jour de l’élection pour la féliciter. J’avais découvert une politique, une belle personne, quelqu’un avec qui, au fil des années, je nouerais un lien d’affection sincère.

En politique, on n’a pas beaucoup d’amis. Monique me l’avait dit. Au début, je ne l’avais pas crue. Elle avait pourtant raison. Deux ou trois fois, elle m’avait conseillé de m’en écarter. « Est-ce vraiment ce que tu veux ? », m’avait-elle interrogé. Etrange conversation ou prémonition pour quelqu’un dont l’exemple était précisément, avec quelques autres, celui qui m’avait conduit à vouloir m’engager. Elle m’avait mis en garde contre la dureté du combat, les coups bas, l’ingratitude, autant de conseils dont j’ai pu mesurer depuis combien ils étaient fondés. Mais voyant que j’avais envie d’y aller, elle m’avait encouragé et soutenu. Ce fut le Conseil Supérieur des Français de l’Etranger, puis l’Assemblée des Français de l’étranger. Ce fut la direction de la Fédération des Français à l’Etranger du PS. Ce fut même, l’espace de quelques jours, la seconde place sur sa liste aux élections sénatoriales de 2001, avant qu’elle ne se ravise, un ticket avec le très jeune candidat que j’aurais été présentant aux yeux des grands électeurs plus de risques que d’avantages. Nous étions une équipe, une petite dizaine d’amis soudés par les combats et les passions, au PS, à Français du Monde-ADFE. Ce furent de belles années, des années de conquête, de textes écrits pour « changer la vie » dans nos communautés à l’étranger.

C’était Monique. J’ai un regret, celui de n’avoir pu être parlementaire en même temps qu’elle. Il s’en sera fallu de quelques mois. En septembre 2011, il me revint comme Premier secrétaire de la Fédération des Français à l’Etranger du PS de remercier Monique, qui s’apprêtait à quitter le Sénat, au nom de milliers de militants. Je revois la salle debout et Monique, assise au premier rang, émue, prenant la dimension de la reconnaissance de tant d’entre nous. En juin 2012, j’étais élu à l’Assemblée nationale. Ma méthode comme député fut celle que j’avais apprise de Monique : la liberté d’initiative et de ton, le concret, la solidarité, la résilience. Ne jamais lâcher, ne jamais flancher, être toujours disponible, parler clair et agir juste, être fidèle à ses idées. Monique était venue me voir à l’Assemblée nationale. Sa visite m’avait touché, j’avais vécu ce moment comme la transmission d’un relais. Nous n’avions pas le même regard sur tout. Les différences autant que le bonheur d’échanger scellaient le plaisir toujours renouvelé de nos retrouvailles. L’enseignement français, le droit des familles, l’action sociale à l’étranger, l’attention aux plus humbles, les libertés et les droits fondamentaux, l’antiracisme, ce sont autant de sujets sur lesquels j’ai tant appris de Monique.

Il reste désormais des souvenirs, une image, une trace. Pour reprendre une expression de Monique, sa disparition m’a fichu un sacré coup sur la cafetière. On peut s’y préparer, la nouvelle n’en est pas moins rude. C’est à la fois une page qui se tourne et un appel à persévérer. « Continue », me disait Monique au début mars, sans que je sache si c’était pour la vie publique ou la vie tout court. Ou les deux, peut-être. Sans doute devais-je le comprendre comme l’encouragement à ne jamais cesser d’avoir envie, envie de vivre, envie d’entreprendre, envie de se battre, envie d’aider, envie d’aimer. C’est ainsi que je le prends, mû par la fidélité et la reconnaissance, par l’émotion bien sûr aussi. Je pense aux enfants de Monique, à sa sœur Edith. Il y a tant à dire et à partager, par-delà la peine de ces tristes jours. L’histoire de Monique a façonné la mienne et celle de beaucoup d’autres. Saurons-nous la raconter ? Je l’espère. Derrière le parcours de Monique, il y a une aventure humaine que son parcours et son charisme ont nourri, fédérant tant d’entre nous, d’une latitude à l’autre, d’une génération à l’autre. Honorer la mémoire de Monique, c’est ne renoncer à rien, n’oublier aucune des causes qui nous unirent et nous animent encore. C’est continuer ensemble et longtemps.

12 commentaires

  1. Pierre Avedikian

    Juste pour toi….

    Merci de ce texte Pierre-Yves. Tu as très bien traduit ce que beaucoup ressentent.

    J’ai rencontré Monique à l’AG avant son élection au sénat à l’AG de l’ADFE et me souviens de l’ambiance avec Pierre Biarnès, autre “caractère”… ça ne manquait pas de sel! Ensuite on s’est un peu ennuyé -:)

    Juste après son élection, je crois en 93, je suis allé la chercher à l’aéroport de Strasbourg (je suivais mon cursus de propriété intellectuelle à l’université Schuhmann…) pour une réunion au PE; Monique a réitéré avec force son soutien aux “soutiers de la république”. Mots percutants qui me sont restés. Pas de filtre mais avec calme, politesse mais fermeté.

    Monique avait séjourné chez nous à Vienne; je crois au moment où le programme FLAM avait été lancé avec toi même. Nicole l’appriciait beaucoup aussi. Elle nous avait offert le livre de Patrick Rambaud ” Le Tombeau de Nicolas Ier, avènement de François IV” avec un gentil mot. C’était au fond une femme de lettre dont nous ne connaissions pas la profondeur de pensée et dont j’aurais aimé lire le propos qui aurait été pour sûr clair, direct et inspirant.

    Son souvenir me restera et je regrette seulement de ne pas lui avoir envoyé un mot ne connaissant son état de santé.

    Mais continuons,,,

    Bien amicalement. Pierre

  2. Monique aura marqué tant d’entre nous, cher Pierre. Elle représentait une somme de belles valeurs autant qu’une époque. Je me souviens de la réunion que nous avions eu à Vienne avec elle en janvier 2013. Elle aidait Marcos, qui avait à peine un an, à faire ses premiers pas. Il doit en rester des photos. J’aimerais imaginer que nous écrivions ensemble, nous tous qui avons été témoins et acteurs de cette époque, nos souvenirs de Monique et comment elle a su nous donner envie de nous engager, au plan politique comme associatif.

  3. Cher Pierre-Yves,

    Je ne peux accompagner ces mots qu’avec un tweet de deux photos.
    https://twitter.com/theochino/status/1391415089631318022

    Son programme FLAM est ce qui a permit à une école New Yorkaise à créer un programme bilingue et à lancer le débat sur les tensions raciales.
    https://www.nytimes.com/2020/07/23/podcasts/nice-white-parents-serial.html

    Ce n’est pas anodin. Sans son outils des FLAMs, certaines choses n’auraient pas bougées.

    Merci d’avoir partagé. Elle va nous manquer.
    Théo

  4. Clavaud

    Bel hommage.

  5. Merci, Monique. Monique et vous aviez un prénom en commun, mais aussi Trébeurden!

  6. Ces photos sont belles et racontent une histoire, cher Théo. Monique a tant fait pour les Français à l’étranger, où qu’ils se trouvent.

  7. Delphine Pludermacher

    Émouvant, Merci.

  8. Merci, chère Delphine. J’ai écrit ce post de blog avec un coeur tout à la fois en peine et reconnaissant.

  9. Alioune Blondin BEYE

    Bonjour Monsieur Pierre-Yves Le Borgn’
    Je suis Alioune Blondin BEYE, le fils aîné de Marie Héléne BEYE, qui fût représentante des français de l’étranger au Mali (ADFE), rappelée à Dieu le 9 novembre 2017.
    Ma mère était une très grande amie de Monique.
    En lisant votre très beau témoignage, je la revois encore avec son magnifique sourire et cette merveilleuse bonté d’âme qui la caractérisait si bien.
    Une générosité d’âme, portée par son engagement exemplaire pour la cause des français les plus démunis à travers le monde.
    Nous n’oublierons jamais, mon frère et mes sœurs, l’amitié profonde et véritablement fraternelle qu’elle portait pour notre défunte mère, qu’elle aura accompagnée jusqu’à sa dernière demeure, en faisant spécialement le voyage à Bamako ce triste mois de novembre 2017.
    Monique nous quitte au moment où la campagne pour les élections des représentants des français de l’Etranger bat son plein.
    Comme si le sort nous révélait aussi, que son image restera à jamais attachée à cette grande étape de sa vie militante.
    En ce jour de la séparation physique, j’adresse au nom de mes frère et sœurs, mes sincères condoléances, à sa soeur Edith, à ses enfants et à l’ensemble de toutes celles et tous ceux qui la portaient dans leur coeur.
    Une grande dame s’en est allée.
    Nous ne l’oublierons jamais dans nos prières.
    Qu’elle repose en paix auprès de nos illustres disparus.
    Âmine

  10. Merci, cher Alioune. Comme je l’écrivais à votre sœur Awa, je ne peux détacher le souvenir de Monique de celui de Marie-Hélène. Elles étaient les deux copines de l’Assemblée des Français de l’étranger, arrivant ensemble le matin, partant ensemble le soir. J’avais le sentiment qu’elles s’étaient trouvées et que ces deux semaines parisiennes annuelles, politiquement importantes, étaient aussi et peut-être d’abord le moment d’un rendez-vous heureux entre deux amies. Je voudrais imaginer qu’elles sont désormais réunies. A nous de faire vivre leurs combats et leurs passions. Toutes mes amitiés vous accompagnent, vous et les vôtres. Je garde le souvenir ému d’un séjour chez Marie-Hélène à Bamako, de discussions passionnantes sur l’Afrique de demain, à deux pas des armoires bourguignonnes qui racontaient l’histoire de votre maman, de la Côte d’Or au Mali.

  11. Christiane Ciccone

    Merci Pierre-Yves, de ce bouquet de mots qui dit si bien ce que nous ressentons tous. À bientôt j’espère, la vie reprend petit à petit.

Les commentaires sont fermés.